Planification financière en ligne : l’épargnant face à lui-même

Par Jean-François Venne | 30 septembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les cabinets peuvent désormais offrir aux épargnants de réaliser eux-mêmes leur planification financière en ligne, sans l’aide d’un professionnel. Doit-on craindre la catastrophe?

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié le 15 mai dernier son Règlement sur les modes alternatifs de distribution. En plus de la vente d’assurance de personnes par l’entremise d’une plateforme numérique sans l’intervention d’un représentant certifié, il encadre la planification financière en ligne, réalisée sans l’appui d’un professionnel. Ces nouvelles formes de distribution ont été autorisées à la suite de l’adoption du projet de loi 141 en juin 2018.

Avec son règlement, l’AMF affirme vouloir protéger les consommateurs sans freiner l’innovation. La planification financière en ligne devra répondre aux mêmes exigences que la vente d’assurance de personnes sur Internet. Seuls les cabinets inscrits à l’AMF pourront l’offrir.

« Ils devront compter sur assez de planificateurs financiers pour agir auprès des clients qui le demandent, puisque le règlement stipule qu’ils ont l’obligation de leur permettre d’entrer en contact avec un professionnel s’ils le souhaitent », précise Mélissa Perreault, analyste experte en réglementation et pratique de distribution à l’AMF.

Les cabinets ont aussi l’obligation de divulguer annuellement à l’AMF le nombre de planifications financières effectuées uniquement par l’entremise de leur espace numérique. Pour l’instant, aucune divulgation n’a été reçue, confirme Mélissa Perreault.

Par ailleurs, tous les articles de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) continuent de s’appliquer. Le client doit recevoir un mandat écrit décrivant les attentes et les engagements sur lesquels il s’est entendu avec le cabinet de services financiers, ainsi qu’un rapport écrit de sa planification financière. Les communications et le questionnaire doivent être clairs, lisibles, non trompeurs et aider le client à prendre des décisions éclairées.

Un encadrement léger

Tout de même, plusieurs s’interrogent. Est-il vraiment possible de couvrir les sept champs de la planification financière1 avec un simple logiciel? À ce titre, Mélissa Perreault apporte une nuance. « La LDPSF n’exige pas que la planification financière couvre nécessairement ces sept champs. D’ailleurs, la réglementation ne définit pas comme tel l’acte de planification financière », précise-t-elle.

Du même souffle, elle rappelle que c’est le titre de planificateur financier qui est protégé, et non l’acte. Elle ne croit donc pas que la planification financière en ligne remette en question le statut des Pl. Fin. « Nous sommes persuadés que les lois et le règlement suffisent à protéger les consommateurs, d’autant que personne n’est obligé de choisir ce mode de distribution », ajoute-t-elle.

« L’encadrement de l’exécution d’une planification financière [sur Internet] est assez large. »

Me Marie-Claude Cantin

Ces propos ne convainquent pas tout le monde. « À première vue, l’encadrement de l’exécution d’une planification financière [sur Internet] est assez large, souligne Me Marie-Claude Cantin, avocate associée au cabinet Lavery. En fait, on stipule seulement que les questions devront être claires, lisibles et compréhensibles. »

D’autres éléments soulèvent plus de questions que de réponses, selon elle, comme l’article 14 du règlement. Celui-ci indique que le cabinet doit « suspendre l’action amorcée par l’entremise de l’espace numérique lorsqu’aucun représentant ne peut agir immédiatement auprès d’un client qui en exprime le besoin et qu’il y a un risque que ce dernier, malgré l’information qui lui a été transmise par le cabinet, ne soit pas en mesure de prendre une décision éclairée quant au produit ou au service financier offert ».

Ce qui laisse le cabinet décider à quel moment se pose le risque que le client ne prenne pas une décision éclairée. Toutefois, Me Cantin avance que ce danger est toujours présent. Le cabinet doit suspendre le processus dès qu’il se trouve dans cette situation. Au risque de perdre le client? Cette décision est laissée à la firme.

