Bas taux d’intérêt : un véritable casse-tête

Par Jean-François Venne | 15 mars 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Viktoriia Degtiarova / 123RF

Mieux vaut s’en accommoder, les bas taux d’intérêt sont là pour rester. Les investisseurs devront donc continuer à faire preuve d’imagination pour trouver des rendements intéressants sans prendre trop de risques.

De manière générale, les taux d’intérêt avoisinent zéro depuis la crise de 2008-2009. Dans certains pays comme le Japon, la Suisse et le Danemark, les banques centrales affichent même des taux négatifs. Pour les propriétaires d’immeubles, les consommateurs et les entreprises, il s’agit d’une bonne nouvelle. Pour les investisseurs peu friands de risque qui misaient sur les titres à revenu fixe, cette situation est plus complexeé

«Traditionnellement, les titres à revenu fixe jouent trois rôles:ils génèrent des paiements réguliers, ils stabilisent les portefeuilles en raison de leur faible volatilité et ils permettent de les diversifier», résume Caroline Grandoit, CFA, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, solutions multi-actifs à Fiera Capital.

Les obligations émises par les gouvernements, notamment canadien et américain, offrent toutefois des rendements faméliques. En janvier, les obligations du Canada proposaient en moyenne 0,56 % d’intérêt. Plus le terme allonge, plus le niveau de rendement augmente, mais même une obligation de dix ans ne dépassait pas 0,90 %. Le rendement d’un bon du Trésor sur trois mois procurait environ 0,08 %.

«Cela crée un casse-tête pour les investisseurs, puisque les titres à revenu fixe n’arrivent plus à jouer leur rôle traditionnel dans un portefeuille et tout indique que cette situation durera un long moment», souligne Caroline Grandoit.

D’autant que sur les marchés secondaires, le prix des obligations évolue en sens inverse du taux d’intérêt. C’est ce que l’on appelle le risque de taux. Lorsque ce dernier baisse, le cours des obligations augmente. Celles qui offrent un taux d’intérêt plus élevé que le taux obligataire actuel procurent un revenu plus intéressant. Leur détenteur pourra donc les revendre avec une prime.

«  Cela crée un casse-tête pour les investisseurs, puisque les titres à revenu fixe n’arrivent plus à jouer leur rôle traditionnel dans un portefeuille et tout indique que cette situation durera un long moment.  »

Caroline Grandoit

À l’inverse, si l’obligation offre un taux d’intérêt plus faible que le taux obligataire courant, elle vaudra moins et devra être revendue à perte (escompte). Ainsi, acheter des obligations à moyen et long terme maintenant devient moins attrayant, étant donné qu’elles perdront de la valeur si les taux grimpent au cours des prochaines années.

Trouver d’autres options

Dans un tel contexte, quelles stratégies s’offrent aux investisseurs qui n’aiment pas trop le risque ou ne peuvent se permettre d’en prendre beaucoup, comme les préretraités et les retraités ?

«Pour générer un peu plus de rendement, on doit accepter un peu plus de risque, c’est inévitable, croit Hugo Ste-Marie, CFA, directeur, portefeuille et stratégie quantitative à la Banque Scotia. On peut toutefois utiliser la diversification pour contrôler ce risque.»

Sans être mirobolants, les taux des obligations émises par les provinces ou les municipalités sont un peu supérieurs, mais ces titres sont légèrement plus risqués. En janvier, les obligations à taux fixe du Québec proposaient 1,60 % pour un terme de dix ans et 1,00 % pour un terme de cinq ans. L’investisseur peut aussi miser sur des obligations d’entreprises. Les choix de ce côté varient grandement et on retrouve autant des titres d’entreprises de qualité que d’autres plus spéculatifs. Bien sûr, plus le rendement promis est élevé, plus le risque augmente.

«Les fonds communs de placement et les fonds négociés en Bourse représentent une bonne manière de profiter de ces obligations en réduisant les risques, poursuit Hugo Ste-Marie. Ils permettent d’acheter un panier d’obligations de sociétés plutôt que de placer toutes ses billes dans deux ou trois titres.»

Évidemment, ces fonds n’échappent pas complètement au risque de taux et pourraient perdre de la valeur en cas de remontée des taux d’intérêt. Pour diminuer ce danger, la plupart des gestionnaires composent des fonds avec des titres dont les échéances varient. Cela permet d’utiliser l’argent fourni par les titres à plus court terme qui arrivent à maturité pour en acquérir des nouveaux, qui offrent un meilleur rendement. Cela réduit grandement la volatilité.

