Multidisciplinarité c. spécialisation : des voies complémentaires

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 28 septembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Pour se différencier de ses concurrents, vaut-il mieux se spécialiser afin d’offrir un service de niche ou, au contraire, multiplier les permis pour être en mesure de répondre à tous les besoins d’un client et de sa famille? Vos collègues tentent de trancher la question.

« Je crois énormément en la multidisciplinarité, précise d’emblée Hugo Neveu, directeur principal, Équipe Sommet, à Planiprêt. Ceci dit, à mes débuts en 2007, je pensais qu’un individu pouvait tout faire, détenir tous les permis et combler seul tous les besoins de ses clients en matière de finances personnelles. Je suis donc allé chercher les certifications en épargne collective, assurance de personnes et courtage hypothécaire. Mais tout s’est complexifié par la suite. »

Complexification de la tarification en assurance de personnes depuis 2010, avec de nouveaux produits de niche ayant chacun leurs particularités, permettant aux conseillers qui les connaissent bien de se démarquer. Même chose du côté des produits hypothécaires.

Du point de vue de l’épargne collective, les dernières modifications réglementaires destinées à rendre les processus plus transparents accroissent la charge en matière de conformité. Quant aux nouvelles technologies intelligentes, elles font en sorte que, plus que jamais, le conseiller sera payé pour l’expertise pointue qu’il a acquise dans son domaine, alors que les tâches redondantes seront attribuées à des robots-conseillers.

« Tenant compte de cette nouvelle donne, je vois mal comment un individu peut donner le meilleur dans toutes les disciplines à la fois, plaide M. Neveu. Mais le client, lui, est à la recherche d’un guichet unique. Je crois donc toujours en la multidisciplinarité, mais en équipe. Au sein d’un même cabinet ou en mettant en place un réseau de confiance avec d’autres spécialistes vers lesquels diriger nos clients. »

Un monde de spécialistes

  • Au 31 mai 2019, la Chambre de la sécurité financière comptait 31 924 membres.
  • Précisément 22 254 d’entre eux étaient inscrits dans une seule discipline ou catégorie, soit près de 70 %.
  • On en comptait 6 955 qui détenaient deux permis (22 %) et 1 858, trois permis (6 %).
  • La spécialité la plus répandue est le courtage en assurance collective (50 %), suivie de l’assurance de personnes (30 %) et de la planification financière (10 %).

Source : CSF

L’importance de la transparence

Hugo Neveu s’est quant à lui spécialisé dans le courtage hypothécaire, ce qui lui permet d’être performant sur ce volet précis et d’être recommandé par des conseillers multidisciplinaires.

Laurie Therrien fait partie de ces professionnels qui ont misé sur l’ajout de plusieurs cordes à leur arc. La jeune planificatrice financière est également conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective. Elle dirige son propre bureau, les Services financiers Therrien et Alain. Selon elle, il est important de pouvoir s’occuper de toute la planification financière d’une famille. Mais il faut aussi savoir reconnaître ses limites et ne pas hésiter à envoyer un client consulter un spécialiste.

« Les spécialistes excellent dans un domaine donné et c’est très important de pouvoir s’adresser à eux lorsque la situation est plus complexe. »

Laurie Therrien

« Les deux modèles ont leur place, estime-t-elle. Lorsque je reçois un client, il est bien rare qu’il n’ait qu’une seule question et j’aime être capable de lui répondre en tenant compte de toute sa situation financière, professionnelle et familiale. Mais les spécialistes excellent dans un domaine donné et c’est très important de pouvoir s’adresser à eux lorsque la situation est plus complexe. »

Mme Therrien insiste sur le fait que l’essentiel, que l’on soit spécialiste ou que l’on préfère la multidisciplinarité, réside dans la transparence : bien divulguer ses différents permis et ne pas hésiter à envoyer son client vers un confrère qui le servirait mieux quant à tel ou tel aspect de son dossier.

Dans ce contexte de concurrence accrue et de complexification des produits, d’autres conseillers décident quant à eux de se spécialiser non pas dans une discipline, mais plutôt dans un type de clients.

« Ma clientèle est composée à 85 % d’entrepreneurs indépendants, de travailleurs autonomes et de professionnels qui peuvent se constituer en personne morale », note Christiane VanBolhuis, planificatrice financière à la Financière Sun Life, qui détient également les droits de pratique en assurance de personnes et en épargne collective.

« Je dirais même que la majorité de mes clients sont des médecins, gynécologues, cardiologues, chirurgiens-dentistes, etc. Je ne l’ai pas spécialement cherché, mais le cabinet est situé au centre-ville de Montréal, dans un quartier où il y a beaucoup de médecins. J’ai commencé à travailler avec l’un d’eux, puis deux, puis trois. Le bouche-à-oreille a fait le reste. Aujourd’hui, j’ai développé une expertise pour ces clients, qui ont sensiblement la même réalité. »

« C’est en travaillant à la fois avec le propriétaire d’entreprise, les proches et la famille que l’on peut comprendre la dynamique et mettre en place une stratégie globale. »

Monette Malewski

Offrir une stratégie globale

La jeune femme estime que sa spécialisation lui permet de connaître les besoins de sa clientèle en profondeur et d’aller chercher les formations susceptibles de l’aider le mieux possible.

