Comptes immobilisés et planification testamentaire ne font pas toujours bon ménage

Par Marie-Claude Riendeau | 10 octobre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123RF

Il est fréquent que des clients vous transfèrent la gestion de sommes qui proviennent de leur régime de retraite. Ces dernières sont immobilisées dans différents outils de placement appelés ­CRI, ­FRV, ­REER immobilisé, ­RERI ou ­FRVR1.

Quoique leur traitement fiscal au décès soit identique à celui réservé au ­REER et au ­FERR, la planification testamentaire d’un client détenant l’un ou l’autre de ces comptes mérite une attention particulière. Trop peu d’épargnants savent qu’ils ne pourront pas nécessairement les léguer à qui ils veulent.

Le particulier doit savoir qu’à son décès, s’il a un conjoint aux yeux de la loi, le solde de son compte sera obligatoirement payé en priorité à ce conjoint, et ce, malgré toute disposition contraire prévue à son testament ou toute désignation de bénéficiaire2 effectuée en faveur d’une autre personne.

Et la définition du terme « conjoint » diffère selon la loi applicable3 au compte immobilisé. Ce n’est seulement qu’à défaut de conjoint qu’un legs consigné au testament ou qu’une désignation de bénéficiaire en faveur d’une autre personne sera respecté. Une telle application suscite généralement une surprise chez les titulaires de ces comptes lorsqu’ils constatent que c’est la loi et pas eux qui risque d’en dicter le sort suivant leur décès. Ceci peut devenir particulièrement problématique pour certaines familles recomposées.

Plus concrètement

Prenons l’exemple suivant : ­Julie, 45 ans, a eu un fils, ­Maxime, avec ­Pierre, de qui elle est divorcée depuis 5 ans. Maxime a maintenant 10 ans. Julie vit en union de fait avec ­Louis depuis 4 ans. Elle détient un ­CRI de 250 000 $ provenant du régime de retraite qu’elle avait avec un ancien employeur4, lequel était assujetti à la ­Loi sur les régimes complémentaires de retraite5.

Julie a refait son testament et a légué la totalité de ses biens à son fils. Qui recevrait le solde de son ­CRI si elle décédait aujourd’hui ?

Son conjoint6, ­Louis. ­Celui-ci serait admissible à ce titre7 compte tenu que ­Julie est divorcée de son premier conjoint et qu’elle vit avec ­Louis depuis au moins trois ans.

Cependant, ­Louis pourrait renoncer à l’avance à son droit de recevoir le solde du ­CRI, ce qui permettrait que le legs fait par ­Julie en faveur de son fils soit respecté.

Le ­Règlement8 prévoit que le conjoint peut, par avis écrit transmis à l’établissement financier, renoncer à son droit de recevoir le solde du ­CRI. Cependant, le ­Règlement indique aussi que ­Louis pourrait bien changer d’idée et révoquer une telle renonciation en avisant par écrit l’institution financière avant le décès de ­Julie. Une personne avertie en vaut deux.

Si ­Julie détenait plutôt un ­REER immobilisé sous juridiction fédérale, ­est-ce que la situation serait différente ?

Dans un tel cas, ­Louis recevrait également le solde du compte à titre de conjoint survivant9.

Cependant, il ne pourrait pas renoncer à l’avance à son droit de recevoir la prestation de décès. Une telle possibilité n’existe pas du côté du ­REER immobilisé sous juridiction fédérale10.

Bien entendu, dans le cadre d’une planification testamentaire globale, les parties devraient également considérer les conséquences fiscales du transfert en faveur du conjoint comparativement à celui fait à une autre personne.

Les règles particulières applicables aux comptes immobilisés lors d’un décès sont peu connues des clients et complexes, d’où l’importance pour les parties impliquées d’être bien renseignées.

­Marie-Claude Riendeau, LL.B, D.D.N., M.Fisc., Pl. Fin., TEP, est ­vice-présidente, planification fiscale, de la retraite et successorale à Placements CI.


1 Dans le présent texte, le terme « comptes immobilisés » fait référence au compte de retraite immobilisé (CRI) et au fonds de revenu viager (FRV) assujettis à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et au Règlement sur les régimes complémentaires de retraite (juridiction du Québec). Il réfère aussi aux comptes immobilisés fédéraux, qui comprennent le fonds de revenu viager (FRV), le fonds de revenu viager restreint (FRVR), le régime enregistré d’épargne-retraite immobilisé (REER immobilisé) et le régime d’épargne immobilisé restreint (REIR), dont les fonds proviennent d’un régime de retraite fédéral et qui sont assujettis à la Loi et au Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension. 2 La désignation de bénéficiaire ne sera permise au Québec que si les fonds sont investis dans un contrat de rente (par exemple, un fonds distinct). 3 Pour déterminer laquelle s’applique, voir Retraite Québec, La lettre express, 21 mai 2008, bit.ly/2LDXteW 4 De façon générale, la priorité en faveur du conjoint ne s’applique qu’au compte immobilisé détenu par un ancien participant à un régime de retraite. Voir Retraite Québec, Pour mieux connaître le CRI et le FRV, section Questions et réponses, Question 1, bit.ly/2mInF9Q 5 L.R.Q., c. R-15.1 6 Paragraphe 29(3) du Règlement sur les régimes complémentaires de retraite 7 Article 85 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et article 27 du Règlement sur les régimes complémentaires de retraite 8 Paragraphe 29(6) du Règlement sur les régimes complémentaires de retraite 9 Article 2 de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, voir « survivant » et « conjoint de fait », et alinéa 20(1)b) du Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension 10 Si Julie avait 55 ans et plus, elle pourrait cependant, en obtenant le consentement de son conjoint, se servir de l’option de déblocage qui lui permettrait de transférer jusqu’à 50 % de la valeur de son REER immobilisé dans un compte REER non immobilisé ou un FERR non immobilisé (voir Bureau du surintendant des institutions financières, Déblocage des fonds d’un régime de retraite ou d’un régime d’épargne retraite immobilisé, bit.ly/2AdpTb7). Elle pourrait ainsi, par la suite, léguer la partie du compte REER ou FERR qui n’est plus immobilisée à la personne de son choix.

• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2018 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Marie-Claude Riendeau