La popularité des facteurs ESG décortiquée

Par Didier Bert | 15 mars 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Planter une pousse.
Photo : Andriy Popov / 123RF

Quand la pandémie est apparue, les placements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) étaient en plein essor, stimulés par l’enjeu des changements climatiques. La crise sanitaire et économique pourrait avoir encore accéléré cette tendance. Mais ce serait oublier les autres éléments qui expliquent l’attrait renforcé des investisseurs et des conseillers au cours de la dernière année pour l’ensemble des facteurs ESG.

Au 31 décembre 2019, les Québécois détenaient près de 700 milliards de dollars en actifs investis dans la finance socialement responsable, soit une hausse de plus de 50 % au cours des trois dernières années, indique le Portrait 2020 de la finance responsable au Québec, publié en novembre dernier par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC).

Or, le potentiel de croissance est encore élevé, car ce sont surtout les investisseurs institutionnels qui misent sur les placements responsables. Et 75 % des investisseurs particuliers canadiens aimeraient que leur fournisseur de services financiers les informe sur les options d’investissement responsable (IR), selon un sondage mené en octobre 2020 par la firme AGF pour le Mouvement Desjardins. Cependant, seuls 28 % des répondants ont été interrogés par leur fournisseur quant à savoir s’ils étaient intéressés par l’IR.

L’effet de la pandémie

En 2020, alors que la planète voyait se répandre la COVID-19, plusieurs professionnels ont noté une accélération de l’intérêt des particuliers et des conseillers à cet égard. «La pandémie y est pour quelque chose : les gens ont pris le temps de regarder leurs finances, alors qu’avant ils reportaient cette analyse», constate Lyne Larochelle, représentante en épargne collective et conseillère en sécurité financière à Investia. Membre de l’Association pour l’investissement responsable (AIR), elle reçoit beaucoup plus de clients depuis mars 2020, d’abord attirés par l’IR. «Avant la pandémie, il y avait une demande, mais mon rythme d’ouverture de comptes est depuis devenu très élevé.»

Ces nouveaux clients veulent aligner leurs valeurs personnelles avec la profitabilité de leur portefeuille. «Depuis la pandémie, tous mes nouveaux clients investissent systématiquement dans des fonds socialement responsables, certains même à 100 %», remarque Mme Larochelle. Des clients ont confié avoir changé de conseiller parce que ceux avec lesquels ils faisaient affaire précédemment manquaient d’intérêt envers les placements ESG.

Les conseillers s’informent

La conseillère en sécurité financière Ann-Rebecca Savard a elle aussi vu l’attrait monter envers les placements ESG, non seulement de la part des clients, mais aussi des conseillers. À son poste de conseillère aux ventes et à l’investissement à MICA Cabinets de services financiers, elle observe que 60 % des questions posées par les conseillers portaient sur les placements ESG en 2020. «Des conseillers de tous âges m’ont demandé comment en parler à leurs clients, quelle est l’offre existante, quels sont les meilleurs fonds», énumère-t-elle. Certains conseillers n’ayant aucune connaissance en matière d’ESG s’étaient fait approcher par des clients’ et ne savaient pas comment répondre à cette demande croissante.

Chez Desjardins, l’actif sous gestion des fonds communs de placement en investissement responsable SociéTerre a augmenté de 1,5 milliard de dollars en 2020, soit une hausse de 45 %. Cette augmentation est attribuable à la fois à la croissance des ventes et aux gains sur les marchés, indique Deborah Debas, conseillère principale, Investissement responsable à la coopérative.

Avec la pandémie, «tout le monde a remis des choses en question, redonné la priorité à sa famille, sa communauté et à la santé de la planète, analyse-t-elle. C’est rassurant de savoir que notre portefeuille de placement contribue à résoudre des problèmes qui touchent tout le monde. Il y a une conjoncture en ce moment où des gens comprennent qu’investir, c’est aussi voter.»

Ce qui était une question morale il y a quelques années est devenu une question de gestion des risques. «Les gens ont réalisé que l’économie ne peut pas fonctionner si la société ne fonctionne pas adéquatement et si l’environnement souffre», constate Rosalie Vendette, experte en finance durable.

«  La pandémie y est pour quelque chose : les gens ont pris le temps de regarder leurs finances, alors qu’avant ils reportaient cette analyse. »

Lyne Larochelle

Mais la pandémie n’explique pas à elle seule l’accélération de l’attrait envers les placements ESG. Ce serait oublier des facteurs purement financiers:80 % des fonds responsables ont surpassé le rendement moyen de leur catégorie d’actifs sur une période de trois ans, indique le rapport du troisième trimestre 2020 de l’AIR.

«Dans les questions, c’est le facteur environnement qui revient le plus souvent, observe Ann-Rebecca Savard. Mais la pandémie a un peu rééquilibré la pondération avec les critères sociaux et de gouvernance.»

