Je réponds parce que j’aime ça

Par Ioav Bronchti | 19 février 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Olha Shtepa / 123RF

Il arrive que l’on m’appelle pour me faire part d’une situation qui n’a rien à voir avec mon mandat. Je n’ai « pas le temps » de répondre… ­Cependant, ces questions sont parfois des plus pertinentes et, entre deux ­rendez-vous, je donne un peu d’information pour orienter la personne. En voici une.

« ­Mon père a reçu, pendant une trentaine d’années, une pension de retraite française d’environ 500 euros par mois. Il vient de décéder. Il n’a rien déclaré en ­France et on se demande comment redresser la situation. ­Devrions-nous envisager de refuser la succession ? »

En chiffres :

  • ­Prestation de retraite de 500 euros par mois sur 30 ans
  • ­Succession d’un actif brut d’environ 200 000 $ (100 % en placements)
  • ­Trois héritiers, un liquidateur, tous résidents du ­Québec

LIEN AVEC LA FRANCE

Monsieur a déménagé au ­Québec il y a 40 ans et a obtenu la citoyenneté canadienne depuis (toutefois, ça ne change rien). Il n’a conservé aucun actif en ­France, à part le compte bancaire qui servait à recevoir la pension de retraite. Ce compte était vidé mensuellement à partir d’une carte de guichet, au ­Québec, et l’argent était dépensé sans être déposé. Ce compte contient à ce jour environ 2 000 euros.

LE CAS FRANÇAIS

Monsieur étant résidant fiscal canadien, on peut supposer qu’aucun impôt n’est dû en ­France, jusqu’au jour de son décès. Ses héritiers devront cependant confirmer cette information. Il faudra tout de même produire une déclaration de droits de succession sur le compte bancaire français, même s’il n’y en a pas à verser (les enfants ne paient pas de droits sur les montants inférieurs à 100 000 euros).

Pas de droits à payer ne signifie pas que ce sera simple… ­Les banques françaises, avant de libérer le montant, demanderont fort probablement des documents notariés qui confirmeront l’identité des héritiers. Elles devraient, en vertu de leur droit et du nôtre, s’adresser au liquidateur, mais il y a fort à parier qu’elles appliqueront aveuglément le seul droit français et voudront donc s’adresser aux héritiers. C’est la différence entre la théorie et la pratique.

De plus, elles voudront recevoir la confirmation du fisc français que les droits de succession ont été acquittés. Il n’y en a pas, mais elles voudront tout de même avoir une confirmation officielle. Cela signifie que l’on devra produire une déclaration complète en moins de 12 mois au fisc français.

En peu de mots, disons que ces procédures coûteraient bien plus que les 2 000 euros du compte en frais professionnels…

LE CAS CANADIEN

Les montants reçus de la ­France auraient dû être déclarés au lieu de résidence fiscale du défunt. Plus de 30 ans à cacher ces montants au fisc, c’est 30 ans de pénalités et intérêts qui attendent la famille. Les pénalités, ça vieillit mieux que le bon vin… ­Le liquidateur est responsable de payer les dettes du défunt avant de remettre le résidu aux héritiers.

Et dans ce cas, on peut se demander : « ­Quel résidu ? » Faisons le calcul : 500 euros x 12 mois x 30 ans = 180 000 euros. Donc un peu plus de 250 000 $CA. Impôt dû : probablement entre 80 000  et 160 000 $, en plus des intérêts sur 30 ans et des pénalités. La succession est donc à très fort risque d’insolvabilité.

QUE FAIRE?

Pour commencer, aller voir un notaire et se faire conseiller sur les gestes à poser, et surtout à ne pas poser, pour éviter que l’on présume qu’on a accepté la succession. On ne voudrait pas se retrouver avec des dettes éventuelles.

Le liquidateur, s’il est nommé dans le testament, pourrait alors s’adresser au fisc canadien, anonymement ou pas, pour une procédure de divulgation volontaire. Cela lui permettrait de dévoiler tous les montants soustraits à l’impôt et payer la dette. Il pourra ainsi estimer si la succession est solvable.

Des difficultés l’attendent : la procédure de divulgation volontaire est longue et complexe. Elle ne couvre, en outre, que les 10 dernières années, bien que dans plusieurs cas, la négociation permet de couvrir plus ou moins tous les montants dus. Il faudra prendre les bonnes décisions, documenter énormément la demande, s’assurer qu’elle est bien complète et que rien d’autre n’a été caché à l’impôt. Parallèlement, il devra compléter les autres tâches de la liquidation, tout en n’ayant pas reçu le résultat de la procédure.

Du côté français, il faudra certainement déclarer le décès pour faire cesser les prestations de retraite. Un remboursement sera demandé pour les montants perçus en trop, ce qui démarrera un autre ­casse-tête… ­

Comment rembourser ces montants sans accéder au compte français (ce qui serait d’une énorme complexité) et sans dépenser les actifs canadiens réservés à l’impôt ?

EN BREF

Quand vos clients reçoivent des prestations de retraite de l’étranger, ­assurez-vous qu’ils font les déclarations obligatoires le plus tôt possible. Les échanges d’information entre les pays sont de plus en plus fréquents. Dans ce cas précis, le pire qui attendra les héritiers, si toutes les étapes sont suivies scrupuleusement, sera une succession insolvable. Si le liquidateur avait ignoré ces faits ou les avait cachés, ils auraient pu se retrouver avec une dette importante !

De plus, si le pot aux roses avait été découvert du vivant de ­Monsieur, on aurait pu craindre une procédure de faillite personnelle et bien des complications administratives, alors qu’il était âgé et aurait préféré occuper autrement sa retraite.

Bien des expatriés considèrent ces« petites cachotteries » comme anodines, mais leur décès peut déclencher des conséquences pour leurs proches.

Ioav ­Bronchti, notaire, est conseiller principal, planification successorale, à la ­Financière ­Banque ­Nationale.


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2020 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Ioav Bronchti