Nouveau relevé : maux de tête en perspective?

Par Jean-François Venne | 10 mars 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Un client vous offre le champagne pour célébrer un gain de 86 000 % dans un fonds, alors qu’un autre vous reproche une perte de 1 000 % ? Ils ont probablement mal compris leur nouveau relevé.

« J’ai beaucoup d’appréhension par rapport à la présentation des rendements sur le nouveau relevé, lance ­Flavio ­Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF). La méthode de calcul est complexe, tient compte de plusieurs facteurs et peut produire des aberrations. Si les clients inquiets se tournent en grand nombre vers leur conseiller pour obtenir des explications, la charge de travail sera lourde. »

Qu’­est-ce qui soulève les craintes de ­Flavio ­Vani ? ­Pour le comprendre, il faut faire un petit détour par les mathématiques. Les investisseurs reçoivent désormais les nouveaux relevés imposés dans le cadre du ­MRCC 2, lesquels présentent notamment les rendements des divers fonds dans lesquels ils ont investi. Flavio_Vani_100

« Si les clients inquiets se tournent en grand nombre vers leur conseiller pour obtenir des explications, la charge de travail sera lourde. »

– Flavio Vani

Mais le calcul des rendements est tout sauf simple. La plupart des formules mathématiques ont leurs avantages et leurs inconvénients. Les deux principales approches établissent le rendement en le pondérant en fonction du temps (taux de rendement pondéré par période, ou ­TRPP) ou de l’argent (taux de rendement pondéré en dollars, ou ­TRPD).

Le ­TRPP calcule le rendement d’un investissement en fonction du temps, sans tenir compte des flux financiers comme le réinvestissement de dividendes et d’intérêts, les dépôts ou les retraits de capitaux. Ainsi, si un fonds offre une performance de 8 % sur un an, le relevé du client indiquera ce rendement. Pourtant, si le fonds a fait la majeure partie de ses gains dans les six premiers mois et que le client y a investi 10 000 $ en septembre, il n’aura pas réellement fait 8 % de rendement sur cette somme.

La méthode pondérée en fonction des dollars, au contraire, tient compte des investissements ou retraits effectués par le client, des dividendes et intérêts et des changements de valeur sur le marché des titres détenus dans le compte. Le taux de rendement interne (TRI) imposé sur les relevés des clients dans le cadre du ­MRCC 2 relève de cette seconde méthode. Il repère le rendement de l’investissement sur une période donnée.

Philippe ­Grégoire, professeur en finances à l’Université ­Laval, donne l’exemple d’un fonds qui aurait connu un rendement de 25 % une année, avant de baisser de 20 % l’année suivante. Son rendement net sera alors de zéro sur deux ans. C’est la performance réelle du fonds. « ­Mais si le client a investi avant la croissance de 25 % puis retiré ses fonds avant la chute de 20 %, son rendement sera de 25 %, ­rappelle-t-il. Cela n’évalue pas une décision de placement, comme le choix d’un fonds, lequel relève souvent du conseiller, mais plutôt le moment de l’investissement, qui tient plus au choix du client. »

« ­Chaque méthode a ses limites, explique ­Laurie ­Therrien, dirigeante de ­Services financiers ­Therrien et ­Alain inc. La méthode ­TRPP permet d’avoir le résultat le plus représentatif de la gestion des gestionnaires de portefeuille, mais mesure moins bien l’impact réel des transactions faites dans le portefeuille d’un client. Ce n’est pas personnalisé selon sa situation. Le ­TRPD représente davantage la situation de chaque client et la façon dont il a investi son argent dans les fonds durant l’année. »

Sophie Palmer

Sophie Palmer

CE QUE DISENT LES CHIFFRES

« ­Les deux méthodes répondent à des questions très différentes, note ­Sophie ­Palmer, ­CFA, présidente de ­CFA ­Montréal. Le calcul pondéré en fonction du temps permet d’évaluer le gestionnaire, qui ne contrôle pas les entrées et sorties de fonds. Ce dernier ne bénéficiera pas indûment, par exemple, d’une meilleure performance si une large entrée de fonds est effectuée juste avant une hausse spectaculaire du marché et à l’inverse ne souffrira pas si son client retire des fonds juste avant une baisse. Toutefois, le résultat ne correspondra pas nécessairement à ce que le client reçoit réellement comme rendement sur son portefeuille, contrairement à la méthode tenant compte des entrées et sorties de capitaux. »

Lors des consultations des ­Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sur les nouveaux relevés, le ­Canadian ­Advocacy ­Council for ­Canadian ­CFA ­Institute ­Societies prônait l’utilisation des deux méthodes en même temps sur les relevés, à condition de bien les expliquer. Selon eux, l’objectif des ­ACVM d’améliorer la transparence des rendements envers les clients ne serait pas atteint en se restreignant à la seule méthode pondérée en fonction des dollars.