La majorité des gens veulent la globalité des facteurs ESG, précise-t-elle. «Le E est une porte plus directe et facile à comprendre pour aller vers l’ESG, parce que la menace est plus généralisée, et touche davantage de monde», juge Lyne Larochelle.

«On n’a pas de vaccin contre le changement climatique, qui restera une des sources de perturbation des marchés dans les prochaines années», souligne Deborah Debas. Les entreprises devront se préparer aux risques climatiques, et s’adapter aux nouvelles réglementations pour préparer une transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement.

Pas seulement l’environnement

Les enjeux sociaux et de gouvernance ne sont plus aussi minoritaires comparativement au facteur environnemental. L’année 2020 n’a pas été que l’année de la pandémie, c’est aussi celle où George Floyd est mort lors de son arrestation par des policiers de Minneapolis, donnant lieu à la vague mondiale du mouvement Black Lives Matter. Et alors que la COVID-19 arrivait au Canada, ce sont les barrages ferroviaires dressés par des communautés autochtones qui faisaient les manchettes.

Mme Larochelle s’attend à ce que l’intérêt pour les facteurs ESG grandisse encore, surtout que ces facteurs sont tous interreliés. La cause des Autochtones et la cause environnementale vont de pair, illustre-t-elle. «On parle de transition énergétique, mais on ne peut pas parler de transition sans parler des gens qui la subissent ou sur lesquels un projet économique a un impact», explique-t-elle.

Le développement des placements ESG devrait aussi bénéficier de la recrudescence de l’achat local, constaté lors de la pandémie. «Les gens n’ont pas encore fait le lien entre localisation et investissement», note Mme Vendette. Toutefois, les investisseurs finiront par demander des preuves que leur épargne fructifie tout en ayant une action locale, assure-t-elle.

«  Dans les questions, c’est le facteur environnement qui revient le plus souvent, mais la pandémie a un peu rééquilibré la pondération avec les critères sociaux et de gouvernance. »

Ann-Rebecca Savard

L’enjeu lié à la gouvernance ne doit pas être négligé. C’est même une des premières choses qu’on doit regarder avant d’investir, assure Deborah Debas. «Si l’entreprise veut améliorer la prise en compte des facteurs ESG, la gouvernance doit en être consciente et mettre en place les moyens d’atteindre ces objectifs», insiste-t-elle. Là aussi, les choses évoluent. Début janvier, Apple a ajouté des critères de responsabilité sociale et environnementale dans le calcul des bonus de ses hauts dirigeants.

Une sélection plus fine

Les stratégies de suivi des critères tendent à se diversifier. Jusqu’à récemment, on parlait surtout des filtres d’exclusion, qui consistent à écarter d’un portefeuille les actions d’entreprises ayant des activités dans des secteurs non désirés, comme le tabac, la vente d’armes, les énergies fossiles…

Mais l’exclusion n’est plus la seule stratégie d’investissement responsable. «De plus en plus, les firmes mettent l’accent sur les bonnes pratiques», relève Christian Richard, chef des placements à RGP Investissements. On ne demande alors plus seulement aux entreprises d’identifier et de divulguer les risques, mais également de travailler à la mise en ouvre d’une gestion des risques basée sur des pratiques exemplaires.

Dans cette optique, les gestionnaires de portefeuilles ESG vont aussi tendre à regarder plus en détail si telle pratique est un enjeu d’importance pour telle ou telle entreprise. C’est ce qu’on appelle la «matérialité» des enjeux : quels risques peuvent avoir une importance capitale sur la durabilité des pratiques d’affaires s’ils ne sont pas bien gérés ?

«Des industries ont une incidence sur l’environnement de par leur activité, en émettant du carbone, explique Christian Richard. Les entreprises de ces industries s’en préoccupent-elles ? Font-elles une bonne gestion de ces risques ? Nous, on regarde quels sont les risques que les entreprises publiques arrivent à gérer, parmi tous les risques auxquels elles sont confrontées.»

Par exemple, pour analyser la gestion des risques d’une banque, la consommation d’eau n’est probablement pas le meilleur indicateur. «Les pratiques d’affaires et l’animation de la gouvernance sont des questions plus matérielles», estime Christian Richard.

Avec la «matérialité», ce qui compte, ce n’est pas tant là où en est l’entreprise à un moment donné, mais plutôt ce qu’elle propose en matière de transformation. «Si la solution amenée est concrète et importante, cela peut se transformer en bonne performance pour l’entreprise», précise Christian Richard.

La capacité de l’entreprise à adopter des pratiques exemplaires pourrait bien écarter les sociétés qui communiquent davantage qu’elles agissent. «Les retombées sociales sont la vision d’avenir de l’ESG, croit Lyne Larochelle. Cela permettra une élimination saine de ceux qui veulent entrer dans la parade seulement pour être à la mode.»

De quoi rassurer les clients sur l’utilisation de leur argent pour changer le monde et sur la gestion des risques liés à leurs investissements.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.