C’est dans ce même état d’esprit que Monette Malewski est récemment retournée sur les bancs d’école afin de décrocher le titre de conseillère en entreprise familiale (family enterprise advisor), offert seulement en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario. À la tête du Groupe M Bacal depuis une vingtaine d’années, elle offre aux entreprises familiales des solutions personnalisées en matière de planification successorale et fiscale, d’héritages familiaux et communautaires, d’assurance à prestation du vivant et de régimes d’avantages sociaux.

« Si le fondateur de l’entreprise commence à penser à sa relève à 60 ans, c’est trop tard, explique-t-elle. Il faut regarder ça tôt. C’est en travaillant à la fois avec le propriétaire, les proches et la famille que l’on peut comprendre la dynamique et mettre en place une stratégie globale. Dans les entreprises familiales, tout est lié. Je trouve cela plus adéquat de m’occuper à la fois des finances et de l’avenir de l’entreprise et de la famille. »

Quelque 300 professionnels détiennent ce titre à travers le Canada. Au Québec, ils sont une douzaine seulement à avoir effectué la formation : des comptables, des avocats, des stratèges d’affaires, mais peu de conseillers comme elle. Si le titre de conseiller en entreprise familiale n’est pas officiellement reconnu dans la province, la formation permet à Mme Malewski d’aborder ses clients différemment.

« Auparavant, ils venaient me voir au moment de passer la main, explique-t-elle. Ça devenait vite funeste. Aujourd’hui, nous prenons cela sous l’angle des projets. »

« Je privilégie une approche plus intime plutôt que d’offrir toujours le même service à une multitude de clients. »

Christiane VanBolhuis

Les risques de la spécialisation

Cette approche à la fois globale, mais de niche, permet également à ceux et celles qui choisissent cette voie de travailler avec moins de clients.

« Je vais chercher moins de contrats, confie Christiane VanBolhuis. Je privilégie une approche plus intime plutôt que d’offrir toujours le même service à une multitude de clients. C’est surtout une question de goût. »

Tous s’entendent par ailleurs pour dire que le fait de pratiquer dans un grand centre, avec un bassin de population important, appelle plus à la spécialisation que lorsque le cabinet est installé en région. Ils concèdent par ailleurs qu’être trop spécialisé peut parfois s’avérer risqué.

« J’ai un confrère qui est spécialiste de l’assurance invalidité et du régime enregistré d’épargne-invalidité à Montréal, raconte Mme VanBolhuis. Il est à l’affût de tout sur ce sujet très spécifique. Mais si le gouvernement décide de mettre la hache dans ce régime, il a un problème. Son entreprise est très dépendante de cet incitatif. »

Qu’ils soient spécialistes ou multidisciplinaires, nos quatre intervenants estiment qu’il y a de la place pour tout le monde dans l’industrie. Ils se partagent les dossiers et se recommandent les uns les autres, un peu comme les médecins omnipraticiens s’occupent de la santé de leurs patients au quotidien et les dirigent vers un spécialiste lorsque le cas sort de leur domaine de compétence.

Attention à l’exercice illégal

Selon l’Autorité des marchés financiers, la multi- disciplinarité est possible dans la mesure où l’article 2 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants est respecté. Celui-ci pointe les occupations incompatibles avec la fonction de représentant, telles qu’avocat, notaire, syndic de faillite ou courtier immobilier.

L’Autorité insiste sur le fait que la multidisciplinarité peut constituer un atout permettant à un conseiller de bien servir la clientèle, sans avoir à la diriger vers d’autres professionnels.

Les articles 9 et 10 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (CSF) obligent toutefois le représentant à tenir compte des limites de ses connaissances dans l’exercice de ses activités et à ne pas entreprendre ou poursuivre un mandat pour lequel il n’est pas suffisamment préparé sans obtenir l’aide nécessaire.

Depuis 2017, aucun membre de la CSF n’a été sanctionné par le comité de discipline pour avoir exercé des activités de représentant sans être dûment certifié ou inscrit. Dix d’entre eux l’avaient été en 2015 et 2016. Dans les cinq dernières années, six représentants ont par ailleurs été réprimandés pour avoir autorisé une personne à exercer dans des disciplines sans détenir le certificat requis.

Le représentant qui choisit de se spécialiser ne peut pas, quant à lui, utiliser le qualificatif « spécialiste » dans son titre et doit s’en tenir aux titres prévus à la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Il doit de plus porter une attention particulière à la façon dont il se présente au public en évitant toute fausse représentation quant à son niveau de compétence.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Hélène Roulot-Ganzmann