Faire face à la concurrence des robots-conseillers

Par Nathalie Côté | 10 novembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Andriy Popov / 123RF

Que vous le vouliez ou non, vous devez maintenant composer avec de nouveaux concurrents : les robots. S’ils ont raflé la clientèle de certains conseillers, d’autres s’en sont plutôt fait des alliés. Comment tirer votre épingle du jeu ?

Aux ­États-Unis, l’actif sous gestion des ­robots-conseillers devrait atteindre 2 200 G$ d’ici 2020, une croissance annuelle de 86 %, selon une étude de ­BMO1. Au ­Canada, ils géraient environ un milliard de dollars en 2016, selon ­Jean-Alexandre Bernier, alors principal consultant de ­Pivot ­Strategy, une firme de conseil en transformation stratégique spécialisée dans les services financiers. C’est peu si on considère que le marché de l’épargne au ­Canada totalise 3 600 G$.

Mais sur le terrain, ils suscitent des préoccupations. « ­Je ne suis pas inquiet pour moi, je le suis plus pour les générations à venir, souligne ­Jean-Sébastien ­Renaud, directeur au ­Centre financier ­SFL ­Vieux-Montréal. Je forme toutes mes recrues afin qu’elles puissent démontrer leur valeur ajoutée. Je doute qu’un débutant sans encadrement ait les compétences communicationnelles requises pour en convaincre son client. »

Même les conseillers aguerris ne sont pas à l’abri. « ­Le client d’un ami, un homme d’affaires dont l’actif dépasse le million de dollars, a été convaincu par son fils de 20 ans d’aller vers un ­robot-conseiller pour économiser des frais, raconte ­Fabien ­Major, associé principal de ­Major ­Gestion privée. Des conseillers perdent déjà des actifs parce qu’on vante les économies de frais de gestion. Mais on ne parle pas des dépenses liées à de mauvaises décisions fiscales et de gestion des risques. »

Pour lui aussi, la perception des frais trop élevés est issue d’un manque de communication du conseiller. « ­Il faut expliquer ce que l’on fait, sinon les gens ont l’impression qu’ils paient cher pour peu, juge M. Major. Dans un monde idéal, on enverrait un rapport trimestriel au client pour lui montrer [le travail accompli]. Cela pourrait même s’automatiser. » ­Pour l’instant, effectuer ce travail manuellement est plutôt fastidieux.

« ­Les conseillers doivent faire un effort pour vendre leurs services et montrer tout ce qu’ils offrent », ajoute ­Maher ­Kooli, titulaire de la chaire ­Caisse de dépôt et placement du ­Québec de gestion de portefeuille de l’ESG ­UQÀM.

OÙ ­EST ­LA ­VALEUR ­AJOUTÉE ?

Mais encore ­faut-il que le client en ait vraiment pour son argent. « L’arrivée des ­robots va amener des conseillers à baisser leurs frais de gestion et entraîner un nettoyage dans l’industrie, croit ­Maher ­Kooli. Les plus performants vont être capables de justifier leurs frais. Ceux qui le sont moins vont nécessairement devoir réduire leur facture. »

La concurrence des robots devrait également pousser les conseillers à offrir de meilleurs produits. « ­Si les marchés vont vers une tendance baissière et que les produits offerts au client sont très corrélés, il va se demander pourquoi il paie des frais de gestion », souligne M. Kooli. Pensons, par exemple, à certains fonds communs composés de très nombreux titres qui ont tendance à fluctuer comme les indices.

66%

des jeunes de la génération Y sont intéressés par les robots-conseillers.

(Source: M2S Capital)

L’UNION ­FAIT ­LA ­FORCE

Cependant, tout n’est pas sombre dans l’univers des machines, au contraire.

« C’est une belle occasion pour les conseillers de réfléchir à ce qui pourrait s’automatiser dans leur travail et à ce qui apporte de la valeur à leurs conseils », souligne ­Stéphane ­Chrétien, professeur de finance et titulaire de la chaire ­Groupe ­Investors en planification financière de l’Université ­Laval.

