L’objectivité, impossible quand on est payé à commission?

Par Daniel Guillemette | 10 mars 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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À tort ou à raison, certaines personnes sont convaincues que la rémunération des conseillers par commission les place inexorablement dans une position où il leur est impossible de faire passer l’intérêt de leurs clients avant leur propre intérêt personnel.

Avant de lancer le mouvement ­Asteris, ses membres fondateurs ont longuement débattu de cette question existentielle, qui inquiète plusieurs acteurs de notre industrie, notamment les autorités de réglementation, certaines associations de consommateurs et les conseillers en services financiers, lesquels sont à la fois responsables et victimes des critiques formulées contre eux. ­

Existe-t-il d’autres sources de conflit d’intérêts ?

Bien sûr ! ­Ce sujet est d’ailleurs très documenté, en particulier par l’Autorité des marchés financiers (AMF)1. Outre les commissions, sont considérées comme sources potentielles de conflit d’intérêts les incitatifs de vente sous forme de congrès tous frais payés dans des pays exotiques, de campagnes et de concours de vente, de récompenses offertes aux meilleurs « vendeurs », de plaques et trophées, de formations gratuites donnant des ­UFC, de bonis plus élevés pour la vente de produits maison ou de représailles si les objectifs de vente ne sont pas atteints.

Chacune d’elles représente une motivation suffisamment importante pour pousser certains conseillers à privilégier la vente de produits non adaptés aux besoins du client ou qui ne sont pas dans son meilleur intérêt.

Pour voir les six faces d’un cube, il faut le retourner dans tous les sens. Limiter notre analyse des sources de conflit d’intérêts en ne considérant rien d’autre que les commissions nous semble trop simpliste. Il serait futile d’espérer tirer des conclusions valables sans élargir la portée de notre questionnement de façon à y inclure tous les modes de rémunération ainsi que tous les acteurs qui pourraient avoir avantage à utiliser les conseillers en services financiers comme boucs émissaires.

Plusieurs jugements ont été rendus contre ceux qui se sont placés en situation de conflit d’intérêts dans les dernières années. Ils subissent alors les dommages réputationnels découlant de leur manque de clairvoyance, de leur naïveté, de leur stupidité ou de leur cupidité, exploitée par les manufacturiers de produits qui ont mis en place, par des incitatifs de vente, l’ensemble des conditions favorisant de tels comportements répréhensibles. Pas étonnant d’ailleurs que plusieurs soient forcés d’abandonner leur profession2 ou qu’ils le fassent volontairement après avoir passé à travers ce douloureux processus disciplinaire.

Mettre un terme aux incitatifs

Nous reconnaissons l’importance de la croissance des ventes pour les assureurs et nous comprenons que les incitatifs peuvent servir de combustible aux conseillers qui ont besoin de motivation externe pour performer.

L’obligation déontologique de prioriser l’intérêt des clients en toutes circonstances est évidemment un objectif incontournable, mais nous persistons à croire que les conseillers demeurent inutilement exposés à des risques dont la plupart souhaiteraient se débarrasser, en particulier ceux découlant des incitatifs de vente, sources potentielles de conflit d’intérêts. ­

Pourrions-nous donc les éliminer immédiatement pour éviter que certains de nos collègues se fassent prendre au piège et que l’image de notre profession en soit entachée au point où il sera de plus en plus difficile d’attirer de nouvelles recrues ?

Un peu d’espoir, un peu de déception

Plusieurs assureurs ont déjà cessé d’offrir à leurs conseillers de les « récompenser » au moyen de congrès toutes dépenses payées. La presque totalité des représentants que je connais ont applaudi ce changement de cap, qui éliminait enfin une source potentielle de conflit d’intérêts dans laquelle ils étaient plongés contre leur gré. Ceux qui en ont les moyens préfèrent de loin acquitter leurs propres dépenses lorsqu’ils assistent à de tels événements, affirmant du coup leur indépendance.

À la suite de ces annonces, certains agents généraux se sont empressés de qualifier le débat entourant les concours de vente d’« insignifiant », clamant la légitimité de leurs propres incitatifs au lieu de suivre les assureurs. Dans la foulée, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) publiait ses propositions pour enrayer l’« impression » de conflit d’intérêts quant à ces conférences3. L’ACCAP estimait en effet qu’elles n’étaient pas source de conflit d’intérêts, mais que les consommateurs pouvaient les percevoir comme telles. On y suggérait ainsi de permettre aux :

  • assureurs qui distribuent leurs produits par l’intermédiaire de réseaux de courtiers indépendants d’offrir uniquement des conférences pour lesquelles les conseillers devraient payer leurs propres frais de déplacement et d’hébergement ;
  • assureurs qui distribuent leurs produits par leur propre réseau d’employés d’offrir des voyages axés sur l’éducation et d’avoir l’option de payer les dépenses des conseillers ;
  • agents généraux d’offrir des voyages axés sur l’éducation et d’avoir l’option de payer les dépenses des conseillers, à condition que ces congrès ne soient pas liés au placement de produits pour le compte d’un assureur en particulier et qu’il n’y ait aucune incitation à recommander les produits d’une compagnie donnée.

