Produits hypothécaires « alternatifs » : à manier avec prudence

Par Jean-François Venne | 27 novembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
7 minutes de lecture

Il existe des solutions hypothécaires différentes du prêt classique à taux fixe ou variable. Certaines offrent une plus grande flexibilité aux emprunteurs, alors que d’autres s’adressent directement à ceux qui ne sont pas admissibles aux produits traditionnels. Les connaissez-vous? Elles pourraient peut-être convenir à certains de vos clients.

Ceux qui magasinent leur hypothèque sont souvent obnubilés par le terme et, surtout, le taux d’intérêt. Avec raison, puisque sur un emprunt d’une telle ampleur, une différence d’un quart de point change tout. Toutefois, il y a bien d’autres questions à se poser.

Tout d’abord, faut-il choisir une hypothèque ouverte ou fermée? La première couvre généralement un terme de six mois à un an. Contrairement à l’hypothèque fermée, elle permet de verser des sommes en plus des paiements réguliers et de renégocier, rembourser ou résilier l’hypothèque avant la fin du terme, sans pénalité. En contrepartie, le taux d’intérêt sera plus élevé. En septembre 2019, la Banque Nationale offrait un taux fixe de 7,05 % pour un prêt d’un an, contre 3,39 % en mode fermé. Desjardins proposait 6,95 % en taux fixe, contre 3,69 % en mode fermé.

Ce modèle sert surtout aux propriétaires qui pensent terminer rapidement leur remboursement d’hypothèque, déménager dans un avenir proche ou recevoir une grosse somme d’argent.

Une autre formule, l’hypothèque combinée, permet d’emprunter une partie du montant à taux fixe et l’autre à taux variable. On bénéficiera de la protection du taux fixe, mais aussi d’une éventuelle baisse de taux. Les deux parties peuvent par ailleurs être négociées pour des durées différentes.

« Comme ces prêts sont souvent offerts à court terme, les frais d’ouverture de dossier sont très payants pour les prêteurs. »

Serge Morvan

Des prêts plus coûteux

Si les hypothèques ouvertes et combinées peuvent servir à un peu tout le monde, d’autres formules s’adressent plus particulièrement à des gens qui ne sont pas admissibles à un prêt hypothécaire classique. On distingue généralement les prêts de catégorie A (prêts traditionnels), les prêts de catégorie B (prêteurs dits alternatifs) et les prêts privés.

« Les prêteurs « alternatifs », comme Banque Équitable ou Home Trust, s’adressent à des clients qui ne répondent pas aux exigences de l’industrie standard parce qu’ils ont eu des ennuis de crédit, doivent de l’argent à l’impôt ou sont de jeunes travailleurs autonomes, par exemple », explique Hugo Neveu, directeur principal, équipe Sommet, à Planiprêt agence hypothécaire.

D’autres emprunteurs doivent carrément se tourner vers des prêteurs privés, soit des individus ou des firmes. C’est notamment le cas de ceux qui font des « flips » immobiliers, dont les banques et les caisses ne veulent pas entendre parler. En effet, ces clients remboursent très rapidement leur hypothèque après avoir revendu la propriété à fort prix. Pas très payant pour les institutions financières.

Les taux d’intérêt d’un prêt de catégorie B peuvent être jusqu’à deux fois plus élevés qu’un prêt de catégorie A, alors qu’ils peuvent l’être trois ou quatre fois pour un prêt privé. Ces créanciers exigent aussi des frais d’ouverture de dossier pouvant aller jusqu’à 3 % du montant total de l’emprunt.

« Comme ces prêts sont souvent offerts à court terme, les frais d’ouverture de dossier sont très payants pour les prêteurs », souligne Serge Morvan, courtier hypothécaire agréé à Hypotheca. Les prêts de catégorie B et privés ne couvrent par ailleurs jamais plus de 75 à 80 % du financement de l’achat, puisqu’on considère que le client présente un risque de défaillance plus élevé que la moyenne. Ce dernier doit donc avoir une autre source de fonds.

Serge Morvan a longtemps refusé de toucher au prêt privé. Il ne pouvait pas croire que des gens arrivaient à rembourser un prêt à un taux d’intérêt de plus de 10 %, surtout s’ils avaient eu des ennuis de crédit ou étaient déjà endettés.

Il y a finalement trouvé quelques avantages dans certaines situations bien spécifiques. En plus des « flips » immobiliers, il donne l’exemple d’une personne qui a fait une faillite et n’a pas encore rétabli son dossier de crédit, mais qui touche une grosse somme d’argent (héritage, loterie, etc.).

