Investisseurs et autoconstructeurs : acheter et revendre une résidence principale, connaissez-vous les impacts?

28 juin 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
10 minutes de lecture
Luxury Home In Expensive Subdivision

Le domaine immobilier a fait bien des adeptes ces dernières années. Force est de constater que de nombreux clients achètent et revendent des résidences en série, tandis que d’autres décident de vivre l’expérience de l’autoconstruction pour une ou même plusieurs résidences. Ce nouveau phénomène qui émane de l’éclosion du domaine immobilier n’est pas sans conséquence. En effet, depuis des années, le domaine immobilier fait l’objet d’importants litiges, à savoir si un immeuble constitue un investissement dont le gain réalisé lors de la disposition serait un gain en capital, ou un bien comportant un risque ou une affaire de caractère commercial dont le gain réalisé lors de la disposition serait un revenu. La différence est importante : dans le premier cas, le contribuable aura droit à sa déduction pour résidence principale si les critères de la loi à cet effet sont respectés, tandis que dans le deuxième, il sera imposé en totalité à titre de revenu d’entreprise. Le présent texte se veut un rappel des règles de la déduction pour résidence principale ainsi que la distinction entre le gain en capital et le revenu d’entreprise.

1 - Les règles générales de la déduction pour résidence principale¹

1. La propriété Pour qu’un bien puisse être désigné comme la résidence principale d’un contribuable, il faut que ce dernier en soit propriétaire. La copropriété avec une autre personne est également admise. Lorsque la résidence est acquise en copropriété indivise, il suffit que chacun des conjoints réponde à toutes les autres conditions requises pour que la totalité de la résidence soit exemptée du gain en capital, notamment qu’il n’ait jamais désigné une autre résidence comme étant sa résidence principale pour la même période.

2. Le type de bien De façon générale, les biens admissibles comme « résidence principale » sont les suivants :

  • Un logement, ce qui comprend :
    • une maison;
    • un appartement ou une unité dans un duplex, un immeuble d’habitation ou un immeuble en copropriété;
    • un chalet;
    • une maison mobile;
    • une roulotte;
    • une maison flottante.
  • Un droit de tenure à bail afférent à un logement.
  • Une part du capital social d’une société coopérative d’habitation, si cette part a été acquise dans l’unique but d’obtenir le droit d’habiter un logement dont la coopérative est propriétaire.

3. Habiter la résidence En règle générale, le contribuable ou son époux, conjoint de fait, ex-époux, ex-conjoint de fait ou enfant de celui-ci doit habiter le logement qui représente la résidence principale du contribuable.

4. Une seule résidence admise Un contribuable ne peut désigner qu’un seul bien comme résidence principale pour une année d’imposition donnée et, également, un seul bien par « unité familiale » depuis l’année d’imposition 1981.

5. La superficie Si la superficie du fonds de terre sur lequel est situé un logement ne dépasse pas un demi-hectare, le fonds de terre est habituellement admissible comme faisant partie de la résidence principale du contribuable. Un fonds de terre de plus d’un demi-hectare peut aussi être admissible, mais seulement dans la mesure où il est établi qu’il est nécessaire pour l’usage du logement en tant que résidence.

6. Le changement d’usage Le changement complet ou partiel de l’usage d’un bien servant de résidence principale en un bien produisant un revenu, ou vice versa, donne lieu à une disposition réputée du bien de la part du contribuable à la juste valeur marchande. Il se peut que le contribuable puisse effectuer un choix pour que la disposition réputée au moment du changement complet d’usage ne s’applique pas à ce moment. Un bien visé par un tel choix peut être admissible en tant que résidence principale du contribuable pour une période maximale de quatre ans, ou peut-être plus si le contribuable doit déménager en raison de son travail.

