Les hauts et les bas de la formation continue

Par Didier Bert | 20 novembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Le marché de la formation continue des conseillers et des planificateurs financiers suscite la convoitise. Au point de mettre en péril la qualité des contenus?

L’offre de formation continue aux conseillers est abondante. À la fin de l’année 2018, 3 243 formations offertes par 500 fournisseurs différents étaient accréditées par la Chambre de la sécurité financière (CSF), et environ un millier par l’Institut québécois de planification financière (IQPF). Tous deux offrent également leurs propres formations, incluses dans ces chiffres.

La formation continue obligatoire vise à maintenir à jour les connaissances, compétences et habiletés professionnelles. Chaque conseiller ou Pl. Fin. doit collecter un certain nombre d’unités de formation continue (UFC) à tous les deux ans.

Les membres de la CSF sont tenus d’accumuler 10 UFC en matières générales, 10 UFC en conformité aux normes, éthique ou pratique professionnelle et 10 UFC en matières spécifiques à chacune des disciplines ou des catégories d’inscription pour lesquelles il est autorisé à exercer. De plus, la Chambre donne un cours obligatoire en conformité tous les quatre ans.

De son côté, l’IQPF exige des planificateurs financiers qu’ils obtiennent 40 UFC :

  • 15 en planification intégrée (dont les cours sont uniquement offerts par l’IQPF)
  • 15 dans un ou plusieurs des sept domaines de la planification financière (pour lesquels l’IQPF ne propose pas elle-même de formation)
  • 10 en conformité, éthique et pratique professionnelle (une catégorie pour laquelle l’IQPF dispense des cours).

Tricheurs isolés?

Le marché est vaste également par la diversité des fournisseurs de formation, où la CSF et l’IQPF côtoient de petits joueurs indépendants et de plus grands, comme les institutions financières, qui forment leurs propres employés.

S’assurer de la qualité de toutes les formations peut ainsi s’avérer ardu. Le plus récent rapport d’inspection de l’Autorité des marchés financiers (AMF), publié en janvier 2019, relève justement que « la Chambre confie la responsabilité de s’assurer de la compétence et de la qualité des formateurs aux fournisseurs des formations. [Elle] ne procède pas à toutes les vérifications de la qualité des formateurs et elle ne s’assure pas de connaître la nature des vérifications effectuées par les fournisseurs ».

Difficile également de vérifier que les conseillers ont bien suivi le cours auquel ils se sont inscrits.

Plusieurs témoins de l’industrie interrogés ont ainsi mentionné avoir constaté que certains participants sont en mesure d’obtenir leurs UFC même s’ils signent seulement la feuille de présence et quittent la salle aussitôt.

D’autres rumeurs courent. « Des gens diraient carrément : "Paye-moi 500 $ et je te donne des UFC" », avance Michel Mailloux, formateur en éthique pour les conseillers à Deontologie.ca. D’autres réduiraient le temps de formation, mais pas le nombre d’UFC offertes afin d’attirer des participants.

De tels cas demeurent « possibles mais plutôt rares », relativise Mario Grégoire, président du Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF), qui offre également des formations. Il s’en remet au bon jugement des conseillers.

« Les formations sont assez diversifiées pour répondre à leurs besoins, juge-t-il. Toutefois, il est de leur responsabilité de choisir celles qui sont pertinentes pour eux. »

Les formateurs complaisants mettent-ils en péril la crédibilité du système? « C’est probablement un enjeu et non des cas isolés. Et si c’est un enjeu, il faut s’y attaquer. Sinon, c’est une faille importante », affirme Maxime Gauthier, chef de la conformité à Mérici Services Financiers.

D’autres aspects fondamentaux inquiètent. « La plupart des formations parlent de choses très détaillées, souvent en termes juridiques, mais peu de cours traitent de la vision globale de la situation financière du client que doit avoir un représentant », observe Jean Dupriez, planificateur financier à Valimax Édival et lui-même formateur.

Dans les formations professionnelles, quel que soit le secteur d’activité, c’est souvent le juridique qui est mis de l’avant pour s’assurer de la connaissance de cet aspect des produits, acquiesce Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP). « Mais les praticiens qui expliquent le gros bon sens, en s’appuyant sur leur expérience, c’est important aussi », souligne-t-il.

