Projet de loi 141 : des questions sans réponse

Par Christine Bouthillier | 11 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Christine Bouthillier

Le projet de loi 141 a beau faire 488 pages, il soulève de nombreuses questions dont on obtiendra les réponses… alors qu’il sera ­peut-être trop tard pour faire marche arrière. Attendue depuis des années, cette réforme en profondeur de la législation québécoise dans les services financiers chamboulera pourtant l’industrie telle qu’on la connaît. Ces questions en suspens laissent planer une incertitude sur les professionnels du secteur et le public, qui auraient tous bien besoin d’avoir l’heure juste.

Le texte reste muet sur plusieurs enjeux, alors que des précisions manquent sur d’autres aspects. Le principal : l’abolition annoncée de la ­Chambre de la sécurité financière (CSF). Si le projet de loi est adopté tel quel, les pouvoirs de l’organisme d’autoréglementation seront transférés à l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Cette dernière aura alors le loisir de désigner quels membres du personnel de la ­Chambre elle a l’intention de garder à son emploi, ainsi que d’abroger ou remplacer le ­code de déontologie imposé aux conseillers par son propre règlement.

Mais le projet de loi ne précise pas quels postes l’Autorité devrait maintenir, ni quelle forme devraient prendre les nouveaux règlements. ­A-t-elle l’intention d’opérer de grands changements? ­Va-t-elle conserver l’encadrement par les pairs qui prévalait au comité de discipline de la ­CSF?

Ce dernier point semble particulièrement important pour nombre de conseillers, qui craignent de perdre leur statut professionnel avec la disparition de ce type d’encadrement. ­Celui-ci s’impose dans tout modèle moulé sur celui d’un ordre professionnel comme c’est le cas à la ­Chambre.

SILENCE RADIO

L’Autorité a préféré ne pas répondre aux questions de ­Conseiller à ce sujet, évoquant les discussions en cours avec le législateur. Dans un discours prononcé en novembre au 12e ­Rendez-vous avec l’Autorité, son ­PDG ­Louis ­Morisset a soutenu que les activités de la ­Chambre seraient maintenues[1]. L’AMF entend intégrer les enquêteurs et inspecteurs de la ­CSF à son équipe. Mais même si ­Carlos ­Leitão soutenait en octobre que les volets déontologie et formation de la ­Chambre seraient transférés « intégralement »[2], la forme qu’ils prendront n’a pas été précisée.

Pour M. Morisset, les fonctions du comité de discipline de la ­Chambre seront également maintenues par la présence de deux assesseurs issus de l’industrie au ­Tribunal des marchés financiers. Mais tribunal administratif ne rime pas nécessairement avec encadrement par les pairs. Pour en savoir plus, il faudra encore une fois attendre les règlements adoptés par l’AMF sur le sujet.

À nos questions, le ministre des ­Finances s’est quant à lui contenté d’une réponse par courriel où il maintient que le projet de loi protégera mieux les consommateurs. Ailleurs, notamment à l’Assemblée nationale, il a affirmé que l’instauration d’un guichet unique, en l’occurrence l’AMF, éliminera la confusion chez les épargnants qui peineraient actuellement à savoir s’ils doivent s’adresser à l’Autorité ou à la ­CSF.

Y ­aurait-il eu d’autres façons d’améliorer la compréhension des investisseurs tout en préservant un modèle cher aux représentants comme aux associations de défense des consommateurs, notamment ­Option consommateurs? ­En quoi l’abolition de l’organisme d’autoréglementation ­servira-t-elle les épargnants? ­Un guichet unique est ­peut-être moins compliqué, mais les ­protégera-t-il mieux ? ­Ces questions sont restées sans réponse.

DU CÔTÉ DE L’ASSURANCE

Une inquiétude semblable est palpable dans le secteur de l’assurance, où le législateur a décidé d’autoriser la vente d’assurance de personnes en ligne, peu importe le produit offert.

Même l’assurance vie universelle, produit souvent mal compris des consommateurs en raison de sa complexité, pourrait être achetée sans qu’un conseiller en chair et en os n’intervienne. Ici encore, aucune ligne directrice dans le projet de loi à cet égard. On s’en remet à l’AMF, qui pourrait décider d’exclure certains produits de la vente en ligne par règlement une fois le projet de loi adopté.

Que ­va-t-elle faire? ­En novembre, ­Louis ­Morisset a souligné « qu’un cadre de protection et des balises claires devront être mises en place » quant à la vente d’assurance en ligne. Lesquelles? ­On ne le sait toujours pas.

DANS VOS POCHES 

Le silence perdure aussi sur la question du coût d’un élargissement du ­Fonds d’indemnisation des services financiers. Les conseillers ­devront-ils contribuer davantage? « Je ne pense pas », disait ­Carlos ­Leitão en octobre. Mais l’histoire a déjà démontré le contraire… Lors de l’affaire Norbourg, le fonds avait dû éponger un déficit de 20 M$ et les cotisations des conseillers avaient alors bondi de 220 %.

De plus, pourquoi n’­a-t-on pas permis l’incorporation des conseillers en épargne collective dans le projet de loi, pourtant une demande de longue date des représentants? ­Aux questions de ­Conseiller à ce sujet, le ministre ­Leitão ressort la même réponse qu’aux interrogations au sujet de la ­Chambre, se bornant à mentionner que le projet de loi se concentre sur la protection du consommateur.

Au moment d’écrire ces lignes, les deux dernières journées de consultation sur le projet de loi à la ­Commission des finances publiques n’avaient pas encore eu lieu. L’AMF doit justement conclure cet exercice le 18 janvier. ­Peut-être ­pourra-t-elle faire la lumière sur ces interrogations. Reste à voir quelle influence auront les témoignages des divers intervenants qui y défileront et quelle direction prendra finalement le déjà célèbre projet de loi 141.


[1] bit.ly/2CBocjN [2] bit.ly/2AUU7vf

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.