L’ABC de la finance comportementale

Par Denis Preston | 1 juin 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La finance comportementale a démontré que les décisions (financières ou autres) que nous prenons sont rarement optimales. Nous sommes, en quelque sorte, prédisposés à faire certains choix. Rares sont les personnes qui statuent après avoir fait une liste des avantages et des inconvénients de toutes les options possibles, puis analysé attentivement tous ces éléments. Nos décisions sont plutôt influencées par :

• ­Les biais, qui sont des préjugés en faveur ou en défaveur d’idées, de groupes ou de gens.

­• Les effets de cadrage (framing), qui influencent la façon dont nous traitons les informations. La manière avec laquelle on nous présente un problème est en effet parfois plus importante que les faits.

­• Les règles heuristiques que nous avons construites pour répondre rapidement à des questions complexes, c’­est-à-dire des principes approximatifs qui fonctionnent en général, mais qui ne sont pas toujours vrais ou précis.

DES EXEMPLES DE BIAIS 

L’optimisme excessif se produit lorsque nous voyons la vie à travers des lunettes un peu trop roses. Notamment, lorsqu’on croit :

  • ­que le prix de notre maison ne peut qu’augmenter ;
  • ­que les actions (ou les fonds) que nous choisissons auront de meilleurs résultats que les autres ;
  • ­que cette fois, c’est différent, il n’y aura pas de correction boursière ;
  • ­que notre employeur est meilleur que ses concurrents. Pourtant, ces derniers pensent eux aussi qu’ils sont meilleurs que leurs concurrents, et donc meilleurs que notre employeur.

Chaque fois que nous avons du succès et que notre confiance s’accroît, il existe un danger que cela se transforme en excès de confiance, ce qui augmente les risques de négliger des détails importants et ne pas remarquer que la situation demande une réponse différente de celle que nous venons de donner. Ceci peut aussi s’appliquer aux recommandations que l’on fait aux clients… C’est bien d’avoir confiance en ses moyens, mais pas trop.

On peut croire que l’on est bon conducteur, mais il faut toujours être attentif à ce qui se passe sur la route. En sillonnant les routes du ­Royaume-Uni (à gauche), j’ai pu constater que conduire demande beaucoup d’attention et qu’il ne faut pas toujours faire confiance à nos réflexes. Parfois, les marchés et les clients se mettent eux aussi à conduire à gauche…

Chercher la confirmation de nos opinions est un autre biais fréquent. Trop souvent, nous choisissons nos sources d’information en fonction de nos propres idées. Aux ­États-Unis, les républicains ont tendance à écouter ­Fox ­News et les démocrates, ­CNN, selon ­Project Syndicate. Il serait pourtant plus sage d’écouter ou de lire des gens qui pensent différemment de nous. C’est une bonne façon de voir tous les côtés de la médaille et ne peut qu’améliorer les conseils que nous donnons aux clients.

Finalement, nous croyons aussi parfois, à tort, que nous contrôlons notre vie et celle des autres. Pourtant, nous n’avons pas de pouvoir sur l’économie, les marchés, notre santé ou celle des membres de notre famille. Tout au plus, nous pouvons tenter de prévenir les problèmes et en gérer les conséquences. Les accidents et la maladie n’arrivent pas qu’à nos clients. Les récessions ne surviennent pas que dans les autres pays.

SORTIR DU CADRE 

Quant à eux, les effets de cadrage sont particulièrement importants lorsque la situation nous est présentée comme un gain ou une perte. Dans son livre ­Misbehaving : ­The ­Making of ­Behavioral ­Economics, le ­Nobel d’économie 2017 ­Richard H. Thaler l’illustre de façon éloquente. Dans sa mise en situation, 600 personnes sont atteintes d’une maladie et vous avez deux options :

  • A. Vous êtes certain de sauver 200 personnes.
  • B. La probabilité de guérir 600 personnes est d’une sur trois et celle de ne guérir personne est de deux sur trois. ­

La plupart des gens choisissent l’option A. Cependant, si l’on présente plutôt les choix comme suit :

  • C. Vous êtes certain de tuer 400 personnes.
  • D. La probabilité de ne tuer personne est d’une sur trois et celle de ne guérir personne est de deux sur trois.

Alors, la plupart des gens choisissent l’option D. Pourtant, les options A et C (600 – 400 = 200)[1] sont identiques, tout comme B et D (leur moyenne est de 200)[1].

De leur côté, les règles heuristiques sont nécessaires, car nous devons souvent prendre des décisions rapidement. Ces règles (voire ces réflexes) datent parfois de plusieurs siècles. En effet, lorsqu’un lion (ou un grizzli) avance vers nous, il faut agir rapidement.

Par contre, elles peuvent engendrer des comportements inappropriés lorsque les situations changent. Par exemple, en finance, plusieurs ont le réflexe de diriger automatiquement le client vers un ­REER lorsqu’il s’agit d’­épargne-retraite. Mais avec l’arrivée du ­CELI, ce conditionnement n’a plus lieu d’être. Il remplace parfois le ­REER comme outil de placement à privilégier pour la retraite. Cela dépend de la situation de chaque client.

Pour bien conseiller les épargnants, nous devons être conscients de leurs biais, des effets de cadrage et de leurs réflexes (règles heuristiques), mais également des nôtres. Nous ne voudrions pas être une mauvaise influence… denis_preston_thumb_150x150 Denis ­Preston, ­CPA, ­CGA, ­FRM, ­GPC, Pl. Fin., est formateur et consultant.


[1] Pour des exemples en placement, voir : Conseiller, « Tolérance au risque ou intolérance aux pertes? », bit.ly/2dOS8kF

• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2018 de Conseiller.

Denis Preston