« ­Nous croyons, ­peut-on lire dans leur mémoire, que lorsque les clients regardent les rendements de leur portefeuille, ils cherchent

des réponses à deux questions principales, et chacune de ces questions ne peut trouver de réponse qu’en utilisant l’une ou l’autre des deux méthodes de calcul. Les clients veulent savoir comment la valeur de leur portefeuille a varié en raison de la performance du fonds sur une période, une question à laquelle on répond le mieux en utilisant les calculs de rendement pondérés en fonction des dollars. Ils veulent aussi connaître la portion de ce rendement attribuable aux conditions générales du marché, et la portion relevant de la gestion discrétionnaire du portefeuille. Cet aspect est probablement aussi important pour les clients que le premier et nécessite d’utiliser un calcul de rendement pondéré en fonction du temps. »

En d’autres termes, les clients veulent aussi connaître les performances du gestionnaire. Mais les régulateurs ont préféré se limiter à l’option du ­TRI. Il aurait été intéressant de savoir pourquoi. Malheureusement, l’Autorité des marchés financiers a préféré s’abstenir de commentaires sur ce sujet.

RÉSULTATS SURPRENANTS

Cette décision ­placera-t-elle les professionnels du conseil financier dans l’eau chaude ? ­Certains le craignent, en raison des aberrations que la méthode retenue peut parfois induire. Ces aberrations se produisent généralement lorsqu’un compte a été l’objet de flux monétaires importants sur une courte période.

« J’ai déjà vu, avec cette méthode, des relevés qui présentaient des chiffres surprenants à mes clients, raconte ­Flavio ­Vani. Par exemple, des encaisses dans lesquelles on faisait 86 000 % de rendement, en raison d’entrées de capitaux. »

Les différences ne sont pas toujours aussi éclatantes. Le planificateur financier ­Léon ­Lemoine compare depuis plusieurs années les résultats offerts par les méthodes pondérées en fonction du temps et des dollars. Il constate que les rendements affichés d’un même fonds sont généralement inférieurs de 1 à 2 % par année lorsqu’ils sont pondérés en fonction des dollars, plutôt que du temps. « ­Sur une période de dix ans, la distorsion devient assez importante », ­souligne-t-il.

Les écarts sont parfois plus trompeurs. Imaginons qu’un client investit 1 000 $ dans un fonds commun en début d’année. Heureux du rendement de 15 % la première année, il ajoute 100 000 $ dans ce fonds au début de l’année suivante. Le fonds affiche un rendement de -5 % cette ­année-là. On comprend instinctivement que le client n’a pas fait d’argent, il en a perdu. Mais un relevé pondéré en fonction du temps lui montre un rendement de 4,52 % depuis deux ans. À l’inverse, un relevé basé sur le ­TRI lui indique un rendement annualisé de -4,814 %, beaucoup plus réaliste.

Ce qu’il faut comprendre, au final, c’est que les différences de résultats entre les deux méthodes varieront en fonction du rendement du marché et des flux de capitaux. Dans un texte sur les deux méthodes, ­RBC[1] illustre les variations ainsi :

td, th, tr { text-align:left; border:#666 thin solid; border-collapse:collapse; height:10px; padding:5px; } table { border:#666 medium solid; border-collapse:collapse; font-size:12px; }

Activité du portefeuille ­Rendement du portefeuille
… une période de rendement positif du portefeuille … une période de rendement négatif du marché
Cotisation importante versée au portefeuille juste avant… Le taux de rendement pondéré en fonction des flux de trésorerie externes est généralement supérieur au taux de rendement pondéré en fonction du temps. Le taux de rendement pondéré en fonction des flux de trésorerie externes est généralement inférieur au taux de rendement pondéré en fonction du temps.
Retrait important effectué dans le portefeuille juste avant… Le taux de rendement pondéré en fonction des flux de trésorerie externes est généralement inférieur au taux de rendement pondéré en fonction du temps. Le taux de rendement pondéré en fonction des flux de trésorerie externes est généralement supérieur au taux de rendement pondéré en fonction du temps.
Aucune cotisation importante n’est versée au portefeuille et aucun retrait important n’en est effectué juste avant… Les taux de rendement pondérés en fonction des flux de trésorerie externes et en fonction du temps sont fort similaires, sinon identiques. Les taux de rendement pondérés en fonction des flux de trésorerie externes et en fonction du temps sont fort similaires, sinon identiques.
Note : « ­Taux de rendement pondéré en fonction des flux de trésorerie » est une autre appellation du taux de rendement pondéré en dollars.

