Quatre stratégies pour propulser sa carrière

Par Sylvie Lemieux | 28 mars 2023 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
10 minutes de lecture
|Ann-Rebecca Savard|Jennifer Dulac|Mary Hagerman|Mélanie Beauvais|Catherine Laflamme
|Ann-Rebecca Savard|Jennifer Dulac|Mary Hagerman|Mélanie Beauvais|Catherine Laflamme

Les femmes s’illustrent dans le monde de la finance, une industrie encore majoritairement masculine. Cela dit, grimper les échelons n’est pas toujours du gâteau. Cinq femmes partagent conseils et astuces pour prendre sa place et faire avancer sa carrière.

Pour Ann-Rebecca Savard, la voie était toute tracée d’avance. Très jeune, elle a su qu’elle voulait intégrer l’entreprise familiale : MICA Cabinets de services financiers. «J’ai été inspirée par la passion de mon père [Gino-Sébastian Savard] pour les finances. Travailler au bien-être financier des Québécois, c’est ce qui l’animait et l’anime encore. C’est la même chose pour moi», raconte la conseillère en sécurité financière, qui est entrée au service de MICA en 2019.

Ann-Rebecca Savard

Ann-Rebecca Savard

Pour se faire connaître comme Ann-Rebecca et non seulement la fille du président, elle a choisi de développer une expertise dans le domaine de l’investissement responsable (IR). «Cela rejoignait mes valeurs personnelles et aussi l’intérêt grandissant des investisseurs envers ce type de produit», explique Ann-Rebecca Savard, âgée de 25 ans.

Une stratégie qui lui a permis de se démarquer et de faire ses preuves auprès de la clientèle, particulièrement les hommes. «Du fait d’être jeune et d’être une femme, je partais avec deux prises», reconnaît-elle. Heureusement, au sein de sa clientèle grandissante, la confiance a vite pris le dessus sur le jugement grâce à son écoute active et la qualité de son accompagnement, deux forces que les conseillères gagnent à utiliser.

Ann-Rebecca Savard est loin d’être la seule à avoir investi le champ de l’IR. «La finance durable a permis aux femmes de prendre leur place dans l’industrie. Cela a été le cas en Europe, où elles occupent aujourd’hui la majorité des postes de direction dans ce domaine en fort développement. Grâce à cette spécialisation, les chances tendent à devenir plus égales pour les femmes», affirme Jennifer Dulac, conseillère en développement durable au Fonds de solidarité FTQ.

C’est un chemin qu’elle-même a emprunté tôt dans sa carrière en finance, amorcée en France, son pays d’origine. Celle qui est arrivée au Québec en 2021 pour ouvrir le bureau montréalais du groupe Nexeo, spécialisé dans la conception et la mise en oeuvre de systèmes d’information pour la banque, la finance et l’assurance, s’est aussi spécialisée en transformation TI. Un profil qui lui a ouvert bien des portes, dont celles du Fonds de solidarité FTQ.

«La finance durable étant en constante mouvance, il faut aller chercher les certifications pour monter en compétences. Cela devient un atout pour décrocher un poste à responsabilités», explique Jennifer Dulac.

Où sont les femmes ?

Il est difficile d’avoir un portrait juste de la présence des femmes en finance. Combien sont-elles ? La parité est-elle en voie d’être atteinte ? Il existe peu d’études qui dressent un état des lieux de façon globale.

Le secteur bancaire est l’un des plus largement investis par les femmes. Selon les chiffres de l’Association des banquiers canadiens, en 2020, les femmes occupaient 38,5 % des postes de cadres supérieurs, comparativement à 37,9 % l’année précédente, et 48,5 % des postes de cadres intermédiaires (49,1 % en 2019).

Selon l’Autorité des marchés financiers, les femmes représentent plus de la moitié des conseillers en épargne collective. Toutefois, du côté des planificateurs financiers, le nombre de nouvelles diplômées stagne autour de 35 % depuis 2011, si l’on se fie aux données de l’Institut québécois de planification financière (IQPF).

Les femmes sont très loin de la parité dans le secteur de la gestion de portefeuille. « Je suis dans le domaine depuis 30 ans, et les chiffres ont à peine bougé, déplore Mary Hagerman. Selon les études, à l’échelle mondiale, il y aurait à peine 1,5 % de femmes gestionnaires de portefeuille. C’est d’autant plus dommage que les femmes obtiennent de très bons résultats. »

En effet, un sondage de la firme américaine Investment Metrics l’a récemment confirmé. La firme américaine a étudié les performances de 353 portefeuilles gérés par 176 sociétés sur dix ans. Or, la plupart du temps, les femmes gestionnaires de portefeuille battent leurs indices de référence.

