À chaque secteur ses enjeux

Par Alizée Calza | 1 juin 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
7 minutes de lecture

Si le désir d’analyser les firmes d’un point de vue environnemental, social et de gouvernance (ESG) dépend de chaque investisseur et de sa stratégie de placement, tous les secteurs ne peuvent pas être évalués de la même façon. En effet, comment comparer le secteur pétrolier avec celui de la finance ? Découvrez-le !

L’un des principes de base dans l’investissement ESG est bien sûr de fonctionner par exclusion. Par exemple, certains écartent toutes les compagnies qui exploitent l’énergie fossile ou s’engagent dans l’exploration de réserves prouvées ou probables.

«Nous, lorsqu’on exclut ces compagnies, c’est parce qu’on estime qu’elles sont trop risquées pour les portefeuilles, mais si, disons dans 20 ans, nous avons encore besoin de pétrole, ces compagnies devront avoir diminué leur bilan d’émission de gaz à effet de serre et trouvé un autre moyen pour se financer», commente Simon Senécal, associé et gestionnaire, investissement responsable (IR) à AlphaFixe.

Bien que ces compagnies soient exclues de beaucoup de fonds ESG, d’autres ne les rejettent pas. Elles les notent pour les comparer à leurs pairs et même avec des compagnies d’autres secteurs.

Un fonds ou un portefeuille responsable, ainsi que les firmes dans lesquelles ils investissent, varie selon la stratégie d’investissement des gestionnaires ou investisseurs.

«La raison d’investir va influencer les attentes que l’on aura envers les entreprises», confirme Rosalie Vendette, experte en finance durable. Par exemple, acheter des actions d’une entreprise permet de voter sur les propositions d’actionnaires lors du vote annuel et, ainsi, d’avoir une influence sur la gestion de la société.

«  La raison d’investir va influencer les attentes que l’on aura envers les entreprises. »

Rosalie Vendette

«En général, ce que l’on regarde, peu importe les secteurs, ce sont les engagements pris par l’entreprise et les moyens mis en oeuvre. On va ensuite comparer l’entreprise à ses pairs. Ce que l’on recherche, c’est que l’entreprise s’attarde aux enjeux principaux touchant son secteur. On parle alors de matérialité», continue Rosalie Vendette.

«[Nos équipes] se concentrent sur les facteurs ESG importants [pour une entreprise], c’est-à-dire ceux qui peuvent avoir une incidence sur la valeur de ses placements», confirme Derek Butcher, analyste ESG principal, Gouvernance d’entreprise et investissement responsable, RBC Gestion mondiale d’actifs (RBC GMA).

DES ENJEUX VARIÉS, MAIS DES POINTS COMMUNS 

La sélection des enjeux à considérer découle donc directement du secteur d’activité. Par exemple, les enjeux sociaux ne sont pas évalués de la même façon dans le cas d’une banque et d’une usine, où les ouvriers sont davantage à risque d’avoir un accident. Dans une banque, la protection des informations personnelles est particulièrement capitale, ce qui ne sera pas spécialement le cas pour une usine.

Concernant le secteur de la santé, RGP Investissements prête une attention particulière au nombre de risques sociaux non gérés (cote de risque S), en plus de valider l’absence d’indice élevé de controverse. Dans le secteur de la technologie, la cote de risque ESG globale devrait être faible. «Comme on estime qu’il est plus facile dans le cas d’une telle entreprise de divulguer les données environnementales, on ne sera pas indifférent à celles qui ont fait le travail en ce sens auprès d’organismes externes reconnus. Une initiative qui démontre leur engagement», précise Christian Richard, associé, chef des placements et gestionnaire de portefeuille à RGP Investissements.

«  [Nos équipes] se concentrent sur les facteurs ESG importants [pour une entreprise], c’est-à-dire ceux qui peuvent avoir une incidence sur la valeur de ses placements. »

Derek Butcher

«Certains secteurs peuvent être plus exposés à des risques ESG importants en raison de la nature de leurs activités. Par conséquent, il est important de tenir compte des meilleures pratiques au sein d’un secteur donné, et de la performance relative d’un émetteur par rapport aux pairs de ce secteur», explique Derek Butcher.

«Ces enjeux ont tout à voir avec les risques qui pourraient toucher l’investisseur, que ce soit en raison de la réputation de l’entreprise ou parce qu’ils découlent de changements réglementaires qui feraient en sorte, par exemple, que les joueurs de l’industrie doivent débourser davantage pour s’y conformer, comme c’est le cas avec une taxe carbone», renchérit Simon Senécal.

À noter qu’il existe des points communs à tous les secteurs. C’est le cas de l’importance de la bonne gouvernance d’entreprise et de la transparence, des changements climatiques et de la gestion des employés, ajoute Derek Butcher.

LE SASB ET LA «MATÉRIALITÉ»

Comme les enjeux varient d’un secteur à l’autre, nombre de firmes désirant faire de l’IR s’intéressent à la matérialité, soit l’importance relative d’un critère. Pour les aider, il existe plusieurs outils, dont la carte de matérialité1 (materiality map) du Sustainable Accounting Standard Board (SASB).