2 – Le formulaire pour la désignation d’une résidence principale Selon le Règlement de l’impôt sur le revenu², le contribuable doit désigner un bien comme résidence principale pour une ou plusieurs années d’imposition dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition au cours de laquelle il a disposé du bien. Le formulaire de désignation utilisé à cette fin, au fédéral, est le formulaire T2091, Désignation d’un bien comme résidence principale par un particulier (autre qu’une fiducie personnelle)³ . Toutefois, le ministère du Revenu du Canada accepte suivant une politique administrative que cette désignation n’a pas à être signalée dans la déclaration de revenus sur le revenu du contribuable, sauf si le gain en capital n’est pas exempté en totalité. Notons que Revenu Québec n’a pas la même politique administrative.

En pratique cependant, le contribuable qui vend un logement se qualifiant comme résidence principale ne produit généralement pas le formulaire en question. Bien qu’il existe une certaine tolérance administrative, une mise en garde s’impose : il serait important que le contribuable désigne ce bien comme résidence principale dans sa déclaration de revenus pour l’année de sa disposition et qu’il précise l’immeuble et la période visée par ce choix. En absence de telle désignation dans sa déclaration de revenus, il ne bénéficiera pas de la période de prescription de trois ans4, ce qui veut dire que les autorités fiscales pourraient imposer le contribuable plusieurs années en arrière, et ce, sans limite de temps.

Dans une situation de cotisation pour une année antérieure pour laquelle la déduction n’aurait pas été demandée, l’impôt sera établi sur la totalité du gain réalisé à la disposition, auquel s’ajouteront les pénalités pour non-divulgation et les intérêts sur l’impôt éludé. De plus, le contribuable devra établir le coût de construction et de rénovation de la propriété visée et avoir en main les preuves de paiements afin de réduire, le cas échéant, la charge fiscale. S’ajouteront également les frais comptables et possiblement de contestation de l’avis de cotisation et même la nécessité de consulter un fiscaliste pour tenter de minimiser les incidences fiscales.

Nature du gain

Gain en capital c. revenu La déduction prévue à l’égard du gain en capital réalisé lors de la disposition d’une résidence principale (« déduction pour résidence principale ») implique nécessairement que le logement soit une immobilisation. Or, pour la très grande majorité des particuliers, c’est le cas, puisqu’une résidence principale constitue un bien à usage personnel.

Par contre, un gain réalisé à la disposition d’un logement par un courtier immobilier ou par un particulier engagé dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, pour qui l’immeuble ne constitue pas une immobilisation, est imposable en totalité, et donc ne donne pas droit à la déduction pour résidence principale. Ceci pourrait aussi être le cas de l’autoconstructeur et de l’acheteur en série qui visent un profit rapide pour lequel on pourrait leur attribuer un revenu d’entreprise plutôt qu’un gain en capital. De plus, un entrepreneur qui dispose d’une résidence dans laquelle il a habité et qu’il a lui-même construite pourra éprouver certaines difficultés à établir que le gain réalisé constitue un gain en capital5.

Il s’agit donc de déterminer l’intention première du contribuable lorsqu’il a acquis le logement en question afin de déterminer si nous sommes en présence d’un gain en capital donnant droit à la déduction ou du revenu d’entreprise.

Un gain considéré comme du revenu d’entreprise6 Le terme « entreprise » est défini dans le paragraphe 248(1) LIR et comprend, entre autres choses, un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. En vertu de cette définition, une transaction isolée mettant en cause des biens immeubles, même une résidence principale, peut être considérée comme une transaction d’entreprise. Comme pour toute entreprise, les gains ou les pertes qui en découlent doivent être pris en compte dans le calcul de son revenu ou de sa perte, selon le cas. La déduction pour résidence principale ne peut donc être prise dans ce cas. Ceci pourrait viser notamment le cas du contribuable qui a construit lui-même sa résidence (autoconstruction) et qui revend rapidement pour en construire une nouvelle; le contribuable qui vend et achète des résidences en série pourrait aussi être visé.