Il est difficile de cerner la ou les causes du peu d’attrait envers la profession chez les femmes, selon Mary Hagerman. « Ce que j’ai constaté, c’est qu’elles se contentent souvent du poste de gestionnaire adjointe. Est-ce parce qu’on ne leur ouvre pas la porte pour qu’elles aient leur propre business ou reculent-elles face à l’apport financier qu’elles doivent y mettre ? Il faudrait étudier la question. »

Jennifer Dulac

Jennifer Dulac

BIEN S’ENTOURER POUR RÉUSSIR

L’entourage joue un rôle important dans la progression d’une carrière, que ce soit pour gagner des connaissances supplémentaires, développer des capacités ou avoir du soutien en cas de besoin. «On ne réussit pas toute seule, et il n’y a pas de honte à demander de l’aide», affirme Jennifer Dulac.

Pour elle, un bon entourage professionnel est composé de sept individus. «Selon mon expérience, il faut deux personnes qui ont la même ancienneté que moi, avec qui je peux parler de nos expériences respectives, deux qui sont à un échelon supérieur pour me tirer vers le haut et trois qui sont à un poste subalterne. Avoir des gens qui sont plus débutants permet aussi d’apprendre.

Leur façon de réagir face aux difficultés peut être inspi-rante et ils apportent de nouvelles idées.»

L’on peut également s’entourer d’autres types de professionnels. Si Ann-Rebecca Savard n’avait qu’un conseil à donner, ce serait de ne pas attendre d’être complètement débordée avant d’embaucher un ou une adjointe. «En plus de m’aider à être plus productive en s’occupant des tâches administratives, mon adjointe me complète à merveille, confie-t-elle. Elle voit des choses que j’ai pu manquer, ce qui me permet d’améliorer la qualité générale du service que j’offre à mes clients. Selon moi, se doter d’une adjointe est le meilleur investissement qu’un conseiller peut faire, même en début de carrière, quitte à en engager une à temps partiel pour commencer et augmenter ses heures graduellement.»

Mary Hagerman

Mary Hagerman

Il est également important d’être soutenu en dehors du travail. Mary Hagerman rappelle souvent aux femmes que l’organisation à la maison est aussi importante que la qualité de son organisation au bureau. «Si ça ne marche pas à la maison, ce sera difficile de garder le rythme au travail», soutient la conseillère en placement chez Raymond James. Mère de trois enfants aujourd’hui adultes, elle peut compter depuis 20 ans sur une aide à la maison. «Je la considère comme un membre de mon équipe aussi importante que tous les autres. Elle m’apporte une stabilité émotionnelle qui me permet d’avoir la tête au travail. C’est primordial à la réussite.»

Catherine Laflamme

Catherine Laflamme

Pour les jeunes générations, le partage des responsabilités paren-tales semble plus facile à exercer. Il permet de mieux jongler entre obligations professionnelles et familiales. Catherine Laflamme le vit au quotidien. «Je crois à l’esprit d’équipe dans le couple comme au travail. On ne se reproche jamais mutuellement de trop travailler. On marche ensemble en trouvant les solutions qu’il faut», affirme la gestionnaire de portefeuille à RBC Gestion de patrimoine, qui vit au sein d’une famille reconstituée comptant six enfants. Cette collaboration pleine et entière de son conjoint — et l’aide ponctuelle de sa mère — lui a permis de mener de front carrière, vie familiale et études. Elle détient les titres de gestionnaire de portefeuille (CIM), de planificatrice financière, de Fellow de la Canadian Securities Institute et terminera en juin le programme Family Enterprise Advisor.

Selon Mélanie Beauvais, même si les pères font davantage leur part, il n’en reste pas moins que la femme porte encore le poids de la charge mentale reliée à l’organisation domestique, une opinion partagée par toutes les femmes interviewées. «Il faut apprendre à laisser aller… même si ce n’est pas facile tous les jours», concède-t-elle.

Que faire pour en attirer davantage ?

L’IQPF entend passer à l’action pour mieux faire connaître la planification financière en ciblant plus particulièrement les femmes et les jeunes, de façon à accroître le nombre de diplômés. Préparer la relève et donner accès à l’expertise d’un planificateur financier à un plus grand nombre de Québécois sont deux des objectifs de sa planification stratégique 2022‑2025.

