Du télécopieur au robot-conseiller : votre pratique métamorphosée

Par Maxime Bilodeau | 24 mars 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Nombre de technologies ont bouleversé le quotidien du conseiller dans les deux dernières décennies. Si le passé est garant de l’avenir, ça devrait se poursuivre lors des deux prochaines.

Affirmer qu’Eric F. Gosselin a connu l’équivalent de la préhistoire de la technologie financière québécoise ne serait pas exagéré. Au tournant des années 2000, il n’était pas encore question de robots-conseillers ou de planification financière en ligne. Et le passage au bureau 100 % numérique en était à ses balbutiements, se souvient le planificateur financier indépendant.

« J’ai été parmi les premiers à numériser l’ensemble de mes documents, et ce, dès 2002. On parlait alors de bureau sans papier, même si nous devions encore faire signer de la paperasse que nous numérisions ensuite », raconte celui qui est aussi conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective rattaché à Services en placements PEAK. Il a d’ailleurs banni le photocopieur de son cabinet à cette époque.

La pratique des conseillers était alors passablement différente. Entre le moment où un individu manifestait son désir de planifier ses vieux jours et celui où le mandat débutait, il pouvait par exemple s’écouler des jours, voire des semaines.

« Aujourd’hui, je rencontre un prospect au lunch et, quelques heures plus tard, je suis déjà en train de plancher sur son cas grâce aux chiffres qu’il m’a fait parvenir. Dorénavant, les communications sont instantanées », souligne Eric F. Gosselin.

Cette accélération soudaine, rendue possible par l’émergence des premiers téléphones intelligents au tournant des années 2000 (BlackBerry, Sony Ericsson…), puis du iPhone en 2008, ne s’est d’ailleurs pas opérée sans heurts.

« On nous promettait alors qu’on travaillerait moins grâce à la technologie. C’était cependant un mensonge; la vérité, c’est qu’on abat plus de boulot que jamais pour le même nombre d’heures travaillées », indique-t-il.

« Les conseillers indépendants n’auront pas le choix de se joindre à de grands cabinets capables d’accéder à ces technologies, puis de les intégrer à leurs affaires. »

Daniel Guillemette, président et fondateur du cabinet de services financiers Diversico

RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE?

Daniel Guillemette est bien placé pour le savoir. Le président et fondateur du cabinet de services financiers Diversico a contribué à cette augmentation de cadence en mettant notamment au point le logiciel iGeny. Grâce à ce gestionnaire de processus d’affaires, les conseillers en sécurité financière peuvent automatiser et standardiser plusieurs tâches administratives, comme l’envoi de courriels de rappel ou l’échange de documents électroniques.

« Le professionnel et son équipe dégagent ainsi plusieurs milliers d’heures de temps de cerveau par année. Celles-ci peuvent ensuite être réutilisées pour générer de la valeur, sous forme d’amélioration de la connaissance des produits vendus ou de négociation de meilleurs tarifs avec une compagnie d’assurance », explique celui qui compte près de 30 ans d’expérience dans le milieu, notamment à titre de conseiller en sécurité financière. Au Québec, iGeny revendique plus de 250 utilisateurs à l’heure actuelle.

De là à parler de révolution, il y a un pas que Bernard Viau n’est pas prêt à franchir. Selon ce conseiller aujourd’hui à la retraite, les technologies qui ont véritablement transformé la pratique des conseillers se comptent sur les doigts d’une main.

« Hormis les transactions automatisées par ordinateur, qui ont changé du tout au tout la manière de négocier sur les marchés boursiers comparativement aux livres d’auparavant, j’en vois peu », insiste-t-il.

En 2015, 59 % des Canadiens avaient recours à des ressources en ligne pour prendre des décisions en matière d’épargne et de placement.

Source : BlackRock

Il est tout particulièrement critique vis-à-vis des robots-conseillers, une technologie qui a inutilement été montée en épingle dans les dernières années, selon lui.

« À l’heure actuelle, on parle de programmes informatiques simplissimes, qui peuvent s’exécuter sur un tableur Excel. Ils n’arrivent pas à la cheville des véritables professionnels en chair et en os », estime-t-il. Le conseil financier est encore et toujours basé sur une relation humaine empreinte de confiance, ajoute-t-il.

Même son de cloche chez Eric F. Gosselin, qui voit un « faux problème » dans les robots-conseillers. Il en va ainsi pour toutes les technologies de planification financière existantes ou à venir qui excluent le conseiller de l’équation pour le remplacer par un algorithme, croit-il.

« La machine ne sera jamais capable de faire preuve d’empathie envers le client. Il faut davantage la voir comme un assistant capable d’accélérer le traitement des dossiers ou de simplifier la prise de rendez-vous que comme une alternative à part entière », précise-t-il.

Malgré tout, les conseillers s’inquiètent de la menace que fait peser sur leurs revenus cette avancée technologique. Dans un sondage publié en novembre 2019 par Finance et Investissement, la planification financière créée par un algorithme sans l’intervention d’un conseiller est ressortie comme LA principale menace à leur chiffre d’affaires dans les cinq prochaines années, devant la vente d’assurance de personnes par Internet sans l’intervention d’un représentant1.

« Je persiste à croire que les meilleurs conseils financiers proviendront encore et toujours de la bouche d’humains. »

Bernard Viau, conseiller à la retraite

UN MÉTIER EN TRANSFORMATION

Ces inquiétudes pourraient bien se concrétiser d’ici 20 ans. C’est du moins ce que prédit Daniel Guillemette. « Les avancées en intelligence artificielle et l’avènement des chaînes de blocs ne sont que deux exemples de bouleversements imminents au fort potentiel perturbateur. Les conseillers indépendants n’auront pas le choix de se joindre à de grands cabinets capables d’accéder à ces technologies, puis de les intégrer à leurs affaires », entrevoit-il.

Pour survivre dans ce nouvel environnement, les conseillers devront se muer en de « super spécialistes » capables de dispenser des conseils très pointus à leurs clients. Sans quoi ils sont condamnés à disparaître à plus ou moins brève échéance, croit-il.

« L’industrie financière a parfois de la difficulté à justifier sa valeur. Il existe encore des [représentants qui ne font que vendre des produits] sans apporter de véritable plus-value », regrette Daniel Guillemette.

Bernard Viau fait d’ailleurs remarquer que les clients, mieux informés que jamais, comparent déjà abondamment les offres de services entre elles. Les jeunes générations sont plus enclines que les précédentes à magasiner en ligne, observe-t-il.

« On va certainement assister à une dématérialisation accrue du conseil dans les prochaines décennies. Je persiste cependant à croire que les meilleurs conseils financiers proviendront encore et toujours de la bouche d’humains », dit-il.

Eric F. Gosselin voit aussi les choses ainsi. « Les besoins du client devront être satisfaits de façon encore plus instantanée qu’ils ne le sont maintenant. Ce n’est pas près de changer, bien au contraire », tranche-t-il.

De plus en plus, les clients s’attendent à ce que leur dossier chemine rapidement grâce à la technologie, décrit-il. Par exemple, ils espèrent une réponse à leurs courriels dans les heures qui suivent.

En définitive, le conseiller n’aura pas le choix d’embarquer dans le train incessant du progrès, sous peine de devenir un spécimen en voie de disparition. « Certains pensent que tout a été inventé. Je peux déjà statuer que ce n’est pas le cas. »

1 Finance et Investissement, « Inquiétudes de conseillers », bit.ly/38fTehJ


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2020 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Maxime Bilodeau