2000-2020 : le grand bond de la conformité

Par Didier Bert | 24 mars 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Depuis le lancement de Conseiller, il y a 20 ans, le paysage de la conformité a connu une transformation profonde, avec des répercussions certaines sur la pratique des représentants. L’encadrement de la distribution des produits et des services financiers s’est renforcé tout au long de ces deux décennies. Et ce n’est pas tout à fait fini…

« La grande transformation des 20 dernières années résulte du passage d’une absence d’encadrement avec des pratiques axées sur la production et la vente à un encadrement complet orienté vers le consommateur », illustre Jean-François Gagnon, avocat associé et chef de la direction chez Langlois avocats. « Nous sommes entrés dans une ère de conformité qui s’applique à l’ensemble des marchés financiers, à la suite de scandales tels que l’affaire Enron. »

Fin 2001, la faillite du courtier texan en énergie révélait une fraude massive qui effaçait l’épargne-retraite de centaines de milliers d’investisseurs américains.

Au Québec, la première étape de cet encadrement a été la naissance de la Chambre de la sécurité financière (CSF) en 1999. « Depuis 2000, la création de la CSF est le jalon le plus important vers la professionnalisation des conseillers », affirme Marie Elaine Farley, présidente de la CSF.

La Chambre met en effet de l’avant les trois piliers inspirés des ordres professionnels que sont la formation continue, l’encadrement de la pratique des membres et la discipline par les pairs à travers son comité de discipline.

« Il est évident que la pratique des conseillers a évolué pour adopter des standards et une qualité rehaussés », souligne Mme Farley. « La création de la CSF a été un grand pas en avant », acquiesce Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers.

L’existence de la CSF a pourtant été contestée plusieurs fois depuis sa création. « À chaque remise en question, nous avons finalement pu aller plus loin dans notre façon d’exercer notre encadrement, en collaboration avec le régulateur et le gouvernement, martèle Mme Farley. Si nous sommes encore là, c’est que tout le monde a réalisé que cela était nécessaire pour la protection du consommateur. »

Quelques années après la CSF, c’est l’Autorité des marchés financiers qui a vu le jour le 1er février 2004, prescrite par la Loi sur l’Autorité des marchés financiers. Elle succédait alors à l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier, tout en intégrant les missions du Bureau des services financiers et de la Commission des valeurs mobilières du Québec.

Le gouvernement du Québec la mandate pour superviser le secteur financier québécois et fournir une assistance aux consommateurs de produits et services financiers. L’encadrement englobe l’assurance, les valeurs mobilières, les instruments dérivés, les institutions de dépôt hormis les banques et la distribution de produits et services financiers.

En 2004, les ministres responsables des valeurs mobilières des provinces et territoires canadiens ont initié l’harmonisation de la réglementation dans leurs juridictions respectives, en s’engageant à instituer le régime de passeport. « Il s’agit d’un développement important : ce guichet unique permet aux émetteurs de [traiter] un dossier multi-juridictionnel avec un seul régulateur », souligne l’Autorité.

Cette entente se concrétise en 2009 par l’instauration d’un régime d’inscription pancanadien en valeurs mobilières et la refonte des catégories d’inscription des conseillers, en application du Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites.

« Avant l’harmonisation, chaque distributeur devait aller voir les différents régulateurs provinciaux pour exercer son activité, relève Laure Fouin, avocate associée chez McCarthy Tétrault. Cela a permis aux investisseurs d’être protégés de la même façon et aux inscrits d’avoir des règles communes à suivre. »  Cependant, le domaine de l’assurance n’a pas connu une telle harmonisation, ajoute l’avocate.

« La réglementation ne reconnaît pas le conseil, elle a été mise en place par produits. »

Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers

LA CRISE COMME ACCÉLÉRATEUR

Cette transformation en profondeur s’est accentuée à la suite de la crise financière de 2008‑2009. « Elle a accéléré la mise en œuvre des règles annoncées », estime MFouin. Cette seconde étape a vu les autorités de réglementation de différents pays développer leurs échanges et même harmoniser leurs règles.

« L’approche des régulateurs a été de créer un régime d’imputabilité, à peu près absent auparavant », constate Jean-François Gagnon. Les compagnies et les distributeurs se retrouvent avec des responsabilités qui dépassent le contenu de leurs contrats : l’intérêt du consommateur est mis de l’avant.

Au Québec, l’Autorité a procédé à la normalisation du comportement attendu des acteurs de l’industrie. « Le régulateur a statué que la distribution doit être axée sur les besoins du client », précise MGagnon.

Les conseillers et les cabinets sont soumis à de sévères contrôles de l’AMF et encourent de lourdes sanctions s’ils ne sont pas conformes aux règles.

Annoncée au cœur de la crise, la première phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC) est entrée en vigueur en 2011. Depuis, les conseillers doivent livrer davantage d’informations à leurs clients. Ils doivent notamment déclarer les conflits d’intérêts, renseigner les investisseurs sur les coûts des différents types de comptes et fournir des rapports sur le rendement.