L’IQPF a également déployé des efforts pour inciter plus de femmes à poser leur candidature comme administratrices de l’organisme. Une stratégie qui a donné des résultats positifs. « On a reçu d’excellentes candidatures, affirme Chantal Lamoureux, présidente-directrice générale. On est maintenant dans la zone paritaire. »

Mélanie Beauvais est membre du conseil d’administration de l’IQPF depuis juin 2020. « Lors des deux dernières élections, plus de femmes se sont présentées, un signe encourageant qui montre que la situation évolue. Il faut parfois un petit coup de pouce pour les convaincre, mais c’est important que les femmes prennent leur place dans les différentes instances de la profession. »

L’Association de la relève des services financiers, anciennement la division montréalaise du Regroupement des jeunes courtiers du Québec (RJCQ), prévoit d’effectuer dès 2024 une tournée dans les universités pour convaincre plus de femmes de faire carrière comme conseillères en services financiers. « Elles sont nombreuses à étudier en finance. Plusieurs se tournent vers le secteur bancaire en raison des possibilités d’emploi et de la prévisibilité des revenus. On veut aller leur parler pour leur dire qu’une carrière dans les services financiers offre également des perspectives intéressantes », explique Ann-Rebecca Savard, présidente de l’organisme depuis 2020.

À force de répéter le message, les femmes seront convaincues que le monde de la finance leur appartient aussi.

Mélanie Beauvais

Mélanie Beauvais

DÉJOUER LE SYNDROME DE L’IMPOSTEUR

Ne pas se sentir légitime. Douter de ses compétences. Craindre d’être démasquée. Beaucoup de personnes — des femmes surtout — éprouvent ces sentiments qui freinent leurs élans pour avancer. «J’ai tendance à beaucoup analyser avant de prendre une décision, parfois trop. J’ai besoin d’être sûre de moi avant de sauter», analyse Mélanie Beauvais, planificatrice financière chez Bachand Lafleur.

Elle a pourtant une feuille de route impressionnante. Actuaire de formation, elle a travaillé pendant quelques années pour Aon comme consultante en régimes de retraite avant de bifurquer vers la planification financière, qui lui procure la satisfaction d’aider plus concrètement les investisseurs.

C’est que le syndrome de l’imposteur est insidieux. Malgré les succès accumulés, il continue de faire douter bon nombre de femmes. Pour enfin se reconnaître à sa juste valeur, il y a différentes astuces à mettre en pratique:lister quotidiennement ses réussites professionnelles (les grandes comme les petites), conserver les félicitations et les retours positifs de ses collègues et clients (pour les relire et se remonter le moral dans les moments creux), s’entourer de gens bienveillants qui sauront exprimer des remarques constructives et faire la sourde oreille aux propos négatifs.

De son côté, Jennifer Dulac lit beaucoup de biographies de gens à succès, comme celle de Philip Knight, le fondateur de Nike. «Cela permet de se rendre compte que tout n’a pas été facile pour ceux qui ont réussi», dit-elle. Un bon moyen pour relativiser les inévi-tables embûches qui se présentent sur son chemin.

OSER DEMANDER

C’est connu, les femmes hésitent à postuler pour un emploi si elles ne possèdent pas toutes les compétences recherchées (et la liste est souvent très longue). Or, ce n’est pas nécessaire de cocher toutes les cases. «Il faut oser aller voir, conseille Mélanie Beauvais. Même si on n’obtient pas le poste, la démarche sera enrichissante. On se fait connaître, ce qui peut nous ouvrir des portes plus tard. Il est aussi possible que l’on découvre de nouveaux chemins tout aussi intéressants qui nous amèneront là où on veut.»

Les femmes ont également beaucoup de mal à négocier leur salaire lors d’une embauche ou à demander une augmentation (le syndrome de l’imposteur, encore une fois). Résultat:elles laissent beaucoup d’argent sur la table, ce qui cause un écart de revenus important en fin de carrière comparativement aux hommes.

«Il faut oser, même si ce n’est pas facile ou que l’on doute de nos compétences. On n’a rien à perdre à se jeter à l’eau, conseille Jennifer Dulac. C’est même un très bon exercice qui devient plus facile à force de le pratiquer.»

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Sylvie Lemieux

Sylvie Lemieux est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.