« Nous sommes persuadés que les lois et le règlement suffisent à protéger les consommateurs, d’autant que personne n’est obligé de choisir ce mode de distribution. »

Mélissa Perreault

« La planification financière reste très complexe et je vois mal comment on pourra la réaliser de manière entièrement automatisée, tout en protégeant adéquatement les consommateurs, ajoute Me Cantin. C’est un sujet sur lequel devrait se pencher le nouveau comité consultatif des consommateurs de produits et utilisateurs de services financiers de l’AMF. »

De son côté, le formateur en déontologie financière Michel Mailloux croit que l’offre de planification financière en ligne représente une innovation un peu inévitable à l’ère d’Uber et d’Airbnb. Toutefois, lui aussi met en doute la sévérité de l’encadrement. « Il n’y a pas grand-chose, à part l’obligation de divulguer annuellement le nombre de planifications financières en ligne d’un cabinet », constate-t-il.

Il aurait aimé que la réglementation oblige les cabinets à démontrer comment ils s’assurent qu’une planification financière convient au client. Le résultat a-t-il été révisé par un planificateur financier? Ce dernier a-t-il la latitude de proposer des correctifs? Cette interrogation pose d’ailleurs la question de la responsabilité. Si un robot suggère une planification financière dont on réalise plus tard qu’elle ne convenait pas au client, qui est responsable? Le cabinet? L’entreprise qui a programmé le logiciel? Le planificateur financier qui a révisé le document (si c’est le cas)?

« Les Canadiens n’ont généralement pas le niveau de littératie financière suffisant pour répondre sans aide à toutes les questions de planification financière. »

Michel Mailloux

Michel Mailloux juge irréaliste l’idée qu’un client puisse élaborer tout seul une planification financière complète. « Les Canadiens n’ont généralement pas le niveau de littératie financière suffisant pour répondre sans aide à toutes les questions de planification financière, rappelle-t-il. Je crains donc que l’exercice ne donne pour certains des résultats plutôt catastrophiques. »

Un service marginal

Ce n’est pas le président de Diversico, Daniel Guillemette, qui le contredira. Ce dernier juge que même pour un professionnel aguerri, il n’est pas toujours facile de bien interpréter les réponses que les gens donnent aux questions de planification financière. Il faut savoir creuser, répéter, vérifier que la question a été bien comprise et que la réponse ne comporte pas d’erreur ou d’omission. « Je crois que pour l’instant, la planification en ligne, c’est un peu rêver en couleurs », estime-t-il.

Pas très alarmé, il juge que ce service risque d’être plutôt marginal, contrairement à la vente d’assurance en ligne, appelée à croître. Il estime que les gens trouveront l’exercice complexe et fastidieux et donc que plusieurs renonceront avant la fin.

Il y a tout de même un risque pour les indépendants et les petits cabinets, qui n’ont pas les moyens de développer un tel outil. La planification financière en ligne pourrait être utilisée par les grandes institutions financières pour attirer de nouveaux clients, qui commenceront l’exercice seuls devant leur écran avant de demander l’appui d’un conseiller de l’institution. En ce sens, les logiciels de planification financière serviraient d’outils de marketing web.

« Il y a trop de nuances dans une planification financière et dans la vie des épargnants pour effectuer un tel exercice seul devant son écran, même avec un logiciel efficace. »

Fabien Major

Un avis partagé par le planificateur financier Fabien Major. Il perçoit ces outils comme des leurres qui laisseront les gens sur leur faim. « Il y a trop de nuances dans une planification financière et dans la vie des épargnants pour effectuer un tel exercice seul devant son écran, même avec un logiciel efficace », croit-il.

En ce sens, il craint que certains confondent la simple projection des revenus de retraite, offerte par plusieurs logiciels intéressants, dont celui de Retraite Québec, avec la réelle planification financière. Il estime que l’Institut québécois de planification financière (IQPF) devrait s’assurer que les logiciels couvrent les sept champs de la planification. « Sinon, ils ne méritent pas de porter le nom de planification financière », croit-il.

Jocelyne Houle-LeSarge, PDG de l’IQPF, voit cette technologie comme un outil avec lequel le client peut faire une première ébauche par lui-même, avant d’en rediscuter avec son planificateur financier, avait-elle confié à Conseiller lors du dévoilement du règlement. Se disant « neutre » face à celui-ci, elle entend tout de même suivre de très près l’évolution de cette nouvelle offre. Elle ne sera sûrement pas la seule.

Pour aller plus loin


1 Assurance, finances, aspects légaux, succession, placement, fiscalité et retraite.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Jean-François Venne