Le FNB, de l’indiciel pondéré au personnalisé

Par Gérard Bérubé | 13 novembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Que de chemin parcouru pour les fonds négociés en Bourse (FNB)! S’ils demeurent encore largement sous leur forme indicielle originale, leur entrée dans l’univers factoriel a donné naissance à la génération des FNB personnalisés. Quelle direction prendront-ils ensuite?

Le FNB est une invention canadienne qui aura bientôt 30 ans, le tout premier, le TIPS (Toronto 35), ayant été créé le 9 mars 1990, rappelle l’Association canadienne des FNB. Ce produit de placement affiche la plus forte croissance à l’échelle du globe, selon un article paru en décembre 2014 dans la Revue de la Banque du Canada. À la fin de 2018, son actif total sous gestion atteignait les 4 700 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale, répartis entre 6 483 fonds.

Au Canada, l’industrie comptait au 30 juin 2019 quelque 183 G$ d’actif réparti entre 37 manufacturiers ou émetteurs et 855 produits, selon les données fournies par Alain Desbiens, directeur général, distribution des FNB, à BMO Gestion mondiale d’actifs. Il reste que cela ne constitue qu’une fraction, soit 12 %, des 1 560 G$ que représentent les fonds communs de placement (FCP) au Canada.

Mais pour la première fois en dix ans, les FNB ont attiré l’an dernier plus de flux que ces derniers. Et leur actif a connu une augmentation de 6,5 % en 2018 au Canada malgré la contre-performance des marchés boursiers.

Ces outils de placement ont été créés pour apporter une option simple, transparente, liquide et peu coûteuse de diversification, quoique cette liquidité puisse s’avérer illusoire pour certains fonds, parce que tributaire de celle du sous-jacent ou de la présence d’un risque de contrepartie1 associé à l’existence d’une structure de levier ou au recours aux produits dérivés.

Ils permettent une diversification de titres, de secteurs et de stratégies d’investissement, ainsi que l’accès à des marchés parfois très nichés ou à une approche ciblée en matière de placement et de risque particulier. On leur reconnaît aussi une certaine efficience fiscale par rapport aux FCP, puisque les transactions de vente génèrent souvent moins de gains en capital imposables.

À leurs débuts, les FNB se limitent à reproduire le rendement d’indices généraux (S&P/TSX, S&P 500, etc.) composés en fonction de la capitalisation boursière.

«  J’ai été surprise […] de voir l’envergure du repli boursier de tous ces FCP à gestion active lors de la Grande Récession. »

Mary Hagerman, gestionnaire de portefeuille à Valeurs mobilières Desjardins

Quant à lui, le FCP se veut un mélange de gestion passive et active, cette dernière ayant pour objectif de battre l’indice de référence, explique Sebastien Betermier, professeur de finance à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Or, « 90 % du rendement des FCP peut venir de la gestion passive ». Ce qui ne les empêche pas d’imposer des frais de gestion pouvant osciller entre 1 et 3 %, contre 0,3 à 0,8 % pour les FNB.

« Le rapport SPIVA (qui compare la performance des fonds à gestion active aux indices S&P) le martèle sans cesse. Sur un horizon de 15 ans, jusqu’à 95 % des gestionnaires sur le marché des actions ne parviennent pas à battre leur indice de référence », ajoute Mary Hagerman, gestionnaire de portefeuille et conseillère en placement à Valeurs mobilières Desjardins.

Sur cinq ans, cette proportion atteignait 82 % aux États-Unis et 90 % au Canada au 31 décembre 2018. « J’ai été surprise, pour ne pas dire sous le choc, de voir l’envergure du repli boursier de tous ces FCP à gestion active lors de la Grande Récession. De constater que nombre d’entre eux n’ont pu tenir leur promesse et offrir une certaine protection contre la baisse des cours », ajoute-t-elle.

«  L’univers des FNB reste encore à 80 % indiciel au Canada et 98 % aux États‑Unis. »

Alain Desbiens, directeur général, distribution des FNB, à BMO Gestion mondiale d’actifs

Gestion active nuancée

Cette différence n’a cependant pas empêché l’univers des FNB de s’étendre à la gestion active dans l’objectif de surclasser un indice de référence et/ou gérer le risque de volatilité. Tout en continuant à se baser sur un indice, on commence maintenant à jouer avec la pondération des titres pour tenter d’obtenir des gains supérieurs.

Sont donc apparus il y a une dizaine d’années les FNB factoriels ou basés sur des règles. On pense aux produits à bêta intelligent, à faible volatilité, à options d’achat couvertes ou encore aux FNB spécialisés ou thématiques (infrastructures, dividendes, devises, matières premières, revenu fixe, critères ESG, etc.).

