Quand la gestion passive ne reflète pas l’indice

Par Gérard Bérubé | 2 mars 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Si les fonds sont nombreux à reproduire un indice de référence, la corrélation des rendements n’est pas toujours parfaite. Et ces écarts sont appelés à croître au même rythme que l’augmentation de la demande vers des investissements composés de peu de titres et moins liquides.

Ces indices, boursiers ou obligataires, que calquent les portefeuilles sont-ils représentatifs des marchés qu’ils doivent refléter?

« Oui, pour les grands indices de base », affirme sans ambages Alain Desbiens.

Le directeur général, distribution des FNB, à BMO Gestion mondiale d’actifs fait référence aux indices américains les plus suivis que sont le Dow Jones, le S&P 500, le Nasdaq et le Wilshire 5000.

Il donne l’exemple de fonds négociés en Bourse produits par son institution dont le rendement colle parfaitement aux résultats de l’indice de référence : le ZCN (qui reproduit entièrement le S&P/TSX), le ZSP (intégralement calqué sur le S&P 500), le ZEA (portefeuille réalisé par échantillonnage des titres qui constituent l’indice MSCI EAFE), ou le ZAG (également constitué par échantillonnage de l’indice FTSE Canada Universe Bond).

« Il existe presque 5 000 indices uniquement pour les États-Unis. À l’exception des grands marchés, qui se veulent très liquides, on peut comprendre que plus l’indice tend vers des segments ou des secteurs moins capitalisés, à faible volume ou comportant peu de titres, plus il y a risque de distorsion liée à la concentration. »

Un indice représentant un marché plus petit, mais qualifié de liquide, comme celui de la Bourse de Toronto, peut en être victime. Alain Desbiens rappelle le célèbre cas de Nortel, dont l’action, à son zénith en 2000, pesait plus de 30 % dans le TSX.

Les indices peuvent être construits selon différentes méthodologies ou approches et suivant l’exposition souhaitée à un marché précis. La pondération la plus répandue est celle en fonction de la capitalisation boursière et par secteur. En présence de concentration ou de faible liquidité, un manufacturier de fonds va généralement s’en remettre à l’échantillonnage, à l’équipondération (donner le même poids à différents titres) ou aux indices plafonnés (limiter le poids d’un titre ou d’un secteur dans l’indice pour qu’il ne prenne pas une importance démesurée) pour constituer son produit, ce qui peut créer des distorsions.

Mais même s’il y a écart de performance avec l’indice baromètre, « le FNB conservera son avantage par rapport à l’achat d’un seul titre du secteur », martèle Alain Desbiens.

Lorsqu’il y a représentativité parfaite, un écart de rendement peut tout de même s’expliquer par les frais de gestion et, le cas échéant, les frais de devise ou de couverture et la retenue fiscale sur les dividendes aux États-Unis.

Autrement, la distorsion est appelée « erreur de réplication » ou « erreur de suivi », qui peut être positive, mais le plus souvent négative. Lorsque cette dernière se produit, il faut en identifier la source.

Une distorsion négative élevée, peu souhaitable, incitera à « revoir ses choix de fournisseur, de fonds et d’indice. Mais surtout à bien comprendre le fonds et les secteurs que l’on reproduit. D’où la nécessaire transparence » des documents descriptifs accompagnant le produit, souligne Alain Desbiens.

« Plus on s’éloigne du sous-jacent, plus on dévie de l’indice, plus cela peut créer de l’inquiétude chez les investisseurs. »

Sebastien Betermier, professeur de finance à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill

MAINTENEURS DE MARCHÉ

« Plus on s’éloigne du sous-jacent, plus on dévie de l’indice, plus cela peut créer de l’inquiétude chez les investisseurs », résume Sebastien Betermier. Le professeur de finance à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill ajoute à la liste des facteurs de distorsion potentiels « tout ce qui peut nuire à l’action des participants autorisés [c’est-à-dire les mainteneurs de marché] ».

Il existe une dizaine de mainteneurs de marché au Canada. Ils sont chargés d’inscrire les offres d’achat et de vente en Bourse dans le but d’augmenter la liquidité et de permettre à l’acheteur ou au vendeur d’effectuer des opérations en limitant ses frais de négociation, peut-on lire dans la présentation Comprendre les FNB, de BMO. Ils peuvent corriger les déséquilibres liés à l’offre en créant ou en rachetant des parts.

Selon M. Betermier, ce mécanisme d’arbitrage favorisant l’efficacité du marché secondaire et le maintien des prix des FNB par rapport à leur indice pourrait facilement s’enrayer en période de crise ou de tensions financières, et ce, d’autant plus que ces participants autorisés pourraient éprouver eux-mêmes un problème de liquidité.

