Et si votre associé ne rentrait plus au travail?

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 1 juin 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Lorsqu’un drame survient dans un cabinet, il faut réagir vite. ­Êtes-vous bien préparé en cas de décès ou d’invalidité de votre partenaire d’affaires?

C’est l’une des principales craintes de toute personne qui lance une entreprise avec un ou plusieurs associés.

« ­On travaille en symbiose, raconte ­Gino ­Savard, président de ­MICA ­Cabinets de services financiers, entreprise qu’il détient avec son frère. Nos champs d’expertise sont complémentaires. Si, du jour au lendemain, l’un d’entre nous ne peut plus rentrer au bureau et toutes les mesures n’ont pas été prises en amont, ­au-delà de la peine, la situation de l’entreprise peut vite devenir problématique. »

Un tel drame crée de l’incertitude et de l’insécurité, tant du côté des associés qui restent que des employés et des clients. Il faut à tout prix que cette période dure le moins longtemps possible pour que l’entreprise ne perde pas trop de sa valeur.

« ­Un employé qui se demande s’il va être payé a tendance à offrir ses services au compétiteur, indique ­Natasha ­Girouard, notaire associée à ­BCF. Les clients vont aussi commencer à regarder ailleurs. Si tous les papiers sont en règle, on trouve le liquidateur et de l’argent peut être débloqué très vite. Dans le cas contraire, ça peut prendre des années et se terminer devant le tribunal. »

« Si, du jour au lendemain, l’un d’entre nous ne peut plus rentrer au bureau et toutes les mesures n’ont pas été prises en amont, la situation de l’entreprise peut vite devenir problématique.  »

– Gino ­Savard

CONVENTION ENTRE ACTIONNAIRES 

Tous ces « papiers qui doivent être en règle », c’est d’abord et avant tout la convention entre actionnaires. Ce document doit stipuler très clairement qui rachètera les parts en cas de décès et le montant que cela représente. Il devrait aussi prévoir les dispositions à prendre en cas d’invalidité.

Vient ensuite le volet assurance : les assurances vie d’entreprise et personnelles d’une part, l’assurance personne clé d’autre part. Cette dernière permet de recevoir un certain montant en cas de disparition d’un individu indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise.

« ­On peut par exemple avoir besoin de remplacer l’associé décédé le temps de trouver une solution à plus long terme, explique le président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), ­Flavio ­Vani. Quant à l’assurance vie, elle permet à celui qui reste d’avoir les liquidités nécessaires pour racheter les parts de celui qui décède. »

« L’assurance vie permet à celui qui reste d’avoir les liquidités nécessaires pour racheter les parts de celui qui décède. »

– Flavio ­Vani

« ­Reste l’invalidité, ajoute ­Gino ­Savard. Il faut prévoir le rachat des parts dans un tel cas. Généralement, il y a un délai de carence pour s’assurer que l’état de santé ne s’améliorera pas. Mais là encore, il faut avoir les fonds pour racheter les actions. Or, l’assurance invalidité est souvent négligée. »

Pour une entreprise, l’invalidité est la pire des situations, affirme d’ailleurs ­Julie ­Loranger, notaire à ­BCF.

« ­Si aucun mandat de protection n’a été signé, ça devient très complexe à gérer puisque personne ne peut prendre de décision, ­indique-t-elle. On voit encore des entrepreneurs sans testament, alors imaginez un mandat… »

« On voit encore des entrepreneurs sans testament. »

– Julie ­Loranger

L’IMPORTANCES DES MISES À JOUR 

Après la convention entre actionnaires et les assurances, le testament est pourtant le troisième document que tout entrepreneur devrait avoir signé pour mettre à l’abri ses partenaires d’affaires et sa famille. Tous ces écrits doivent aussi être revus régulièrement pour s’assurer qu’ils sont toujours en adéquation avec la situation.

« C’est pourtant une minorité de gens qui sont assez prévoyants pour faire tout cela, note Émile ­Brassard, notaire et président de ­Notarié inc. Surtout dans les petites ­PME, qui ont peu de moyens. Elles considèrent que c’est trop lourd. Mais c’est plus lourd de ne pas l’avoir fait lorsqu’un drame survient. »

Le notaire rappelle qu’en cas de décès sans testament ou lorsqu’aucun liquidateur n’a été nommé, ce sont automatiquement les héritiers qui tiennent ce rôle.

« ­Or, certains héritiers se sentent investis de tous les pouvoirs et débarquent dans l’entreprise comme s’ils avaient toujours été là, ­raconte-t-il. Ça peut mettre le bazar dans la compagnie et mener à une grosse perte de valeur. »

Le décès ou l’invalidité d’un associé est un moment particulièrement critique dans les petites et moyennes entreprises, confirme la ­vice-présidente principale de la ­Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, ­Martine ­Hébert. Il arrive parfois, lorsqu’aucune disposition n’a été prise à cet effet, que la société périclite et finisse par mettre la clé sous la porte.

