Conseil à distance : la future norme?

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 1 juin 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Avant même la crise du coronavirus et l’exigence de confinement, plusieurs représentants se servaient des technologies pour travailler à distance. Une pratique qui a été étendue à tous pendant la pandémie, mais qui devrait s’imposer à long terme.

Lorsque nous l’avons contacté, Eric F. Gosselin, planificateur financier, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective rattaché aux Services en placements PEAK, en finissait avec la saison des REER. Et cette année, il avoue avoir réalisé les trois quarts de ses rencontres à distance. « C’est exponentiel, indique-t-il. L’an dernier, ce n’était que de 40 à 50 % maximum. Nous avons tous des horaires de rock stars. Il faut jongler entre le travail, les devoirs des enfants, l’horaire du conjoint. Avec la visioconférence, tout le monde sauve du temps. »

Économie de temps donc, mais aussi d’argent, notamment en termes d’achat de papier et d’encre pour l’imprimante, comme plusieurs tâches se font de façon numérique. Et puis réduction de l’empreinte carbone également. Alors qu’il parcourait environ 35 000 kilomètres par année pour des raisons professionnelles il y a encore dix ans, M. Gosselin n’en fait plus que 5 000 aujourd’hui.

« Ça améliore nettement ma qualité de vie, raconte-t-il. Avant, je quittais tôt le matin, je roulais des kilomètres pour aller d’un client à un autre, et je rentrais tard le soir. Aujourd’hui, j’ai plus de rendez-vous et ça entre dans des heures presque normales de travail. »

Pénurie de conseillers en région

Mike Minville a quant à lui ses bureaux à Baie-Comeau, sur la Côte-Nord. Après une carrière dans les médias, il est devenu conseiller en sécurité financière et conseiller en assurance et rentes collectives à son compte, il y a sept ans.

« Mais en région éloignée, les clients sont rares, dit-il. J’ai alors fait appel à des entreprises de recommandations, qui me proposent de nouveaux clients. D’abord Pro Spect assurances, par le site web Clic Assure, et maintenant Sécure à Vie. Mais elles ne pouvaient pas combler mes besoins sur mon territoire rapproché. Elles m’ont demandé si j’avais de l’intérêt à travailler à distance. J’ai accepté. »

Aujourd’hui, M. Minville a donc des clients dans tout le Québec. Une clientèle qu’il appelle « relationnelle », celle des débuts, avec laquelle il a un lien de confiance et dont il gère toutes les finances, et une clientèle « transactionnelle », arrivée vers lui via une demande de soumission sur la plateforme web de l’entreprise de recommandations, pour une assurance vie ou assurance prêt hypothécaire la plupart du temps. Certains de ces clients transactionnels sont devenus des relationnels, relate-t-il, malgré les kilomètres qui les séparent souvent. Il croit que le conseil à distance est aussi une réponse à la pénurie de conseillers en région.

« Dans de nombreuses communautés, les habitants ont le choix entre Desjardins, Sun Life et Industrielle Alliance, note-t-il. Il n’y a pas de courtier indépendant. Or, aujourd’hui, les gens veulent pouvoir magasiner. C’est ce que je fais pour eux. »

Une pratique toujours conforme?

La Chambre de la sécurité financière confirme que le représentant peut utiliser les technologies de l’information (TI) pour « rencontrer » un client et lui offrir des produits ou des services financiers. Elle nuance toutefois, soulignant que dans certaines situations, l’usage des TI pourrait rendre plus ardue l’exécution de ses obligations légales et déontologiques.

« Le niveau de connaissances et d’aisance en TI varie d’une personne à l’autre, peut-on lire sur le site Internet de la Chambre. Une utilisation inadéquate de ces technologies, par le représentant ou par son client, pourrait donc poser problème non seulement sur le plan de la protection des renseignements personnels et de la vérification de l’identité du client, mais également sur le plan de la qualité de la compréhension et du consentement du client. »

Le représentant doit ainsi mettre en place un système de questions personnelles lui permettant de vérifier l’identité de son client. Il doit par ailleurs s’assurer de la confidentialité et de la sécurité des données recueillies, que ce soit lors de leur collecte, utilisation, communication, conservation ou destruction. Enfin, le fait de rencontrer virtuellement un client ne soustrait en rien le conseiller de ses obligations envers celui-ci. Les impératifs demeurent les mêmes et si ceux-ci ne sont pas respectés, le représentant s’expose à des sanctions.

Faire parler le non-verbal

L’un comme l’autre affirment qu’il est aujourd’hui normal pour les clients d’entretenir une relation à distance avec leur conseiller, COVID-19 ou pas. Pour les jeunes, bien entendu, ceux qui sont presque nés avec un téléphone intelligent dans la main, mais pas seulement.

Certains peuvent cependant avoir besoin d’une petite période d’adaptation. Eric F. Gosselin raconte avoir déjà surpris une cliente âgée en train de se repeigner lorsqu’elle s’est vue sur l’écran en visioconférence. C’était la première fois qu’elle prenait part à une telle rencontre virtuelle.

