Prêt au taux prescrit : le diable est dans les détails

Par Marie-Claude Riendeau | 22 mars 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : everythingpossible / 123RF

Pour réduire la facture fiscale globale d’une famille, il est tentant de vouloir fractionner ses revenus avec son conjoint et/ou ses enfants qui ont un plus bas taux d’imposition. Toutefois, les lois fiscales limitent ce type de stratégie. Reste qu’il existe certaines possibilités de fractionnement, notamment celle du « prêt au taux prescrit ».

Celui-ci permet de réduire la charge fiscale familiale totale en transférant des revenus d’investissement et des gains en capital d’un client imposé à un taux élevé dans les mains de son conjoint ou d’un autre membre de sa famille ayant de plus faibles revenus.

La personne à haut revenu prête le capital d’investissement à l’autre. Les règles d’attribution ne s’appliqueront pas si le prêt porte intérêt à un taux au moins égal au taux prescrit par l’Agence du revenu du ­Canada (ARC) à la date à laquelle le prêt est établi et si les intérêts sont toujours payés au plus tard le 30 janvier de l’année civile suivante.

Il est essentiel de respecter la date limite chaque année, pour la durée entière du prêt. Le manquement à une telle obligation, ne ­serait-ce qu’une seule année, déclenchera l’application des règles d’attribution pour l’année s’y rapportant, mais aussi pour toutes les suivantes jusqu’au remboursement du prêt.

Un paiement de rattrapage ultérieur pour corriger une telle situation est impossible. De plus, l’ARC a récemment mentionné dans une interprétation technique1 que le paiement des intérêts annuels par l’émission d’un billet à ordre payable sur demande sans restriction ne serait pas acceptable.

Depuis avril 2009, le taux prescrit a presque toujours été de 1 %. Au début d’avril 2018, il est passé à 2 % et est demeuré inchangé pour le premier trimestre de 2019. Malgré cette augmentation, cette stratégie, bien orchestrée et avec un bon suivi, s’avère toujours utile.

Si votre client l’avait déjà mise en place lorsque le taux prescrit était au seuil historique de 1 %, il bénéficie toujours de ce taux, même si ce dernier a augmenté depuis. Une fois le prêt établi en bonne et due forme, le taux est maintenu pendant toute la durée du prêt, indépendamment de toute variation par la suite, tant que les intérêts sont toujours payés au moins annuellement au plus tard le 30 janvier de chaque année.

En application

Pour mieux comprendre cette stratégie, prenons l’exemple suivant. Alain gagne un revenu annuel imposable de 300 000 $. Son taux marginal d’imposition se situe donc dans la tranche la plus élevée (en 2019 : 53,31 % au ­Québec).

Le 1er janvier 2019, il a prêté un montant de 500 000 $ à sa conjointe ­Marie, qui a un revenu annuel beaucoup plus faible. Le prêt a été consenti au taux prescrit de 2 % aux termes d’un billet à ordre payable sur demande. Marie a utilisé cette somme pour effectuer des placements (actions, obligations, fonds communs de placement).

Pour éviter les règles d’attribution et conformément à son entente de prêt, ­Marie paiera les intérêts de 10 000 $ à ­Alain le 31 décembre de chaque année. Alain sera imposé sur ce montant. Quant à ­Marie, elle sera imposée sur les revenus annuels générés par ses placements, mais pourra déduire les intérêts de 10 000 $ payés à ­Alain qui lui ont permis de gagner un revenu.

Pour que la stratégie soit avantageuse, les revenus et gains générés sur les placements de ­Marie doivent excéder 2 %, soit le taux prescrit, additionné des autres frais administratifs applicables.

Dans un contexte de marché boursier à la baisse, s’il y avait une dépréciation importante du capital investi, une telle stratégie pourrait cependant devenir plus difficile à soutenir si les revenus générés sur les placements ne suffisaient plus à couvrir le paiement des intérêts au taux prescrit sur une longue période.

Dans un tel cas, si ­Marie voulait mettre fin à la stratégie, elle devrait disposer de ses placements et rembourser la totalité du prêt, soit 500 000 $, même si la vente des titres lui rapportait moins. Des conséquences financières et fiscales pénalisantes pourraient en découler, comme une perte en capital ou un manque à gagner pour rembourser le prêt.

Bien qu’à première vue cette méthode semble simple, sa mise en application demande néanmoins un certain doigté et le respect de règles bien précises. Puisqu’un faux pas risque d’être coûteux, je vous invite à lire ces deux textes publiés par ­Conseiller, qui comportent de bons conseils pratiques :

Puisque les mineurs ne peuvent contracter de prêt, si votre client désire fractionner ses revenus avec ses enfants et/ou ­petits-enfants mineurs, un prêt à taux prescrit en faveur d’une fiducie familiale discrétionnaire, qui investirait dans un portefeuille diversifié de placements, pourrait être utilisé. La mise en place d’une telle stratégie comporte cependant plusieurs autres défis et nécessitera les services d’experts dans le domaine.

­Marie-Claude ­Riendeau, ­LL.B, ­DDN, M.Fisc., ­TEP, Pl. Fin., est conseillère principale, ­Planification et fiscalité, à ­Trust ­Banque ­Nationale.

1 ­Agence du revenu du ­Canada, ­Paiement des intérêts annuels sur un prêt au taux prescrit par l’émission d’un billet payable à demande sans restriction, 2018‑0 761 551C6


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Marie-Claude Riendeau