Garder quelques obligations

Les faibles taux d’intérêt n’obligent donc pas à faire une croix sur les obligations. «Même en période de bas taux, un portefeuille équilibré doit toujours contenir des titres à revenu fixe, car ils demeurent essentiels à la diversification du risque», avance Francis Sabourin, directeur, gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille chez Patrimoine Richardson.

C’est particulièrement vrai pour les personnes qui investissent à court terme. «Quand on a un horizon de placement à long terme, on favorise les actions, mais si l’horizon est plus court, on préfère ajouter une plus grande portion de revenu fixe à un portefeuille – indépendamment des taux d’intérêt – car le revenu protège un portefeuille des fluctuations, notamment celles des actions», indique Francis Sabourin.

Parlant d’actions, elles ne sont pas totalement imperméables aux effets des changements de taux, bien que ceux-ci se fassent sentir de manière moins directe. Les bas taux d’intérêt laissent penser que les consommateurs accèdent plus aisément au crédit, ce qui augmente le niveau de consommation et favorise certaines entreprises émettrices d’actions. Les sociétés ont elles aussi accès à un crédit à meilleur marché, ce qui réduit le fardeau de leur endettement.

«  Même en période de bas taux, un portefeuille équilibré doit toujours contenir des titres à revenu fixe, car ils demeurent essentiels à la diversification du risque.  »

Francis Sabourin

À l’inverse, une remontée des taux d’intérêt peut nuire à la consommation et à l’accès au crédit, créant un ralentissement économique. Des investisseurs peuvent vouloir se protéger en vendant une partie de leurs actions pour les remplacer par des obligations. Cela peut donc faire baisser le prix des actions. «Mais de nombreux autres facteurs influent sur le prix des actions et l’impact des taux d’intérêt devient parfois difficile à cerner», concède Caroline Grandoit.

Sortir des sentiers battus

Dans un contexte de bas taux d’intérêt, les investissements non traditionnels peuvent aussi constituer une partie de la solution. «Nous croyons que ces placements devraient faire partie d’un portefeuille, peu importe le niveau des taux, mais c’est sûr qu’ils suscitent plus d’intérêt chez les investisseurs quand les taux sont bas», précise Claire Van Wyk-Allan, directrice pour le Canada de l’Alternative Investment Management Association (AIMA).

En choisissant les placements dits alternatifs, les investisseurs cherchent à se procurer un rendement intéressant et à se diversifier avec des produits qui sont peu corrélés aux actions et aux obligations. «Ces placements ont longtemps été réservés aux investisseurs institutionnels, mais la réglementation a changé ces dernières années et les investisseurs au détail peuvent aussi se les procurer», note Belle Kaura, présidente du conseil d’administration d’AIMA Canada et vice-présidente, affaires juridiques et directrice en chef de la conformité de Third Eye Capital.

Parmi les investissements alternatifs courants, on retrouve par exemple l’immobilier, le crédit privé, les fonds de couverture ou encore les matières premières.

Les investisseurs peuvent choisir d’investir par l’entremise d’un fonds. Ces derniers obéissent toutefois à des règles différentes des fonds classiques. Ils peuvent placer jusqu’à 20 % de leur valeur liquidative dans les titres d’un seul émetteur, soit deux fois plus qu’un fonds classique. Ils peuvent aussi investir tous leurs fonds directement ou indirectement dans des marchandises physiques et les métaux précieux, alors que les fonds classiques ne peuvent le faire qu’indirectement.

«  [Les placements alternatifs] devraient faire partie d’un portefeuille, peu importe le niveau des taux.  »

Claire Van Wyk-Allan

«Ces produits offrent des stratégies intéressantes et devraient gagner encore en popularité au cours des prochaines années, estime Claire Van Wyk-Allan. Je crois toutefois qu’il faut continuer de diffuser de l’information afin que les conseillers et les investisseurs les comprennent mieux.»

On le voit, le contexte actuel invite les investisseurs et les conseillers à se questionner pour optimiser les portefeuilles. Pour Caroline Grandoit, rien ne sert de jouer à l’autruche. «Il faut accepter notre environnement économique actuel et ajuster nos stratégies pour trouver des produits qui jouent le rôle que les titres à revenu fixe peinent désormais à jouer», juge-t-elle.

Au 30 septembre 2020, le Canada comptait 85 fonds communs de placement non traditionnels, 59 fonds négociés en Bourse alternatifs et 182 fonds de couverture.

Source : Fundata

Jean-François Venne