«Le SASB a fait un travail collaboratif avec des entreprises, des représentants des entreprises et le secteur financier pour tenter d’isoler, comprendre et déterminer les enjeux les plus importants pour chaque secteur et sous-secteur. Des critères ont été identifiés pour 77 d’entre eux», explique Rosalie Vendette.

Le standard est toutefois volontaire. En raison d’une absence de législation ou de réglementation, les entreprises n’ont pas l’obligation de l’utiliser, ni même de divulguer l’ensemble des informations requises pour s’y conformer.

Les firmes et les experts en IR comme Rosalie Vendette déplorent ce manque d’uniformité. Comme il existe nombre de référentiels qui ont chacun leurs propres paramètres, les entreprises ne savent plus auxquels transmettre leurs informations.

Ce manque d’uniformité «nuit à l’image»du développement durable, affirme Rosalie Vendette. Toutefois, elle garde espoir puisque le secteur financier travaille actuellement sur une taxonomie de la transition qui devrait fournir un peu de structure et offrir des définitions communes. De même, l’International Financial Reporting Standard (IFRS) a récemment affirmé qu’il était temps d’agir et de standardiser davantage l’IR.

LA DIVULGATION, LE NOEUD DU PROBLÈME 

«Le SASB est le système le plus crédible à utiliser sur le marché à ce jour, alors on s’en inspire. Toutefois, la difficulté réside dans le fait que souvent, on retrouve une panoplie de critères par industrie et les données pour certains critères ne sont pas régulièrement divulguées», déplore Simon Senécal.

Ce problème est particulièrement flagrant dans le domaine d’expertise d’AlphaFixe, le marché obligataire canadien, composé de nombreuses compagnies privées qui dévoilent très peu d’informations.

«La création de rapports cohérents et réguliers portant sur les facteurs ESG importants est précieuse, mais a toujours représenté un défi», déplore Derek Butcher.

Par exemple, les institutions financières fournissent souvent peu de détails sur leur portefeuille de prêt. Parfois, elles indiquent simplement «énergie»sans préciser s’il s’agit d’énergie renouvelable ou fossile. Les firmes de gestion de portefeuille désirent davantage de précisions.

Pour pallier ce problème, elles adoptent donc différentes stratégies.

«Nous encourageons les entreprises dans lesquelles nous investissons, par le biais d’efforts d’engagement directs et collaboratifs, à améliorer les rapports sur les questions ESG importantes, explique Derek Butcher. Nous coopérons également avec les conseils d’administration et la direction sur les questions ESG importantes afin de mieux comprendre comment les émetteurs abordent les risques et les occasions liés à l’ESG, ce qui peut permettre de compléter les divulgations existantes, qui peuvent être limitées.»

«  [Nous encourageons les entreprises dans lesquelles nous investissons, par le biais d’efforts d’engagement directs et collaboratifs, à améliorer les rapports sur les questions ESG importantes. »

Derek Butcher

AlphaFixe a pour sa part adopté une notation de divulgation et communique souvent directement avec les compagnies auxquelles elle s’intéresse pour obtenir les informations désirées.

RGP Investissement appuie elle aussi ses analyses sur d’autres sources de données. «Nous dépendons évidemment de ce que nous pouvons obtenir comme cote de fournisseur, par exemple Sustainalytics, et de leur intégration de la matérialité dans leurs évaluations. Nous avons cependant assemblé nos propres calculs en croisant les zones de matérialité proposées par SASB avec les industries cataloguées pour chacune des positions que l’on analyse. Il nous est aussi possible de valider, auprès d’autres sources externes, leurs évaluations des critères ESG, selon ce que nous jugeons le plus pertinent», explique Christian Richard.

COMPARER LES INDUSTRIES ENTRE ELLES 

Outre la comparaison avec les pairs, la matérialité permet ensuite de comparer les industries entre elles et de donner une plus-value à certaines firmes.

RGP Investissements prône ainsi les entreprises ayant un rôle non négligeable envers le climat. «Une certaine plus-value est donnée au facteur de matérialité E dans nos analyses et notre sélection, sans toutefois ignorer les autres risques», explique Christian Richard.

AlphaFixe compare d’abord les industries à leurs pairs, et leur attribue ensuite une note en pondérant selon les critères importants à chaque industrie. Par exemple, l’environnement compte pour 50 % dans les entreprises de l’industrie automobile, mais pour 60 % avec les pipelines et 70 % pour les entreprises productrices d’électricité. «Ce qui peut affecter davantage ces industries d’un point de vue financier, c’est leur comportement vis-à-vis de l’environnement. Donc c’est pour cette raison qu’on surpondère», explique Simon Senécal.

Ainsi, chaque industrie n’aura pas le même point de départ. Dans l’industriel, le capital humain va davantage compter étant donné les risques de blessure. Dans le secteur de la santé, l’environnement pèse lourd, car les équipements consomment beaucoup d’énergie, et il est possible d’avoir recours à des bâtiments plus écoénergétiques pour mieux gérer les déchets.

Évidemment, les engagements pris ne sont pas encore parfaits, mais il ne faut pas attendre que les choses soient parfaites, sinon elles ne changeront jamais, conclut Simon Senécal.

Alizée Calza Alizee Calza

Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.