Qui va vendre l’assurance de frais funéraires?

Par Pierre-Luc Trudel | 1 juin 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Martina Vaculikova / 123RF

Le projet de loi 141 prévoit le retour de l’assurance de frais funéraires, un produit qui n’existait plus depuis 1974  au Québec. Mais les représentants en assurance de personnes qui pensaient pouvoir profiter de l’occasion pour diversifier leur offre de services risquent d’être déçus.

Même si le texte du projet de loi ne contient aucune indication claire sur la manière dont ce nouveau produit sera distribué, tout porte à croire qu’il sera vendu directement par les entreprises de services funéraires, et non par les conseillers en sécurité financière.

« Essentiellement, ce que le projet de loi propose, c’est de permettre aux entreprises de services funéraires d’offrir une assurance à leur client. La police va être directement associée avec un contrat de frais funéraires», indique le ministère des Finances. Au moment de publier ces lignes, le projet de loi n’avait pas encore été adopté et pouvait donc toujours être modifié.

La Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ), qui s’oppose farouchement au retour de l’assurance de frais funéraires, déplore d’ailleurs que de nombreuses questions concernant la distribution du produit demeurent sans réponse.

« Il me paraît toutefois logique de soupçonner qu’on se trouvera dans un régime de distribution sans représentant par les entreprises de services funéraires, souligne Jacques St-Amant, analyste à la CACQ. On aboutirait autrement dans une situation où un client devrait conclure un contrat de services funéraires d’une part, et consulter un représentant en assurance d’autre part, puis coordonner la valeur du contrat et l’assurance accordée.»

MAUVAIS POUR LES CONSEILLERS COMME LES CLIENTS

Selon M. St-Amant, cet élément du projet de loi pourrait même nuire aux représentants en assurance qui conseillent à leurs clients de payer leurs frais funéraires à l’aide d’une police d’assurance vie.

«Ça va changer la dynamique dans le marché. Les conseillers en sécurité financière vont être en concurrence avec une nouvelle offre de services de mauvaise qualité, mais assortie d’une prime mensuelle très basse», croit-il.

En effet, les fournisseurs d’assurance de frais funéraires pourraient être tentés de fixer des coûts peu élevés pour séduire les consommateurs, car ce ne sont pas eux qui auraient à assumer le risque relié à l’insuffisance de la prime, poursuit M. St-Amant. Le projet de loi prévoit plutôt que le vendeur des arrangements funéraires pourrait réclamer à la succession du défunt une somme équivalant à la différence entre la prestation d’assurance et le prix indexé des biens et des services. En d’autres mots, si l’assureur a établi une prime trop basse et fournit par conséquent une prestation insuffisante lors du décès, c’est la succession qui devra payer le manque à gagner.

« On pourrait voir émerger des pratiques [aux] allures de « payez peu maintenant, votre succession sera ruinée plus tard »», peut-on lire dans le mémoire de la CACQ sur le projet de loi 141.

Les conseillers devront donc redoubler d’efforts pour convaincre leurs clients des avantages de souscrire une police d’assurance vie pour payer les frais liés à leurs obsèques.

LES GRANDS ASSUREURS PEU INTERÉSSÉS

Les modalités précises de la vente d’assurance de frais funéraires au Québec demeurent tout aussi obscures pour l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). L’organisme précise d’ailleurs n’avoir formulé aucune demande au gouvernement pour que ce type d’assurance soit de nouveau légalisé dans la province.

« De ce que l’on comprend du projet de loi, l’assurance de frais funéraires ne sera pas vendue ou distribuée par les compagnies d’assurance elles-mêmes. Elle pourrait cependant représenter un nouveau marché dans la conception de produits d’assurance au Québec», souligne l’ACCAP.

Ceci étant dit, la possibilité de concevoir des produits d’assurance de frais funéraires ne semble pas susciter beaucoup d’enthousiasme chez les assureurs, du moins pour l’instant. Desjardins, par exemple, «ne compte pas développer ce type de produits», tandis qu’iA Groupe financier indique que l’assurance de frais funéraires «n’est pas sur son radar».

Si les grandes compagnies d’assurance semblent se désintéresser d’un tel produit, qui pourrait bien en tirer profit? «J’ai l’impression qu’il y a quelques petits fournisseurs spécialisés hors Québec qui aimeraient bien pouvoir développer ce marché dans la province», estime Jacques St-Amant.

Le gouvernement explique de son côté vouloir réhabiliter l’assurance de frais funéraires pour donner davantage de choix aux consommateurs. Il souligne également que ce type d’assurance est offert partout ailleurs en Amérique du Nord.

UN PRODUIT QUI RENAÎT DE SES CENDRES

L’assurance de frais funéraires a déjà existé au Québec, mais a été interdite en 1974 parce que des contrats avaient donné lieu à certains abus. Des entreprises de services funéraires avaient notamment omis d’honorer les polices qu’elles avaient vendues. Un recours collectif intenté par l’Union des consommateurs s’est d’ailleurs soldé en 2004 par une victoire de cette dernière.

En 2009, le gouvernement a tenté de réhabiliter l’assurance de frais funéraires dans la province, mais sans succès. Il faut tout de même noter que depuis 2003, un décret permet à la société Assurant Vie du Canada de commercialiser un régime d’épargne décès très semblable à l’assurance de frais funéraires. Ce produit est distribué par les entreprises de services funéraires.

Dans le texte du projet de loi 141, la nouvelle mouture de l’assurance de frais funéraires est définie comme «un contrat par lequel un assureur, moyennant une prime, s’engage à verser, à la suite du décès de l’assuré, une prestation pour acquitter le prix des biens ou des services prévus à un contrat d’arrangements préalables de services funéraires ou à un contrat d’achat préalable de sépulture qui lui est associé». Les primes sont payées pendant une période donnée, par exemple 10 ans, et la prestation est indexée annuellement en fonction de l’indice des prix à la consommation.

Le projet de loi prévoit également que tout contrat «doit garantir le versement d’une prestation au moins égale au prix des biens ou des services prévus au contrat d’arrangements préalables de services funéraires». Toutefois, si l’assuré décède avant deux ans d’assurance ininterrompue, la prestation que l’assureur est tenu de verser se limite à la somme des primes payées.

Cette disposition dérange le Barreau du Québec, qui estime que dans ce contexte, l’assurance de frais funéraires se rapproche davantage d’un produit de financement des préarrangements funéraires que d’une réelle assurance.

Et il ne s’agit là que d’une des nombreuses critiques formulées à l’endroit de l’assurance de frais funéraires. Outre la CACQ, plusieurs firmes de services funéraires s’opposent à sa légalisation. Dans une étude de cas réalisée en novembre dernier, Alfred Dallaire Memoria soutient par exemple qu’en souscrivant un tel produit, les consommateurs pourraient payer à terme entre 38 et 80% plus cher pour obtenir les mêmes services qu’en optant pour des préarrangements funéraires.

Le Réseau FADOQ se montre pour sa part favorable à son retour, estimant qu’il permettra aux personnes à faible revenu, pour qui les assurances vie ou les préarrangements sont trop onéreux, de financer leurs obsèques. Voilà un débat animé auquel les conseillers ne sont pas invités.

Pierre-Luc Trudel