Par exemple, des conseillers pourraient donner certaines directives à un robot pour gérer une partie de l’actif dont ils s’occupent à moindre coût, mais facturer pour leurs conseils.

Une telle transition pourrait alléger leur tâche. « ­En 10 ans, j’ai vu notre travail s’alourdir de façon exponentielle quant aux exigences de conformité, note ­Julie ­Trottier, conseillère en sécurité financière à ­Sun ­Life. Pour un compte de 5 000 $ ou 10 000 $, je suis payée 0,66 % et ça me demande la même gestion qu’un compte d’un million de dollars. »

Des rappels pourraient par exemple être réalisés automatiquement auprès des clients pour vérifier leur profil d’investisseur, ­illustre-t-elle. En allégeant ainsi sa tâche, le robot lui permettrait de consacrer plus de temps au conseil et au développement de son bloc d’affaires.

BMO est d’ailleurs en train d’explorer la possibilité d’utiliser une plateforme pour faire de la gestion de portefeuille automatisée qui s’adresserait aux courtiers de plein exercice. « ­On regarde pour l’offrir à des conseillers, que ce soit chez ­Nesbitt ­Burns ou à l’extérieur du réseau ­BMO, mais on n’est pas rendus là, on est seulement en train d’explorer », précise ­Sabrina ­Della ­Fazia, directrice générale de ­BMO ­Ligne d’action, est du ­Canada.

«Les ­robots-conseillers sont comme les alarmes de piscine. Ça prend un humain qui surveille pour vraiment prévenir la noyade. »

– Fabien ­Major, associé principal de Major Gestion privée

Fabien Major

APPROCHER ­LES ­CLIENTS ­DE ­DEMAIN

En raison de sa facilité d’utilisation, la technologie permet aussi d’attirer des jeunes, plus branchés. Ils ont ­peut-être peu d’actif et de besoins pour l’instant, mais en auront certainement plus tard.

« À mon cabinet, nous allons bientôt avoir un algorithme en ligne pour la clientèle plus jeune dont la situation est simple, souligne M. Major. Mais il faut qu’il y ait un vrai conseiller derrière et que la communication s’établisse de temps à autre. Quand la situation du client va changer et nécessiter plus de conseil, il va être là. En ce sens, ça peut être un outil formidable pour les conseillers. »

Il est loin d’être le seul à le penser. Plusieurs institutions financières sont montées dans le train technologique pour les mêmes raisons, dont ­BMO avec son ­Portefeuille futé.

« ­Les clients pour le ­Portefeuille futé et ceux pour le courtier de plein exercice sont différents, tranche ­Mme ­Della ­Fazia. Le ­robot-conseiller s’adresse à ceux dont les besoins sont plus simples.

Cela dit, d’autres ont un actif important et font affaire avec un courtier de plein exercice, mais réduisent leur coût total en ayant une partie de leur patrimoine dans le ­Portefeuille futé. »

« L’humain est dur à remplacer complètement. Certaines situations sont extrêmement complexes à résoudre pour une machine », ­ajoute-t-elle.

M. Chrétien ne croit pas non plus en la disparition des conseillers au profit des algorithmes. « ­Lorsque le courtage à escompte est apparu, certains se demandaient si les courtiers allaient disparaître, se ­rappelle-t-il. Mais ils sont toujours là. Bien des gens se sont rendu compte que ce n’était pas pour eux. Pour les ­robots-conseillers, c’est la même chose. Ils ne pourront pas offrir des plans aussi personnalisés et précis. »

« ­Les ­robots-conseillers sont comme les alarmes de piscine. Ça prend un humain qui surveille pour vraiment prévenir la noyade », conclut ­Fabien ­Major.


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2017 de Conseiller.

Nathalie Côté