« Aucune banque ne lui prêtera, même avec une grosse mise de fonds. Il a donc recours au privé, ce qui lui permet de refaire son crédit, puis de retourner vers des prêts plus classiques, dit-il. Si la maison prend de la valeur, cela effacera en partie les intérêts élevés qu’il a payés sur le prêt privé. »

« Si un client contracte une hypothèque « alternative » ou privée qui coûte plus cher qu’une hypothèque standard, l’idée est d’y rester six mois ou un an, puis de migrer vers un prêt plus avantageux. »

Hugo Neveu

Des solutions différentes

En plus des prêteurs non traditionnels ou privés, les acheteurs ont aussi accès à des formules d’hypothèque moins courantes. Le prêt garanti par la valeur nette d’une maison, aussi appelé « prêt équité », en constitue un exemple. Il est surtout utilisé pour refinancer l’hypothèque sur un domicile ou acheter un immeuble en utilisant la valeur d’un autre. Le prêt sera alors basé sur la valeur de la propriété et non sur la capacité de remboursement du client. Pour calculer la valeur nette d’une maison, on additionne la mise de fonds initiale à la partie remboursée de l’hypothèque et à un montant équivalant à 80 % de la valeur marchande de la propriété. On soustrait ensuite de ce total ce qui reste d’hypothèque à rembourser. Le résultat est le montant disponible pour le financement.

Le prêt collatéral, lui, est assez peu pratiqué par les grandes banques, mais demeure offert par Desjardins. Dans cette formule, la mise de fonds est remplacée par une garantie sur une autre propriété que celle faisant l’objet du contrat. Par exemple, un individu achète un condo au prix de 200 000 dollars, mais ne fournit pas de mise de fonds. Le prêteur prend une garantie de 50 000 dollars sur la maison des parents du client et considère ce montant comme une mise de fonds. Il accorde donc un prêt de 200 000 dollars et l’emprunteur évite de devoir être assuré par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), puisque sa « mise de fonds » est supérieure à 20 %.

« L’avantage pour l’institution financière est d’émettre un prêt garanti par deux propriétés, indique Hugo Neveu. L’acheteur, lui, ne paie pas les frais de la SCHL. Par contre, les parents se retrouvent avec une hypothèque sur leur maison. S’ils veulent la vendre, ils devront faire une quittance hypothécaire [mesure par laquelle on retire au prêteur ses droits sur une propriété]. Cela pourrait aussi compliquer un éventuel refinancement. »

Le courtier suggère plutôt aux parents de contracter une hypothèque de 50 000 dollars sur leur maison, puis de faire un don à l’acheteur, qui l’utilisera pour verser une mise de fonds. Un peu plus complexe à mettre en place, cette approche permet d’avoir deux prêts garantis sur une seule propriété chacun.

Les conseillers peuvent aussi aider des gens qui ont la capacité de payer, mais ne satisfont pas aux critères standards des prêts hypothécaires, comme les travailleurs autonomes. Ces derniers doivent en effet justifier deux ans de revenus à partir de leur avis de cotisation d’impôt fédéral. Cependant, il arrive que certains d’entre eux déclarent un faible revenu net en raison des déductions liées à leurs dépenses, alors que leur chiffre d’affaires est plus important.

Ceux-ci peuvent alors utiliser la Solution A de l’assureur Genworth pour déclarer eux-mêmes un revenu plus réaliste, qui se situe entre le revenu brut et le net. Ils doivent toutefois être capables de prouver ce revenu. Cela les aide à devenir admissibles à un prêt ou à augmenter le montant qu’ils peuvent emprunter. Ils doivent toutefois faire une mise de fonds minimale de 10 % et paieront des taux plus élevés de 0,05 à 0,2 %.

Les jeunes membres d’ordres professionnels qui ont des dettes d’étude et commencent leur carrière peuvent quant à eux bénéficier de conditions spéciales, comme des rabais discrétionnaires, un calcul de ratio d’endettement avantageux ou la prise en compte de revenus futurs. Un outil à manier avec prudence, puisque les revenus futurs ne sont pas garantis, mais l’hypothèque, elle, devra être remboursée coûte que coûte.

La prudence est d’ailleurs le mot d’ordre de Hugo Neveu. « Si un client contracte une hypothèque « alternative » ou privée qui coûte plus cher qu’une hypothèque standard, l’idée est d’y rester six mois ou un an, puis de migrer vers un prêt plus avantageux, croit-il. Si ce n’est pas possible, il faut demander au client à quel point il veut devenir propriétaire, car sur plusieurs années, ces prêts sont très onéreux. »

Au Québec, 90 % des propriétaires ont contracté une hypothèque.

La mise de fonds initiale des emprunteurs québécois atteint en moyenne 29 %.

Un ménage sur deux rembourse son hypothèque en moins de 20 ans.

Source : Institut de la statistique du Québec, février 2016

De nos archives


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre-décembre 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Jean-François Venne