L’ARC contre-attaque

Par Benoit Besner | 14 février 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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victorhenry / 123RF

Le 27 février 2018, le gouvernement fédéral a déposé son budget. Parmi ses grands objectifs : réduire l’avantage que procure la détention d’un portefeuille de placements passifs dans une société privée. Elle permet en effet de reporter l’impôt personnel à payer en conservant les revenus gagnés dans une société pendant plusieurs années.

Pour parvenir à ses fins, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a introduit de nouvelles mesures fiscales pénalisant les groupes de sociétés associées qui génèrent d’importants revenus de placements passifs. Parmi elles : la restriction de l’admissibilité au taux d’imposition fédéral réduit des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC), soit 9 % sur la première tranche de 500 000 $ de revenus actifs gagnés, au lieu du taux habituel de 15 %. Et c’est dès maintenant qu’il faut s’en préoccuper, car elle s’applique à toutes les années d’imposition commençant après le 31 décembre 2018.

Avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles, tous les groupes de SPCC associées dont le capital imposable au Canada était inférieur à 10 millions de dollars pouvaient bénéficier d’une réduction du taux d’imposition sur leurs revenus d’entreprise exploitée activement.

Dans son budget 2018, le gouvernement fédéral a cependant imposé une limitation supplémentaire pour pouvoir bénéficier pleinement du plafond des affaires de 500 000 $. Dorénavant, l’accès au taux réduit des SPCC est restreint pour tout groupe de sociétés associées qui génère annuellement plus de 50 000 $ en revenus de placement passif.

Ainsi, lorsque ces revenus excèdent 50 000 $, ils viennent réduire le plafond des affaires, lequel sera entièrement éliminé lorsque les revenus de placement du groupe associé atteindront 150 000 $. Le plafond des affaires diminue donc de 5 $ pour chaque dollar de revenu passif excédant le seuil de 50 000 $, ce qui a pour conséquence d’imposer le revenu actif au taux de 15 % au lieu du taux réduit de 9 %.

Toutefois, selon les calculs du gouvernement, cette nouvelle règle permet encore aux entrepreneurs de générer des revenus passifs sur des placements d’un million de dollars (avec un rendement de 5 %) sans être pénalisés1.

Les revenus de placement touchés par la limite de 50 000 $ sont principalement les revenus d’intérêts, les gains en capital, les revenus de loyers et les dividendes. Par contre, les gains en capital tirés de la vente d’un bien utilisé pour l’exploitation active de l’entreprise sont exclus, de même que les dividendes reçus d’une société rattachée. Ainsi, lorsqu’une société mère reçoit un dividende de sa filiale, il n’a pas à être considéré comme un revenu de placement aux fins de la nouvelle mesure fiscale.

Qui sera touché par cette mesure?

Comme il en a été fait mention, ces règles s’appliquent aux groupes de sociétés associées qui présentent à la fois des revenus passifs de plus de 50 000 $ et des revenus actifs admissibles à la réduction de leur taux d’imposition. Pour qu’il y ait une incidence réelle sur un groupe de sociétés associées, il faut donc que les actionnaires désirent conserver leurs profits dans une société de placement.

Une société visée par ces mesures pourrait voir sa facture d’impôt augmenter de 30 000 $, et ce, uniquement au palier fédéral2. Reporter ainsi l’impôt personnel devient beaucoup moins avantageux, car la facture fiscale des sociétés est augmentée.

Il faut noter que seul l’avantage lié au report d’impôt est diminué. Le montant total d’impôt payé par une société et son actionnaire qui est un particulier sera le même, et ce, qu’un groupe soit visé par les nouvelles règles ou non.

En effet, un dividende versé à partir de revenus imposés au taux des sociétés de 15 % est imposé entre les mains de l’actionnaire à un taux plus faible qu’un dividende qui provient du revenu d’entreprise imposé au taux des sociétés réduit de 9 %. Étant donné ce principe d’intégration fiscale, tout actionnaire paie essentiellement le même montant d’impôt des sociétés et des particuliers, mais le détenteur d’une société de portefeuille peut différer la date du paiement de l’impôt des particuliers.

Cependant, une autre mesure introduite par le gouvernement dans le budget 2018 vient réduire davantage le bénéfice lié au report d’impôt. Sans entrer dans les détails, il faut savoir que les règles concernant les remboursements au titre de dividendes ont également été resserrées.

Vérifier si les nouvelles règles s’appliquent

Ce sont les revenus de l’année précédente qui doivent être considérés pour déterminer s’il y a une réduction du plafond des affaires pour une année d’imposition donnée. Ainsi, pour une société ayant une fin d’année d’imposition au 31 décembre 2019, il faudra vérifier s’il y a eu plus de 50 000 $ de revenus de placements passifs pour l’exercice terminé en 2018. Rappelons que cette nouvelle mesure s’applique à toutes les années d’imposition commençant après le 31 décembre 2018.

Minimiser les conséquences fiscales

L’un des éléments que l’on peut contrôler pour éviter d’être visé par les nouvelles règles est le moment du déclenchement des gains et pertes en capital sur les placements de portefeuille. Ainsi, les actionnaires et les conseillers en placement peuvent établir une stratégie pour vendre plus tôt certains titres ou encore s’en départir l’année suivante pour ne pas affecter le plafond des affaires.

Le type d’investissement peut également faire l’objet d’une planification. Il peut être préférable d’opter pour des placements qui génèrent des gains en capital plutôt que des revenus d’intérêts ou des dividendes puisque l’on a un meilleur contrôle sur le moment de réalisation du revenu. De plus, seule la moitié du gain en capital doit être considérée pour le calcul du revenu de placement.

Cette nouvelle mesure pénalisante mise en place par le gouvernement peut changer les planifications de rémunération et de placement des sociétés. Si vous croyez qu’une société est visée par ces règles, vous devriez communiquer avec un conseiller fiscal afin de valider les conséquences de ces changements sur ses impôts.

Deux questions que le conseiller en sécurité financière devrait poser à son client:

1 Si la société de votre client présente des revenus de placements passifs excédant 50 000 $, ­avez-vous pensé à transférer des placements dans un ou des régimes de retraite individuels au bénéfice des actionnaires ou d’employés clés ? ­Cela peut se faire après avoir remboursé des avances aux actionnaires, déclenché un gain en capital en vendant des placements et versé des dividendes à même le ­compte de dividende en capital.

2 Le cas échéant, ­avez-vous pensé à transférer des placements dont la durée de détention est à long terme dans le volet placement d’un contrat d’assurance vie permanente (vie universelle ou vie entière participante) d’un actionnaire ou d’un employé clé ?

Jean-Guy Grenier, BAA, CMC, Adm.A, Pl. Fin., est expert associé au centre financier SFL des Sources.


Benoit Besner, LL.M Fisc., est directeur en fiscalité à BDO Canada.


1 Placements de 1 M$ x rendement de 5 % = 50 000 $ en revenus de placement, donc sous le seuil de réduction du plafond des affaires. 2 Au moment de mettre sous presse, le gouvernement du Québec n’avait toujours pas harmonisé ses politiques avec ces nouvelles mesures, mais il évalue présentement cette possibilité.

Benoit Besner