La formation continue est obligatoire pour maintenir le droit d’exercice délivré par l’Autorité à tous les représentants. Mais ces derniers se contentent trop souvent de respecter le nombre d’UFC requis, sans suffisamment s’intéresser au contenu des cours, regrette M. Dupriez.

« Je suis estomaqué par le nombre de conseillers qui se fichent complètement de leur formation, déplore-t-il. Ils recherchent uniquement la conquête de leurs UFC au prix le plus bas possible. »

« Aujourd’hui, je me pose des questions sur la plus-value réelle de certaines formations pour un conseiller. »

Maxime Gauthier

Contrôles indirects

Dans son rapport d’inspection, l’Autorité recommande « que la Chambre prenne les mesures nécessaires afin d’octroyer des unités de formation uniquement pour des activités qui respectent les critères de reconnaissance de formation du Règlement sur la formation continue obligatoire de la Chambre de la sécurité financière ». Le régulateur suggère aussi « que la Chambre prenne les mesures nécessaires pour s’assurer de la probité et de la compétence des formateurs ».

Déjà, dans un rapport datant d’août 2017, l’Autorité suggérait à la CSF de resserrer les normes de contrôle relatives aux formateurs, au traitement des demandes de reconnaissance des formations et aux dispenses.

« Suivant les recommandations de l’Autorité des marchés financiers, nous avons proposé et mis en œuvre des mesures à la satisfaction du régulateur en révisant notamment l’ensemble des processus, procédures et contrôles mis en place », répond par courriel Julie Chevrette, directrice des communications à la CSF.

« La CSF effectue des audits et visites surprises ou à la suite de plaintes, précise Mme Chevrette. Le nombre varie d’une année à l’autre. »

De son côté, l’IQPF effectue des contrôles indirects. « Nous ne nous présentons pas dans les formations, explique Luce Blouin, directrice du développement professionnel à l’IQPF. Nous envoyons des questionnaires aux participants indiqués sur les listes de présence. »

Une des meilleures façons de contrôler les formations est de s’appuyer sur ceux qui les suivent, croit Jocelyne Houle-LeSarge, PDG de l’IQPF. « Si le contenu n’est pas satisfaisant, la formation va arrêter rapidement parce que les participants ne seront pas contents. Ils n’en auront pas eu pour leur argent », assure-t-elle.

Mais si le cours est offert gratuitement, qui ira se plaindre d’un temps de présence raccourci permettant d’obtenir des UFC facilement? « On sait ce qui se passe par les questionnaires », assure Mme Houle-LeSarge.

« Aujourd’hui, je me pose des questions sur la plus-value réelle de certaines formations pour un conseiller, avance Maxime Gauthier. Peut-être faudrait-il davantage de vérifications sur ce qui est dit dans la salle? Parfois, il peut y avoir une différence entre ce qui est avancé sur papier et ce qui est proposé sur le plancher. »

« L’Autorité a constaté que les critères établis servant à exclure les formations reliées à la promotion ou à la vente d’un produit n’étaient pas toujours suffisants ou s’avèrent trop larges pour répondre aux exigences, indique son dernier rapport d’inspection portant sur la CSF. En effet, certains dossiers analysés dénotent que des unités de formation continue sont accordées pour l’ensemble d’une activité de formation portant sur un produit en particulier alors qu’une partie de cette formation peut être considérée comme liée à la vente et à la promotion dudit produit. »

Les conséquences peuvent cependant être importantes pour l’entreprise qui manquerait à ses devoirs quant au contenu et à la durée des formations qu’elle offre. Tant la CSF que l’IQPF disent avoir déjà retiré des accréditations ou diminué le nombre d’UFC attribuées après avoir constaté des lacunes.

Des mesures plus légères peuvent être prises, comme demander des modifications au contenu. L’IQPF ne dispose pas de statistiques sur le nombre de changements demandés aux fournisseurs. De son côté, la Chambre précise que le taux de satisfaction de ses membres relativement aux activités de formation reconnues s’élevait à 88,5 % en 2018.

Conflits d’intérêts?

« L’IQPF facture un prix exorbitant pour une formation de 15 UFC parce qu’il est seul, indique Michel Mailloux. Mettez de la concurrence et vous verrez les prix fondre. »

Depuis deux ans, M. Mailloux met en cause le double rôle de l’IQPF et de la CSF : celui d’organismes de certification et de fournisseurs de formation.

