Le rôle du liquidateur : l’épée de Damoclès ou non, telle est la question

Par Claude Morais | 4 octobre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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« Quoi ? Le règlement de la succession va prendre de 12 à 18 mois? Je me rappelle pourtant que trois mois après le décès de mon beau-père, tout était réglé! » Combien de fois ai-je entendu ce genre d’exclamations dans mon bureau?

La complexité d’une succession, son envergure, le type d’actif en cause, la présence de biens à l’étranger ou les conflits familiaux sont des facteurs qui peuvent expliquer l’allongement du délai entre le moment du décès et la remise finale de l’actif aux héritiers. Et il ne faut pas oublier qu’il existe une multitude de formalités juridiques, comptables, fiscales et administratives qui doivent être accomplies entre ces deux évènements.

La rapidité du liquidateur peut également dépendre du soin avec lequel il accomplit l’une ou l’autre de ces formalités. Ainsi, la confection d’un inventaire complet des biens du défunt et la publication de son avis de clôture au Registre des droits personnels et réels mobiliers sont par exemple des exigences du Code civil du Québec qui incombent au liquidateur.

Sachez qu’il n’y a pas lieu ici de rendre public le contenu de l’inventaire, mais bien de permettre à toute personne qui a un intérêt dans la succession, par exemple un créancier du défunt, de s’assurer que la dette est bien inscrite dans l’inventaire et qu’elle sera acquittée en temps et lieu.

Le défaut de produire cet inventaire, ou la dispense autorisée par tous les héritiers, peut certainement « accélérer » le processus, mais à quel prix? La sanction prévue pourrait avoir un effet dévastateur sur le patrimoine des héritiers puisque les créanciers potentiellement lésés pourraient non seulement récupérer les éléments d’actif de la succession, mais également, dans le cas où ils ne suffiraient pas à payer l’ensemble des dettes, saisir les biens personnels des héritiers afin de finaliser le paiement des dettes du défunt.

En d’autres termes : les héritiers désirent-ils récolter les dettes du défunt et se retrouver dans l’obligation de les rembourser avec leurs avoirs? Sont-ils si pressés de recueillir leur legs que la présence d’un péril aussi sérieux ne soit pas une préoccupation? Voilà l’une des épées de Damoclès qui planent sur les héritiers et que le liquidateur doit gérer.

LE CASSE-TÊTE DES IMPÔTS

Un des autres risques qu’il doit évaluer minutieusement provient des obligations fiscales qui lui incombent, et ce, tant du côté fédéral que provincial. Puisqu’il s’agit de l’une des dernières chances pour les gouvernements de récupérer les impôts dus par le défunt, ils sont particulièrement attentifs à cette étape du dossier.

Il est dans l’intérêt du liquidateur d’obtenir un certificat de décharge et une autorisation à distribuer les biens avant de remettre les éléments d’actif aux héritiers. Un certificat de décharge est émis par le gouvernement fédéral et atteste que l’ensemble des dettes fiscales du défunt ont été payées. Le gouvernement québécois émet quant à lui une autorisation à distribuer les biens, d’abord partielle, puis finale, si le dossier du contribuable est en ordre.

À défaut d’obtenir ces précieux documents, le liquidateur pourrait être personnellement tenu responsable du paiement des dettes de la personne décédée, et ce, pour toutes les années fiscales, même celles antérieures au décès. Potentiellement aussi douloureux qu’un coup d’épée!

Mais les délais pour obtenir les fameux documents de décharge restent longs. Il faut, dans un premier temps, avoir produit les déclarations de revenus pour les années précédant le décès et avoir reçu l’avis de cotisation de l’Agence du revenu du Canada pour l’année du décès. Dans un deuxième temps, il faut remplir les formulaires prescrits et attendre le résultat des recherches des gouvernements. La nature, l’ampleur et la complexité de la succession ont un impact direct sur les délais d’étude du dossier et de réponse. On ne parle pas ici de semaines, mais bien de plusieurs mois.

La responsabilité du liquidateur va donc bien au-delà de la simple production des déclarations de revenus pour l’année du décès, mais inclut notamment la production des déclarations antérieures manquantes et le paiement de toutes les dettes fiscales du défunt.

Plusieurs liquidateurs et héritiers vivent dangereusement. Je soupçonne malheureusement que nombre d’entre eux ne sont pas conscients de ces périls potentiels et vivent avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur patrimoine sans le savoir.

En matière de liquidation de succession, la patience est une vertu qui peut s’avérer très payante et éviter d’innombrables nuits d’insomnie au liquidateur. Il devrait être conseillé par des professionnels qualifiés afin de prendre des décisions éclairées.


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2017 de Conseiller.

Claude Morais