L’année 2018 a été celle de l’avènement des FNB de répartition d’actifs, la réponse aux portefeuilles fondés sur les facteurs de risque qu’offrent traditionnellement les FCP (prudents, équilibrés, de croissance, etc.), précise Alain Desbiens. S’est aussi intensifiée la croissance des « fonds de FNB ».

« L’industrie a toujours recherché une meilleure façon de réinventer la roue », résume Mary Hagerman.

Les FNB factoriels, faisant appel à des facteurs constants et reproductibles tels que la valeur, le momentum, la qualité ou encore la volatilité minimale, s’inscrivent dans cette mouvance. L’exercice consiste ici à s’en remettre à une gestion active, mais sans laisser intervenir l’impulsivité humaine. « En tenant ainsi l’émotion à l’écart, le portefeuille fait mieux 80 ou 90 % du temps, et ce, à des frais plus bas. »

« Cette version de la gestion active élimine les choix discrétionnaires, renchérit Sebastien Betermier. Elle retient une approche plus robotisée, plus quantitative et moins qualitative. »

« Mais l’univers des FNB reste encore à 80 % indiciel au Canada et 98 % aux États-Unis », insiste Alain Desbiens.

Le sur-mesure

Cette tendance dans l’évolution des FNB se poursuit maintenant avec l’indiciel personnalisé. « Il est question de la construction d’un fonds donnant accès au panier de titres que constitue l’indice, mais en le modifiant en fonction d’un besoin précis », explique Mary Hagerman.

La gestionnaire donne l’exemple d’un investisseur détenant beaucoup d’actions d’une banque canadienne X et qui voudrait s’exposer au marché boursier canadien. Il achèterait ainsi les titres composant l’indice boursier de référence duquel l’action de la banque X serait retirée. On délaisse l’approche classique d’une pondération s’inspirant de la capitalisation boursière pour aller vers le sur‑mesure.

Plus largement, les FNB auront toujours leur pertinence lors de l’établissement d’une stratégie spécifique : exposition à un pays ou un secteur particulier, placement dans les devises, les obligations, etc. Pour les investisseurs institutionnels faisant de la répartition d’actif, ils constituent des solutions à faible coût. Ils leur permettent notamment d’accéder à un éventail très étendu d’options, de changer rapidement de positions et font qu’aucun soutien opérationnel n’est nécessaire pour négocier les catégories d’actif sous‑jacentes.

« L’institutionnel qui disposerait de ressources plus limitées pourrait ainsi les canaliser vers une utilisation plus spécialisée, voire vers la gestion active », suggère Sebastien Betermier.

Comme les FNB sont adaptés aux conseillers-robots et comportent moins de frais de gestion, les professionnels en services financiers auraient tout avantage à les utiliser, alors que la notion de frais est un enjeu dans leur relation client. Au lieu de construire un portefeuille pour l’investisseur, ils peuvent choisir le ou les FNB appropriés et se consacrer à d’autres tâches.

« Les professionnels peuvent se concentrer sur les activités générant de la valeur ajoutée, comme la fiscalité, la diversification du portefeuille, la gestion de la volatilité, la couverture des risques de change ou encore la recherche de prospects », énumère Alain Desbiens.

Croissance en vue

Le marché mondial des FNB est appelé à doubler au cours des cinq prochaines années pour dépasser les 10 000 G$, écrivait l’an dernier BMO Gestion mondiale d’actifs. Au Canada, l’actif sous gestion se multiplierait par 2,5 pour frôler les 400 G$ d’ici 2024. On disait alors que cette poussée était d’autant plus plausible que les marchés sont aux prises avec plus de volatilité et que la faiblesse attendue des rendements vient accroître la sensibilité aux frais de gestion.

Sebastien Betermier estime que cette croissance pourrait se trouver alimentée par cette proximité toujours plus grande entre les institutions financières et les FNB. Le professeur cite en exemple l’alliance stratégique conclue au début de 2019 entre RBC Gestion mondiale d’actifs et BlackRock, consistant à regrouper sous une seule marque leurs familles de FNB offerts au Canada.

L’alliance vient renforcer cette cohabitation complémentaire entre l’approche indicielle, dont BlackRock a fait une spécialité, et la gestion active, davantage le champ d’expertise de RBC. Tout cela visant à enrichir la gamme des produits offerts aux investisseurs.


1 Risque de défaillance d’un emprunteur.


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Gérard Bérubé