Dans la Loi de l’impôt sur le revenu, aucune disposition ne précise dans quelles circonstances des gains provenant de la vente de biens immeubles doivent être considérés comme un revenu ou un gain en capital. Toutefois, les tribunaux ont considéré certains facteurs pour nous aider à le déterminer. En voici une liste qui ne doit pas être considérée comme limitative :

a) l’intention du contribuable en ce qui concerne le bien immeuble au moment de l’achat; b) la vraisemblance de l’intention du contribuable; c) l’emplacement géographique du bien immeuble acquis et son zonage; d) la mesure dans laquelle l’intention du contribuable est réalisée; e) la preuve que l’intention du contribuable a changé après l’achat du bien immeuble; f) la nature de l’entreprise, de la profession, du métier ou de la profession du contribuable et des associés; g) la mesure dans laquelle l’argent emprunté a servi à financer l’acquisition du bien immeuble et les modalités arrêtées pour le financement s’il y a lieu; h) la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable; i) le fait que la possession du bien immeuble soit partagée avec des personnes autres que le contribuable; j) la nature de la profession des autres personnes mentionnées en i) ci-dessus, de même que leurs intentions avouées et leur ligne de conduite; k) les facteurs qui ont motivé la vente du bien immeuble; l) la preuve que le contribuable ou les associés se livrent sur une grande échelle au commerce de l’immeuble.

Aucun des facteurs mentionnés ci-dessus n’est en soi un facteur concluant pour déterminer si un gain provenant de la vente de biens immeubles représente un revenu ou un gain en capital. La pertinence de tout facteur dans cette détermination dépendra des circonstances entourant chaque cas. Plus l’entreprise ou la profession d’un contribuable (par exemple, un entrepreneur, un agent immobilier) est liée aux transactions immobilières, plus il est probable que tout gain réalisé par le contribuable sur cette transaction sera considéré comme un revenu tiré d’une entreprise plutôt que comme un gain en capital.

L’intention du contribuable au moment de l’achat du bien immeuble est un facteur important à considérer pour déterminer si un gain provenant de sa vente sera traité comme un revenu d’entreprise ou un gain en capital. Au moment de l’acquisition du bien immeuble, si le contribuable avait l’intention d’habiter la résidence comme résidence principale et qu’il n’avait pas l’intention de la revendre nécessairement à profit, le gain réalisé à la disposition serait du gain en capital et donnerait lieu à la déduction. Cependant, le contribuable peut avoir comme première intention de réaliser un profit rapide ou comme deuxième intention de la revendre à profit s’il doit abandonner son intention première de l’habiter. Dans ces deux cas, s’il réalise une revente à profit, surtout rapide, tout gain réalisé sur la vente serait alors probablement imposé à titre de revenu tiré d’une entreprise sans possibilité alors de prendre la déduction.

Pour l’acheteur/vendeur ou l’autoconstructeur chanceux ayant bénéficié à quelques reprises des gains substantiels lors de ventes de résidences principales, les autorités fiscales pourraient considérer ces gains comme du revenu d’entreprise en cascade jusqu’à la première résidence disposée, et ce, peu importe le nombre d’années passées s’il n’a pas déclaré la résidence principale dans sa déclaration de revenus dans l’année de la disposition de chacune d’elles. Alors, investisseurs qui achetez et revendez des propriétés, et autoconstructeurs, garde à vous!

Cet article est tiré de l’édition de mars du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF

______________________________________________________________________________________________
1. Tiré du bulletin d’interprétation IT-120R6.
2. Article 2301.
3. Aussi, feuille de travail T2091(IND)-WS. Au provincial, le formulaire à produire avec la déclaration du particulier est : TP-274.
    Pour le représentant légal d’un contribuable décédé, produire le formulaire T1255 au fédéral.
    Pour la désignation d’une résidence principale détenue par une fiducie, produire le formulaire T1079 au fédéral et TP-274.A au provincial.
4. Trois ans de l’avis de cotisation pour l’année d’imposition visée.
5. Welton c. MRN, 78 D.T.C. 1848.
6. Tiré du bulletin d’interprétation IT-218R.