D’autres prennent rendez-vous pour une visioconférence, mais au dernier moment, lui demandent une rencontre téléphonique, prétextant une panne de caméra… parce qu’ils sont en réalité encore en pyjama ou pas maquillés, croit-il. Il accepte, mais juge cependant la visioconférence plus adaptée.

« Face à la caméra, je peux comprendre, par un froncement de sourcil par exemple, quand j’ai perdu un client avec mes explications, affirme-t-il. Il peut être poli et ne pas vouloir m’interrompre, mais moi, je vais discerner lorsque l’esprit a quitté le corps. »

« [Mes confrères] n’imaginent pas à quel point le client se sent impliqué lorsqu’il sait qu’il peut me joindre quand il le souhaite par texto, courriel, Facebook, tous les moyens technologiques. »

Mike Minville

Extraterrestres c. « technosaurus »

Avant la pandémie, MM. Minville et Gosselin étaient-ils des exceptions dans leur milieu? Le premier le croit fermement.

« Nombre de confrères n’envisageaient pas de pouvoir créer un lien de confiance avec quelqu’un par l’entremise des technologies, déplore-t-il. Je me sentais vraiment comme un extraterrestre! Ils n’imaginent pourtant pas à quel point le client se sent impliqué lorsqu’il sait qu’il peut me joindre quand il le souhaite par texto, courriel, Facebook, tous les moyens technologiques. Je réagis rapidement. Je suis toujours là pour lui. Et c’est un vrai avantage par rapport à ce que peut faire une institution financière. Je ne suis pas soumis à des heures d’ouverture spécifiques comme l’est un employé. Il m’est arrivé de souscrire une assurance avec un client à 23 heures! »

Eric F. Gosselin est moins pessimiste. Selon lui, il existe bien quelques « technosaurus », ces dinosaures qui ne s’adapteront jamais… mais il y en a de moins en moins, surtout dans la situation actuelle. Il offre d’ailleurs une formation à ses collègues sur la signature électronique appliquée à leur secteur et il note que celle-ci est populaire.

« La signature électronique, c’est ce qui rend le conseil à distance possible, affirme-t-il. Elle nous protège énormément. Au moment où le client signe, son adresse IP est consignée, ainsi que l’heure, le lieu, le type d’appareil et si j’ai fait des modifications dans le document par la suite. Tout ça est enregistré dans le certificat d’authenticité. Elle a aujourd’hui un poids juridique très important. »

« Il est très facile de documenter nos faits et gestes. J’enregistre toutes les conversations avec mes clients et je les mets au dossier, par exemple.  »

Eric F. Gosselin

Tout documenter

Signature électronique, donc, mais aussi formulaire électronique. En 2013, lorsqu’il a démarré, Mike Minville raconte qu’il lui était impossible de travailler à distance parce que tous les assureurs ne disposaient que de formulaires sur papier. Aujourd’hui, rares sont ceux qui n’offrent pas de documents numériques. Sa contrariété aujourd’hui demeure de ne pas être plus soutenu par les autorités de réglementation, en matière de conformité notamment.

« C’est comme si le conseil à distance n’existait pas, regrette-t-il. Il y a très peu de formations offertes à ce sujet. J’ai dû développer mes propres outils, mes propres pratiques tout seul dans mon coin. » Il fait par exemple des captures d’écran des textos qu’il reçoit de ses clients et sauvegarde tous leurs courriels. Eric F. Gosselin estime pour sa part que le conseil à distance offre plutôt de belles occasions en matière de conformité.

« Il est très facile de documenter nos faits et gestes, note-t-il. J’enregistre toutes les conversations avec mes clients et je les mets au dossier, par exemple. »

Les deux hommes sont persuadés qu’à long terme, la grande majorité du conseil financier se fera au moyen des technologies. Les professionnels n’auront à voir les clients en personne qu’en cas de dossier complexe ou de portefeuilles très importants. Parfois aussi lors de la première rencontre parce que certains clients ont besoin de cette présence pour savoir si le courant passe.

M. Gosselin affirme avoir un avantage certain dans le contexte de confinement dû au coronavirus.

« La plupart de mes clients sont habitués à me parler à distance et cela ne change rien pour eux, souligne-t-il. Et puis, j’ai été amené à faire quatre visioconférences en une semaine avec des clients que je rencontrais jusque-là en personne. Je suis convaincu que certains d’entre eux vont vouloir continuer de la sorte tant ils constatent que je suis tout aussi professionnel et qu’ils gagnent un temps considérable. »

Quelles applications utiliser ?

  • Skype, pour la possibilité que cette application offre de faire du partage d’écran. Ainsi, le conseiller peut montrer à son client des diagrammes, comme s’ils étaient tous les deux l’un en face de l’autre.
  • FaceTime, pour sa simplicité. Cette application se trouve d’office sur tous les appareils de marque Apple. Elle est très facile d’utilisation avec la clientèle plus âgée, notamment.
  • Facebook Messenger, parce que 70 %1 des adultes québécois sont des utilisateurs de Facebook.
  • GoToMeeting, parce que cette plateforme permet de rejoindre les clients à leur lieu de travail. Elle permet en effet de passer les filtres de sécurité apposés par les TI au sein des entreprises.

1Source : NETendances 2018


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2020 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Hélène Roulot-Ganzmann