Le MRCC 2 a poursuivi sur cette voie, en obligeant les courtiers et les conseillers à divulguer des informations plus spécifiques sur leurs frais et leur rémunération. Actuellement envisagé par l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels, un MRCC 3 viserait à dévoiler les frais de gestion des fonds d’investissement sur les relevés remis aux investisseurs.

De leur côté, les réformes axées sur le client, annoncées le 3 octobre 2019 par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et déployées sur les deux prochaines années, renforceront le cadre réglementaire en matière de gestion des conflits d’intérêts et de détermination de la convenance. Avant d’ouvrir un compte, d’acheter, de vendre, d’échanger ou de transférer des titres, les conseillers devront notamment établir de façon raisonnable que la mesure donne préséance à l’intérêt du client.

« Les conseillers devront apprendre à vivre dans un environnement très réglementé, qui ne permettra pas beaucoup d’écarts. »

Jean-François Gagnon, avocat associé et chef de la direction chez Langlois avocats

LA DISTRIBUTION INDÉPENDANTE ÉCOPE

Ces transformations successives mènent à un alourdissement de la charge pour les représentants et les cabinets. « Il est de plus en plus difficile pour les petits joueurs de rester dans la distribution de services financiers en raison des coûts et des exigences, croit Flavio Vani. Par exemple, nous sommes maintenant obligés d’avoir une assurance erreurs et omissions pour tous les produits que nous vendons. »

Les factures s’additionnent pour chaque discipline exercée par les représentants, surtout les indépendants, qui sont proportionnellement plus nombreux à être multidisciplinaires. « La réglementation ne reconnaît pas le conseil, elle a été mise en place par produits », regrette M. Vani, qui considère que les mêmes normes ne s’appliquent pas à l’ensemble de la distribution de produits et services financiers.

Il estime que la décision des ACVM, à l’exception de l’Ontario, d’abolir les frais d’acquisition reportés (FAR) empirera la situation. « En s’attaquant à la rémunération, on s’attaque à la distribution indépendante », dit-il, en expliquant que les FAR permettent aux conseillers autonomes d’être rémunérés à long terme au fur et à mesure qu’ils aident les investisseurs à développer leur stratégie financière.

Sans les FAR, seules les personnes aisées pourront se payer des conseils financiers, affirme-t-il. Pour M. Vani, c’est au marché de décider lui-même de la question de la rémunération.

Les Autorités ont en effet annoncé en février 2020 leur intention d’abolir cette forme de commission, jugeant qu’elle suscitait de potentiels conflits d’intérêts. Selon elles, les conseillers pouvaient ainsi être tentés de recommander les produits comportant ce type de rémunération même s’il ne s’agissait pas du meilleur choix en fonction des intérêts du client. Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur le 1er juin 2022.

« Les conseillers devront apprendre à vivre dans un environnement très réglementé, qui ne permettra pas beaucoup d’écarts », prévient Jean-François Gagnon, tout en soulignant qu’il ne faut pas s’attendre à un renforcement considérable de la loi. « On va déjà très loin. »

La transformation de l’encadrement réglementaire se poursuivra dans certains domaines précis, notamment la suite des réformes axées sur le client. La révision des normes de compétences, pour accroître le niveau de compréhension des conseillers concernant les titres, les coûts et les obligations, et l’obligation fiduciaire légale figureraient notamment au programme des prochaines évolutions réglementaires, estime Laure Fouin.

Les ACVM ont annoncé qu’elles se pencheront sur l’examen des titres et des désignations. Et elles entendent aussi clarifier le rôle de la personne désignée responsable − celle chargée de veiller au respect de la législation sur les valeurs mobilières dans une société − et du chef de la conformité.

Grands virages technologiques

Des défis naissent également de l’intelligence artificielle, la distribution par Internet et la vente de produits financiers sans représentant, ajoute Me Gagnon.

« La technologie offre aux assureurs une grande profitabilité parce qu’elle réduit les frais de production, explique-t-il. Les régulateurs devront s’assurer que cela ne se fait pas au détriment de la qualité de l’information au client. » La vente de produits financiers en ligne permet en effet aux manufacturiers de réaliser des économies d’échelle et d’éviter de payer des intermédiaires. Le problème, c’est que ces intermédiaires, comme les conseillers, sont précisément ceux qui s’assurent que les clients comprennent bien ce qu’ils s’apprêtent à souscrire.

Face à ces futures avancées réglementaires, les conseillers seraient bien inspirés d’examiner scrupuleusement leur pratique. « Assurez-vous que vos propres contrôles internes vous mettent à l’abri du régulateur, recommande Me Gagnon. Si vous ne voulez pas vous mettre en péril, restez à l’affût des grands changements qui surviendront sur les marchés. Les assureurs vont prendre des virages technologiques importants qui auront des répercussions sur la distribution. »

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• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2020 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.