Rapatrier un régime de retraite américain

17 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : samuraitop / 123RF

Les citoyens canadiens qui ont travaillé aux ­États-Unis (É.-U.) au cours de leur vie peuvent avoir cotisé à un régime de retraite auprès de leur employeur américain. Une fois au ­Canada, certains d’entre eux ne désirent pas conserver ces sommes à l’étranger, préférant plutôt les rapatrier dans leur portefeuille de placement. Cependant, le transfert d’un régime de retraite d’un pays à un autre engendre assurément des questions d’ordre fiscal, notamment celle de la double imposition. C’est pourquoi il est important d’en analyser tous les enjeux avant de procéder.

Il existe plusieurs types de régimes de retraite aux É.-U. ­Concentrons-nous sur les plus communs, soit le régime de retraite individuel (Individual ­Retirement ­Account, communément appelé « ­IRA ») et le 401(k).

Présentement, en vertu de la ­Convention fiscale entre le ­Canada et les ­États-Unis (la « convention »), les résidents canadiens peuvent continuer de bénéficier du report d’impôt au ­Canada sur les fonds détenus par l’entremise d’un ­IRA ou d’un 401(k) aux É.-U. Toutefois, si certains contribuables canadiens ne désirent pas changer leur situation, les institutions américaines peuvent exiger un tel transfert si le montant en cause n’est pas assez élevé ou parce que le contribuable n’est pas résident des É.-U.

ADMISSIBILITÉ AU TRANSFERT DANS UN ­REER

Certains types de régimes de retraite américains peuvent être transférés dans un ­REER sans affecter les droits de cotisation inutilisés. Le contribuable doit donc d’abord valider avec son conseiller quelle sorte de régime il détient, soit un ­IRA ou un 401(k). Par la suite, il lui faut déterminer s’il est un « régime admissible » ou un « régime non admissible », puisque le traitement fiscal diffère.

La portion du régime dite « admissible » permet au prestataire d’effectuer une cotisation ­REER spéciale sans affecter l’espace ­REER disponible du contribuable. Le « montant admissible » d’un 401(k) représente les cotisations au régime pendant la période de résidence aux É.-U., peu importe qui a cotisé, tandis que pour l’IRA, la partie admissible constitue les cotisations faites par l’employé (ou par son conjoint), excluant ainsi les versements de l’employeur.

Pour les régimes de retraite américains non admissibles, le contribuable doit avoir des droits de cotisation ­REER non utilisés afin d’être en mesure de verser les montants à son ­REER. Si un client n’a pas d’espace ­REER disponible, un tel transfert occasionnera une imposition immédiate du montant retiré du 401(k) ou de l’IRA dans sa déclaration canadienne.

Si votre client possède un ­Roth ­IRA, sachez qu’il s’agit d’un régime sensiblement équivalent au ­CELI. Les cotisations ne sont pas déductibles d’impôt, mais croissent à l’abri de ­celui-ci. En vertu des règles actuelles, les sommes accumulées dans ce type de régime ne sont pas transférables dans un ­CELI.

CONSÉQUENCES FISCALES AMÉRICAINES 

En tant que ­non-résident, le retrait d’un montant forfaitaire d’un ­IRA ou d’un 401(k) exige de l’institution financière américaine qui détient les fonds une retenue à la source équivalant à 30 % du montant transféré suivant la législation des É.-U. Cependant, en vertu de la convention, il est possible de la réduire à un taux de 15 %, mais seulement sur des paiements périodiques, et non pas sur un montant forfaitaire. Néanmoins, plusieurs institutions financières des É.-U. considèrent que si le formulaire américain ­W-8BEN est fourni à l’administrateur du régime de retraite, il peut prélever seulement 15 % d’impôt à la source même s’il s’agit d’une somme forfaitaire.

Comme cette pratique peut varier d’un établissement à l’autre, il est primordial de vérifier directement auprès de l’administrateur du régime quel taux sera applicable au montant transféré, puisque cela pourrait influencer la décision de rapatrier ou non les fonds au ­Canada. Il est important de noter que la cotisation ­REER spéciale requiert un versement dit « non périodique », ce qui représente pour l’Agence du revenu du ­Canada (ARC) un maximum de deux paiements.

Selon le type de régime, la loi américaine prévoit également un impôt additionnel de 10 % pour tout montant retiré avant l’âge de 59,5 ans. Auparavant, cette pénalité n’était pas admissible au ­Crédit pour impôt étranger, mais l’ARC a revu sa position en 2011. Malgré cela, un contribuable doit toujours vérifier auprès de l’institution financière américaine si d’autres pénalités ou impôts sont applicables lors d’un tel transfert.

CONSÉQUENCES FISCALES CANADIENNES 

De manière générale, un résident canadien qui reçoit un revenu provenant d’un régime de retraite américain est assujetti à un impôt canadien sur ­celui-ci. En ajoutant la retenue à la source aux É.-U., il y a donc possibilité d’une double imposition. Afin de l’éviter, il est possible de récupérer dans sa déclaration de revenus canadienne l’impôt payé à l’étranger par l’intermédiaire des dispositions relatives au ­Crédit pour impôt étranger.