« Si un fournisseur ne se conforme pas aux normes, la CSF ou l’IQPF doit sévir. Mais quel cours reste-t-il à la place ? Le leur, entre autres ! On ne peut pas intervenir comme juge et partie », proteste-t-il.

La CSF réfute tout conflit d’intérêts, se présentant comme un acteur mineur du marché qui détient 1 % de l’offre de formation disponible. « Une seule formation est obligatoire à la CSF, celle sur la conformité, constate Maxime Gauthier. Plus il y a de fournisseurs, mieux c’est, parce que cela offre plus de choix, pourvu que ce soit des formations de qualité. »

Dans son rôle d’encadrement de l’industrie, l’AMF veille à éviter de tels conflits d’intérêts. « Lors de ses inspections de chacun de ces organismes, l’Autorité vérifie si les mesures en place assurent une indépendance entre les fonctions relatives à l’accréditation et les fonctions de développement de formations », précise Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité.

Derrière la question du conflit d’intérêts se cache aussi celle des profits que tire chaque organisme certificateur des formations qu’il propose sur le marché.

« Il est évident qu’il s’agit d’une source de revenus. Les formations, c’est très payant. Par exemple, au Barreau du Québec, l’obligation de formation continue fait partie du modèle financier », juge Michel Nadeau.

Cependant, il ne croit pas qu’il s’agisse d’un problème. « L’essentiel est qu’il n’y a pas de monopole dans l’offre de formation », martèle-t-il.

La vente de formations ne représente que 30 % des 936 171 $ que tire la CSF en revenus d’accréditation et d’offre de formations et 2,3 % de ses revenus totaux. Pas de quoi nourrir un conflit d’intérêts?

Ce n’est pas l’avis de Michel Mailloux, lui-même formateur. « Quand un conseiller reçoit un courriel de la Chambre l’informant qu’il lui manque des UFC, on lui propose en même temps de les obtenir avec la CSF, dénonce-t-il. Elle ne se gêne pas pour faire de la sollicitation dans le même courriel, mais n’annonce pas les autres fournisseurs. Et elle est la seule à avoir l’adresse courriel de tous les conseillers. »

« Les rappels concernant les UFC manquants au dossier d’un membre ne se font pas sous la forme de campagnes de promotion de nos formations, mais bien comme service pour s’assurer que le membre sera conforme avant la fin de la période de référence. Les membres sont libres de choisir parmi quelque 3 000 activités reconnues, quel que soit le fournisseur », rétorque la CSF.

La liberté d’action des organismes certificateurs doit-elle être restreinte? « Il devrait y avoir une limite raisonnable imposée par le régulateur quant aux coûts et au nombre de formations obligatoires à la fois diffusées et accréditées par la CSF et l’IQPF », suggère Mario Grégoire, qui souhaite que les frais d’accréditation et les tarifs des formations offertes par les deux organismes soient harmonisés et revus à la baisse.

M. Mailloux reconnaît l’enjeu financier de la formation pour les organismes certificateurs. Il propose de demander aux formateurs de verser un montant d’argent par UFC attribuée afin de compenser les revenus tirés de la formation. La CSF et l’IQPF se consacreraient alors à la certification, sans donner de formation. Si l’IQPF n’a pas commenté cette proposition, la CSF estime que la formation relève de son mandat.

« Dans tous les organismes professionnels, la formation continue obligatoire contribue au maintien des compétences et, par conséquent, à une meilleure protection du public. Dans ce contexte, la CSF entend continuer d’offrir des activités de formation », conclut Julie Chevrette.

En chiffres

La CSF a reconnu 1 716 nouvelles activités de formation continue au cours de l’année 2018, sur un total de 3 243 cours mis à la disposition de ses membres.

Les revenus de formation de la CSF, incluant ceux liés aux accréditations, s’élevaient à 936 170 $ en 2018 (7,6 % des revenus totaux) et 1 715 396 $ en 2017 (soit 13,1 % des revenus totaux).

Sur l’exercice financier achevé le 31 mars 2019, la formation continue représentait 46,8 % des revenus de l’IQPF.

Sources : rapport annuel 2018 de la CSF, rapport annuel 2018‑2019 de l’IQPF et états financiers 2018‑2019 de l’IQPF

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• Ce texte est paru dans l’édition de novembre-décembre 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.