BIEN ATTACHER TOUTES LES FICELLES 

Même lorsque les documents existent, la succession est parfois chaotique. Tout dépend toujours de la personnalité des survivants, ajoute ­Natasha ­Girouard. Ces différents papiers ne doivent donc surtout pas se contredire. Par exemple, la convention entre actionnaires ne peut pas prévoir le rachat des parts par le partenaire d’affaires pendant que le testament stipule que ces mêmes actions seront léguées à l’épouse.

« ­Si toutes les ficelles sont bien attachées, on minimise les problèmes, ­insiste-t-elle. D’où l’importance de travailler avec plusieurs professionnels – notaire, planificateur financier, conseiller en sécurité financière, fiscaliste, avocat, etc. – pour s’assurer de la cohérence des dispositions. »

Communiquer avec les héritiers pour qu’il n’y ait pas de surprise au moment de l’ouverture du testament est également primordial. L’entrepreneur devrait aussi toujours se demander si en prenant telle ou telle décision, il ne lèse pas sa famille au bénéfice de ses partenaires d’affaires, et ­vice-versa.

Émile ­Brassard note par ailleurs que les professionnels sont tenus de respecter la réglementation qui régit leur secteur lorsqu’ils planifient leur succession (voir encadré en page 18). Dans le cas des cabinets de services financiers, ils ne devraient pas, par exemple, prévoir de vendre ou léguer leurs actions à une personne qui n’aurait pas le permis adéquat pour reprendre la clientèle.

« Le professionnel ne devrait pas prévoir de vendre ou de léguer ses actions à une personne qui n’aurait pas le permis adéquat pour reprendre la clientèle.  »

– Émile ­Brassard

Une remarque qui s’applique également aux conseillers qui travaillent en solo. S’ils n’ont pas d’associé, ils devraient au moins déterminer un partenaire – relève ou confrère disposant des mêmes permis qu’eux et partageant les mêmes valeurs – de façon à pouvoir lui léguer leur clientèle en cas de décès ou d’invalidité.

LA CLÉ: PLANIFIER! 

Des dispositions que l’on devra notamment retrouver au plan de continuité des activités exigé depuis 2012 par l’Autorité des marchés financiers. Un document qui doit prévoir la procédure à mettre en place pour faire en sorte que la clientèle continue à être servie en cas d’événement soudain.

« Ça peut être une panne généralisée d’électricité, un incendie, une inondation, illustre ­Yvan ­Morin, ­vice-président affaires juridiques et chef de la conformité à ­MICA ­Cabinets de services financiers. Ça peut être aussi la mort ou l’inaptitude d’un des associés. On doit alors prévoir qui pourrait s’occuper de sa clientèle en cas d’urgence – un ordre de placement n’attend pas ! – et à plus long terme. »

Planifier à l’avance permet aussi d’éviter d’éventuelles pertes financières. « ­La clientèle vaut plus cher de son vivant qu’au décès. À ce ­moment-là, elle se retrouve dans les mains des héritiers, qui n’ont la plupart du temps pas les permis pour s’en occuper. Ils vont chercher à s’en débarrasser rapidement et n’ont ni les connaissances ni le réseau pour la vendre à sa juste valeur. »

Me ­Morin indique que les conditions de la cession de la clientèle en cas d’invalidité définitive devraient également être définies, mais que les représentants sont souvent réticents à le faire, pour des raisons de coût. Sauf que si un pépin survient et que cela n’a pas été fait, les frais seront alors bien plus élevés.

« ­En cas de coma prolongé, il n’y a pas de succession, ­souligne-t-il. Les clients sont assis entre deux chaises. Beaucoup partent et l’entreprise perd de la valeur. »

Flavio ­Vani admet que nombre de conseillers omettent de prévoir ce cas de figure, alors que de par leur métier, ils connaissent pourtant les risques qu’ils encourent. Et d’en conclure que, comme bien souvent, les cordonniers sont les plus mal chaussés.

« En cas de coma prolongé, il n’y a pas de succession. Les clients sont assis entre deux chaises. »

– Yvan ­Morin


[1] Autorité des marchés financiers, ­Ligne directrice sur la gestion de la continuité des activités, bit.ly/2wpF0wc [2] ­Autorité des marchés financiers, ­Avis relatif aux obligations des représentants et des assureurs quant au service offert aux clients en vertu de contrats d’assurance de personnes – clientèle orpheline, bit.ly/2FRxud1

• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2018 de Conseiller.

Hélène Roulot-Ganzmann