Et ultimement, comme ce transfert peut être entièrement versé au ­REER, il sera sans conséquence fiscale, occasionnant une inclusion et une déduction à la déclaration d’impôt du contribuable. Par conséquent, ce dernier ne devra pas payer un impôt canadien l’année de la transaction sur le montant transféré si le régime américain (incluant le montant de retenue à la source aux É.-U.) est versé en entier au ­REER.

Le premier problème lors d’un tel transfert est la gestion des flux de trésorerie, puisqu’il faut effectuer une cotisation ­REER égale au montant du régime de retraite que l’on compte transférer (ce qui comprend le montant de la retenue à la source réalisée par les autorités américaines).

À titre d’exemple, si le régime 401(k) représente une somme de 300 000 $ et que le contribuable a plus de 59,5 ans, l’institution américaine peut effectuer une retenue à la source maximale de 30 % (soit 90 000 $), ce qui ne laisse à l’épargnant que 210 000 $ pour cotiser à son ­REER. Ce dernier doit donc trouver des fonds d’une autre source totalisant une somme de 90 000 $ (ou 45 000 $ si le taux de retenue est réduit à 15 %) afin de combler ce manque de liquidité. Si le contribuable n’est pas en mesure de trouver cette somme supplémentaire, le montant devient imposable et la cotisation ­REER spéciale non comblée n’est pas reportée à une année future.

Le deuxième problème est le ­Crédit pour impôt étranger (CIE). Afin d’éviter la double imposition, le contribuable peut, l’année où l’impôt américain est payé, récupérer le montant de la retenue à la source par l’utilisation du ­CIE. Les règles fiscales canadiennes entourant le ­CIE sont complexes, mais, de manière générale, le contribuable doit avoir d’autres revenus imposables qui engendreront des impôts canadiens à payer d’au moins 90 000 $ l’année du transfert afin de récupérer les impôts américains retenus. De plus, comme la déclaration de revenus est libellée en devise canadienne, il faut aussi prendre en considération que les montants seront convertis en dollars canadiens, ce qui peut résulter en un montant plus ou moins élevé selon la valeur du huard au moment du transfert.

Par conséquent, si le contribuable n’a pas suffisamment de revenus l’année du transfert, il paiera un impôt canadien moins élevé que l’impôt américain versé et, de ce fait, ne pourra pas récupérer la totalité de l’impôt américain déboursé. Il est important de considérer que le ­CIE non déduit l’année du transfert ne peut pas être reporté à une année d’imposition ultérieure et ne peut pas être récupéré d’une quelconque façon auprès des autorités américaines.

Il est impératif de cotiser au ­REER lors de l’année du transfert, ou au maximum dans les 60 premiers jours de l’année suivante. Il n’est malheureusement pas possible d’effectuer un tel transfert vers un ­FERR. De plus, cette opération est conseillée pour le contribuable qui compte s’installer au ­Canada de façon permanente, car s’il a l’intention de prendre sa retraite aux É.-U., il est impossible de renverser la situation, soit de transférer un ­REER vers un ­IRA.

DOUBLE RÉSIDENCE

Il est fréquent qu’un contribuable canadien soit aussi un citoyen américain, et qu’à ce titre, il détienne la double citoyenneté. Afin de se conformer à la législation des É.-U., tout citoyen américain (ou résident permanent) est dans l’obligation de produire annuellement une déclaration de revenus américaine (formulaire 1040) afin d’y déclarer ses revenus mondiaux, au même titre qu’un résident canadien face aux autorités canadiennes.

Tel que mentionné précédemment, un résident canadien peut être imposé à un taux de seulement 15 % sur les retraits d’un ­IRA ou d’un 401(k), alors qu’un citoyen américain le sera au taux marginal selon ses revenus, qui sera sûrement plus élevé que 15 %. Cette situation occasionnera un impôt étranger plus élevé à réclamer dans sa déclaration de revenus canadienne. Il lui faudra donc des revenus plus importants provenant d’autres sources afin de pouvoir demander un ­CIE à l’encontre des impôts à payer au ­Canada.

On remarque que les règles entourant le transfert d’un régime de retraite américain au ­REER d’un contribuable canadien sont complexes et qu’une bonne planification est primordiale afin d’éviter des impôts à payer des deux côtés de la frontière. Il est également possible que le transfert d’un tel régime ne soit pas avantageux pour certains épargnants. Dans ces conditions, il serait ­peut-être préférable d’attendre d’être forcé de retirer un montant minimum annuel de tels régimes, soit à compter de l’année où le titulaire atteint l’âge de 70,5 ans. C’est pourquoi votre client ne doit pas hésiter à consulter un professionnel avant de se lancer dans un tel processus.

Richard ­Lalongé, ­CPA, ­CGA, ­Pl. Fin., D. Fisc, est conseiller principal, ­Planification et ­Fiscalité, à la ­Financière ­Banque ­Nationale et ­Trust ­Banque ­Nationale.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2018 de Conseiller. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.