SE BATTRE À ARMES ÉGALES

Pour autant, tous les conseillers ne sont pas prêts à partir en guerre contre la nouvelle méthode. Certains, même, s’en réjouissent. Léon ­Lemoine apprécie le fait que tous les clients auront désormais un relevé similaire présentant leurs rendements. Mais il est surtout heureux de voir que tous les conseillers et gestionnaires de portefeuille seront désormais jugés sur la même base, leurs résultats étant calculés en fonction de la même formule.

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« C’est assurément la meilleure formule, car elle tient compte du temps, mais aussi des dollars entrés et sortis. Tenir seulement compte du temps est inefficace pour le client qui tente de savoir combien d’argent il gagne ou perd. »

– Léon Lemoine

« C’est assurément la meilleure formule, car elle tient compte du temps, mais aussi des dollars entrés et sortis, ­juge-t-il. Tenir seulement compte du temps est inefficace pour le client qui tente de savoir combien d’argent il gagne ou perd. » ­Selon lui, cette approche donnera plus de contrôle aux clients et plus d’arguments pour discuter rendements avec leur conseiller.

Audrée de Champlain

Audrée de Champlain

Une opinion partagée par ­Audrée de ­Champlain, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective rattachée à ­Investia ­Services ­Financiers. « ­Le relevé est effectivement complexe et les rendements en surprendront ­peut-être ­quelques-uns au départ, mais si on prend le temps de bien l’expliquer aux clients, il n’y aura pas de problème, ­estime-t-elle. Il s’agit, en fait, d’une belle opportunité de discuter avec eux. C’est à nous de montrer notre valeur ajoutée. »

De son côté, ­Laurie ­Therrien admet qu’il y avait un réel besoin d’uniformité dans la transmission des rendements aux clients. « ­Les clients qui possédaient des placements auprès de différentes institutions financières pouvaient se perdre dans les différents calculs de rendement, ­dit-elle. Ou encore, ils pouvaient penser que les méthodes de calcul utilisées étaient semblables d’une institution à l’autre et donc mal interpréter les résultats. Maintenant, ils comprendront mieux leurs résultats et pourront comparer plus facilement les institutions. »

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« Les clients qui possédaient des placements auprès de différentes institutions financières pouvaient se perdre dans les différents calculs de rendement. Ou encore, ils pouvaient penser que les méthodes de calcul utilisées étaient semblables d’une institution à l’autre et mal interpréter les résultats. Maintenant, ils comprendront mieux leurs résultats. »

– Laurie Therrien

Gino ­Savard, président de ­MICA ­Cabinets de services financiers, se montre plus réservé. Ce qui l’agace, c’est de constater que les clients recevront ce relevé directement chez eux et le consulteront sans être accompagnés de leur conseiller pour l’interpréter. « C’est ce que nous décrions depuis le début, ­déplore-t-il. Ça fait longtemps que nous présentons les résultats aux clients, mais jamais sans la présence du conseiller. Même pour ce dernier, les rendements ne sont pas toujours aisés à décrypter. Il faut parfois remonter le fil de plusieurs transactions pour comprendre le taux affiché pour une période dans un fonds. On offre aux conseillers un accès à l’avance aux relevés de leurs clients, mais certains en ont jusqu’à 1 000. Impossible de tout vérifier chaque fois pour identifier les aberrations. Si les clients se mettent tous à téléphoner, ça va devenir lourd. »

Gino Savard

Gino Savard

À ­Mica, explique ­Gino ­Savard, on prépare le terrain depuis deux ans, en mettant notamment des outils de présentation et d’explication en ligne à l’intention des conseillers.

Sara ­Clodman, conseillère principale, affaires publiques de l’Institut des fonds d’investissements du ­Canada (IFIC), rejoint ce qui semble se dégager comme le consensus dans l’industrie, soit que la méthode a des avantages et des inconvénients, mais que le plus important sera de s’assurer de la bonne compréhension des clients. « ­Nous avons été très proactifs pour préparer les conseillers à expliquer les nouveaux relevés à leurs clients, et nous avons élaboré de nombreux outils en ce sens », ­explique-t-elle.

Le site ­Internet de l’IFIC offre une section sur les changements introduits dans le cadre du ­MRCC 2. On y retrouve notamment une boîte à outils pour bien expliquer les rendements. Ce n’est probablement pas une mauvaise idée d’aller y jeter un œil, histoire de ne pas être pris au dépourvu devant les questions, inévitables, des clients.


[1] Taux de rendement pondéré en fonction du temps et taux de rendement pondéré en fonction des flux de trésorerie externes. Comprendre les différences, RBC Gestion de patrimoine, juin 2016.


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2017 de Conseiller

Jean-François Venne