« Le marché des FNB est relativement jeune au Canada et sa croissance a explosé. Or, peu de ces fonds ont connu une période de crise », prévient Sebastien Betermier.

La liquidité reste toutefois un enjeu majeur. Si elle est reconnue comme un atout des FNB indiciels, elle pourrait même être illusoire en cas de crise ou si le sous-jacent ne l’est pas. En période de tension, le fonds peut avoir de la difficulté à s’ajuster s’il doit se départir rapidement de titres peu liquides alors qu’on assiste à des ventes plus nombreuses sur les marchés.

« Avec cette croissance que nous observons, un grand nombre de nouveaux FNB s’étendent à des catégories de titres ou à des marchés d’actions ou d’obligations moins profonds (composés de peu de titres), moins liquides – tels certains marchés émergents, des obligations d’entreprise ou des titres adossés à des hypothèques – ce qui limite d’autant l’efficacité du mécanisme d’arbitrage et les échanges entre participants autorisés », ajoute le professeur de McGill.

« Même s’il y a écart de performance avec l’indice baromètre, le FNB conservera son avantage par rapport à l’achat d’un seul titre du secteur. »

Alain Desbiens, directeur général, distribution des FNB, à BMO Gestion mondiale d’actifs

RISQUE DE MANIPULATION DE L’INDICE

À ces considérations liées à la nature même du marché indiciel s’ajoutent les risques inhérents à l’administration des baromètres de référence. Les régulateurs ont encore fraîche en mémoire l’expérience malheureuse de 2012, alors que les révélations entourant la manipulation du London Interbank Offered Rate (LIBOR, ou taux d’emprunt interbancaire offert à Londres) ont amené le marché à mettre en doute la crédibilité et l’intégrité du LIBOR et à se méfier des indices financiers de référence en général.

« La manipulation du LIBOR a entraîné des poursuites civiles individuelles et collectives, des poursuites criminelles, le paiement de montants élevés au titre d’amendes et de transactions judiciaires conclues avec les banques ayant fourni les données », constatent les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM).

Devant le Far West que peut représenter le monde des indices, ces dernières ont mené des consultations du 14 mars au 12 juin 2019 sur le Règlement 25-102 visant à encadrer les indices de référence et les administrateurs de référence désignés.

« À l’heure actuelle, au Canada, les indices de référence, de même que les personnes qui les administrent, fournissent des données servant à les établir et les utilisent, ne font l’objet d’aucune réglementation ou supervision [officielle] en valeurs mobilières. Cependant, au fur et à mesure que l’importance des indices de référence s’accroît au sein des marchés des capitaux du pays, et parce que des cas d’inconduite liés à des indices de référence ont eu une incidence négative considérable sur les marchés des capitaux avec plusieurs répercussions sur la scène internationale, nous estimons qu’il y a lieu d’instituer un régime réglementaire en valeurs mobilières applicable aux indices de référence, à leurs administrateurs ainsi qu’à certains de leurs utilisateurs », peut-on lire dans le projet de règlement.

On s’y attarde surtout aux indices à importance systémique, dans l’objectif de réduire les risques au minimum. Les Autorités ont notamment dans leur mire le risque d’interruption (si l’administrateur cesse ses activités ou n’offre plus l’indice) ou d’incertitude (si, par exemple, l’administrateur se retire ou révèle avoir des compétences insuffisantes ou une méthodologie inappropriée) et celui de pratiques abusives, notamment de manipulation de l’indice.

D’entrée de jeu, le projet de règlement vise à encadrer deux indices importants, le Canadian Dollar Offered Rate (CDOR) et le Canadian Overnight Repo Rate Average (taux moyen des opérations de pension à un jour, ou CORRA), tous deux gérés au Canada par Refinitiv. Les ACVM proposent que Refinitiv soit désigné comme unique administrateur et que le CDOR et le CORRA deviennent les seuls taux de référence associés à ces opérations.

« Il est possible que, dans l’intérêt public, les ACVM désignent ultérieurement d’autres administrateurs et les indices qu’ils administrent », notamment si l’indice de référence revêt une importance suffisante pour les marchés financiers au Canada.

Ou si elles apprennent qu’un administrateur, un fournisseur de données sous-jacentes ou un utilisateur d’indice de référence mène des activités qui suscitent des inquiétudes liées aux risques réglementaires, prennent soin d’ajouter les Autorités.


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2020 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Gérard Bérubé