La diffamation à l’ère des réseaux sociaux

8 novembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Nopporn Suntornpasert / 123RF

En cette époque où les réseaux sociaux sont rois, l’information circule rapidement. Le web est devenu l’outil de communication le plus puissant et le plus utilisé sur terre1. Ce faisant, la propagation de propos diffamatoires peut donc s’étendre de façon exponentielle, ­ceux-ci étant accessibles à tous les internautes, qui peuvent également réagir, commenter et partager. En quelques minutes, en un seul clic, une personne peut ternir ou détruire une réputation2.

Pour vos clients entrepreneurs, la diffamation peut provenir d’un employé, ­ex-employé ou collaborateur qui les dénigre publiquement et porte atteinte à l’image de leur société, ou encore qui divulgue des informations confidentielles.

Qu’­entend-on par « diffamation » ?

« ­La diffamation consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d’une personne par le mal que l’on dit d’elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose. […] ­Elle résulte parfois de la simple communication d’informations erronées ou sans intérêt, ou bien qu’exactes, diffusées sans intérêt public ou, parfois, de commentaires ou de critiques injustifiés ou malicieux3. »

La diffamation peut concerner une personne physique ou morale, c’­est-à-dire une entreprise. À titre d’exemple, certains propos de nature à dénigrer les produits ou l’approche commerciale de vos clients entrepreneurs peuvent constituer de la diffamation. Il importe de préciser qu’exprimer un point de vue critique ou relater ses mauvaises expériences avec une entreprise n’est pas en soi fautif. Cela peut le devenir si les propos sont tenus de mauvaise foi, dans le seul but de nuire, par opposition à exprimer des griefs à l’égard d’une entreprise.

Ainsi, des propos qui constituent un dénigrement manifeste destiné à faire fuir la clientèle potentielle pourront être qualifiés de diffamatoires.

Dans l’affaire ­Prud’homme c. Rawdon4, la ­Cour suprême du ­Canada identifie trois situations pouvant engager la responsabilité de l’auteur de propos diffamatoires, à savoir :

  • ­Lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux, ou alors tenus par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui.
  • ­Lorsqu’une personne diffuse de telles déclarations alors qu’elle devrait savoir qu’elles sont fausses.
  • ­Lorsqu’une personne médisante tient, sans juste motif, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers. Cette troisième situation est souvent oubliée.

Quels recours en matière de diffamation en ligne ?

La personne victime de propos diffamatoires peut saisir un tribunal d’une demande en injonction interlocutoire et permanente afin d’en faire cesser la diffusion. En cas d’urgence, une telle injonction peut être rendue au stade provisoire5, c’­est-à-dire temporairement dans l’attente d’une décision finale.

L’injonction en matière de diffamation répond à des critères plus exigeants que ceux devant être satisfaits dans le cadre d’une demande d’injonction traditionnelle6. Ceci s’explique par deux valeurs fondamentales de notre société, soit le droit à la sauvegarde de sa réputation et la liberté d’expression.

Dans l’affaire ­Champagne7, la cour d’appel rappelle les règles qui doivent être respectées pour prononcer une injonction interlocutoire en matière de diffamation :

  • Le pouvoir discrétionnaire du juge d’émettre une telle injonction doit être exercé avec une très grande prudence;
  • L’injonction ne peut être accordée que dans les situations les plus claires et rares;
  • ­Les paroles ou les écrits prohibés doivent être diffamatoires de façon évidente;
  • Le préjudice causé par les paroles ou les mots doit être irréparable.

Dans le cadre de l’analyse du ­bien-fondé d’une demande en injonction interlocutoire, le tribunal doit donc déterminer si ces trois critères sont respectés :

  • l’apparence de droit du demandeur, c’­est-à-dire que les paroles ou les écrits prohibés doivent être clairement diffamatoires;
  • un préjudice sérieux ou irréparable;
  • le demandeur subira un préjudice plus grand que celui du défendeur si sa demande est refusée.

Les deux derniers critères peuvent difficilement favoriser l’auteur de propos diffamatoires8.

Recours en ­dommages-intérêts

La personne qui a fait l’objet de propos diffamatoires et qui veut réclamer en justice des ­dommages-intérêts compensatoires devra assumer le fardeau de preuve imposé par l’article 1457 du ­Code civil du ­Québec, à savoir celui d’établir l’existence d’une faute civile, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Par ailleurs, dans les cas où les propos diffamatoires constituent une atteinte illicite et intentionnelle aux droits d’une personne, cette dernière peut demander au tribunal de condamner l’individu fautif au paiement de dommages punitifs.

Il est important de retenir que le délai de prescription d’une action en diffamation, c’­est-à-dire le délai dans lequel la poursuite doit être intentée, est circonscrit à l’année à laquelle on prend connaissance de l’atteinte à la réputation.

Retenez que le cumul des recours en injonction et en ­dommages-intérêts est permis pour éviter la multiplication des procédures.

En entreprise, il peut arriver qu’un employé porte atteinte à la réputation d’autrui et qu’on l’identifie à la société pour laquelle il travaille. Dans ce cas, la responsabilité de l’employeur pourrait être engagée.

C’est pourquoi il est primordial que toute entreprise se dote d’une politique concernant l’utilisation des réseaux sociaux, et ceci, dans le but de sensibiliser ses employés aux conséquences possibles de leurs gestes.

Me ­Chantal ­Paquet et­ Me ­Chanel ­Alepin sont avocates chez ­Alepin ­Gauthier ­Avocats ­Inc.

Cette chronique contient de l’information juridique d’ordre général et ne devrait pas remplacer un conseil juridique auprès d’un avocat qui tiendra compte des particularités de la situation de vos clients.

1 Laforest c. Collins, 2012 QCCS 3078 2 Ibid., par. 117 3 Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles (1994) R.J.Q. 1811 (C.A.) 4 Prud’homme c. Rawdon (Municipalité de) 2010 QCCA 584 5 Jonathan Gravel c. Matthews Stinis, no 500-17-104590-181 6 Florence Lucas, « Les principes restrictifs d’une injonction en matière de diffamation », La diffamation – Deuxième colloque, Collection Blais, volume 16, Éditions Yvon Blais, 2013. 7 Champagne c. Collège de l’enseignement général et professionnel de Jonquière (1997) R.J.Q. 2395 (C.A.), 1997 CanLII1001 (C.A.) 8 Prud’homme c. Rawdon, précité, note 1


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2018 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.