Par cette initiative, j’estime que l’industrie réaffirmait son besoin ou son désir de permettre aux assureurs et aux agents généraux de maintenir une culture visant à mousser les ventes par des incitatifs. Elle suggérait toutefois d’y appliquer un maquillage suffisant pour laisser croire aux associations de consommateurs, aux organismes de réglementation et aux médias qu’elle s’était autodisciplinée, souhaitant ainsi calmer la grogne montante. Sans surprise, cela n’a toutefois pas suffi à répondre de façon satisfaisante aux inquiétudes exprimées par l’AMF sur le sujet.

Vers la fin des sources de conflit d’intérêts ?

Dans l’éventualité peu probable d’un jugement défavorable rendu contre un haut dirigeant d’une institution financière ou d’un assureur le tenant ­co-responsable d’un conflit d’intérêts ayant causé un dommage à un client, l’ensemble des sources de conflit d’intérêts disparaîtrait le lendemain dans toute notre industrie.

Leur abolition représente d’ailleurs l’un des plus grands souhaits des membres fondateurs d’Asteris, qui rêvent du jour où les conseillers seront enfin perçus comme de véritables professionnels qui offrent une valeur ajoutée à leurs clients en raison de leurs ­services-conseils plutôt que de leur simple capacité à vendre les produits financiers des manufacturiers.

L’indépendance favorise l’objectivité

Du point de vue des membres fondateurs d’Asteris, un conseiller peut émettre des recommandations objectives, sans égard au mode de rémunération, dans la mesure où les conditions suivantes sont réunies :

  • ­Il ne subit aucune influence externe et n’accepte aucun incitatif, directement ou indirectement, quant aux produits et services qu’il propose à ses clients selon son analyse de leur situation (nous appelons cela l’indépendance !) ;
  • ­La rémunération qu’il reçoit (commissions et bonis confondus) ne diffère pas selon les produits qu’il peut proposer à ses clients pour répondre à leurs besoins ;
  • ­Chacune de ses nouvelles transactions est auditée par une personne neutre et non intéressée, capable de comprendre à la fois le ­bien-fondé des recommandations faites par le conseiller, leur pertinence par rapport aux besoins du client ainsi que la rémunération découlant de la souscription du produit par rapport à d’autres produits identiques ou semblables.

Nous sommes d’avis qu’une personne qui clame ­elle-même son objectivité n’a aucune crédibilité, d’où l’importance et la valeur de l’audit.

Contrairement à la croyance populaire, les conseillers ne carburent pas tous à la compétition et ne veulent pas nécessairement se comparer à leurs collègues en ce qui concerne le volume de leurs affaires. Ils ne sont pas tous à la recherche de la reconnaissance de leurs pairs non plus. La plupart d’entre eux trouvent plutôt leur source de motivation dans la valeur qu’ils ajoutent à la situation financière des familles, des professionnels et des dirigeants d’entreprise qui profitent de leurs conseils et de leurs recommandations.

Alors que la marche vers le palmarès des meilleurs vendeurs permet une euphorie éphémère déclenchée par une source externe, celle qui mène sur le podium du meilleur ­service-conseil procure un ­bien-être éternel qui émane du professionnel ­lui-même.

En collaboration avec Asteris*.

Daniel ­Guillemette est président de ­Diversico, ­Experts-conseils et membre fondateur d’Asteris.


1 Conseiller, « Concours de vente : le glas a-t-il sonné? » 2 Chambre de la sécurité financière, Radiation temporaire de Danielle Guilbault Chambre de la sécurité financière, Radiation temporaire de Claude Huet Chambre de la sécurité financière c. Talbot 3 Conseiller, « Fin des concours de vente : l’ACCAP salue la décision de la Great-West »


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Daniel Guillemette

Daniel Guillemette est conseiller en sécurité financière depuis 1984. Il a terminé ses études en fiscalité à l’Université de Sherbrooke en 2000. Il dirige plusieurs cabinets de services financiers qu’il a acquis au fil du temps, la première acquisition datant de 1996. En 2008, inspiré de ses propres besoins, il a commencé à s’investir dans le projet iGeny, une entreprise visant à augmenter son agilité, sa capacité à s’adapter aux conditions changeantes. iGeny commercialise aujourd’hui iGeny Form, iGeny Pro, ScanSquad et offre également aux conseillers un service d’adjointes virtuelles.