Recommander sans se tromper!

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 29 mars 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Courtiers hypothécaires, avocats, fiscalistes, notaires… les conseillers sont fréquemment appelés à recommander d’autres professionnels, ce qui n’est pas sans risque. Pour éviter de perdre la confiance de son client en proposant la mauvaise personne, quelques précautions s’imposent.

Afin de protéger le public et s’assurer qu’il soit servi au meilleur de ses intérêts, chaque professionnel dispose d’un champ d’expertise. Un conseiller ne peut s’improviser planificateur financier s’il n’en a pas le titre, pas plus qu’il ne peut poser un acte ou offrir un service qui relèverait des compétences d’un avocat, fiscaliste, courtier hypothécaire ou immobilier, notaire ou autre comptable.

De ce point de vue, la ­Chambre de la sécurité financière (CSF) rappelle que le représentant doit se distinguer d’un simple exécutant et poser un jugement professionnel.

« ­Plus la situation du client est complexe, plus la compétence du représentant doit être étendue et ses explications et conseils doivent démontrer une maîtrise d’informations très spécialisées, ­peut-on lire sur les pages Web ­Info-déonto de la ­Chambre. Si le représentant n’est pas suffisamment préparé, s’il ne dispose pas de la certification ou de tous les moyens nécessaires pour entreprendre ou poursuivre un mandat, il doit aller chercher l’aide ou les connaissances nécessaires. »

« Je ne recommande jamais une personne avec laquelle mon bureau n’a pas déjà traité. »

– Laurie ­Therrien

Risque ­de ­réputation

« ­Les choses coulent de source, raconte ­Laurie ­Therrien, planificatrice financière, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective auprès d’Investia ­Services financiers. Admettons que j’aborde un sujet lié à la succession en tant que planificatrice financière et que je me rends compte que mon client n’a pas de testament ou que ­celui-ci n’a pas été mis à jour depuis vingt ans. Je vais lui conseiller de le revoir et, logiquement, s’il n’en a pas ­lui-même, il va me demander si je connais un bon notaire. »

Mme ­Therrien affirme ainsi avoir régulièrement à recommander d’autres professionnels afin d’offrir un maximum de compétences à ses clients. Elle n’hésite jamais à le faire, car cela lui permet de pouvoir continuer à suivre le dossier en disposant de tous les éléments. Lorsqu’elle dirige quelqu’un vers un comptable, elle demande à son client si elle peut partager avec lui les informations pertinentes. Selon elle, tout le monde y trouve son compte. De son côté, elle dispose de plus de renseignements pour poser un bon diagnostic et mieux conseiller son client. Quant à ce dernier, il n’a pas à faire le lien entre les deux professionnels, notamment lorsque ­ceux-ci doivent s’échanger des documents.

Cela n’est pourtant pas sans risque et ­Laurie ­Therrien en a tout à fait conscience. Premier d’entre eux : le risque d’entacher sa réputation, dans le cas où le client recevrait un mauvais service de la part du professionnel recommandé.

« ­Je ne recommande jamais une personne avec laquelle mon bureau n’a pas déjà traité, ­affirme-t-elle. J’ai besoin de savoir comment ­celle-ci travaille, si nous avons les mêmes valeurs, la même qualité de service, ou si elle peut tout simplement bien s’entendre avec tel ou tel de mes clients. Pour l’instant, je n’ai pas eu de mauvaise expérience, mais je ne voudrais surtout pas que cela m’arrive, car c’est ma réputation à moi qui en prendrait un coup. »

« Nous faisons des suivis en envoyant un sondage aux clients, nous permettant d’avoir un retour sur l’expérience. »

– Philippe ­Bouchard

5 conseils pour une recommandation gagnante

  • Recommander un professionnel choisi minutieusement et partageant les mêmes valeurs et la même qualité de service ;
  • Choisir le bon professionnel pour le bon besoin et le bon client ;
  • Bien délimiter le champ d’intervention de chacun ;
  • Demander une soumission et définir les attentes et les objectifs du client ;
  • Assurer un suivi avec le client.

Fixer ­ses ­limites

Philippe ­Bouchard est conseiller en sécurité financière, président et fondateur de ­Gestion financière ­Apex. Il affirme avoir quotidiennement à recommander des professionnels qui fournissent des services que son cabinet ne peut livrer. Mais lui aussi en appelle à la plus grande vigilance.

« ­Nous avons aujourd’hui tout un réseau, que nous avons monté un morceau à la fois, ­souligne-t-il. Quatre bureaux de comptables, deux d’avocats, un cabinet de notaires et également trois courtiers hypothécaires, vers qui nous dirigeons régulièrement des clients. Nous faisons ensuite des suivis en envoyant un sondage aux clients, nous permettant d’avoir un retour sur l’expérience. »

Autre risque : celui de se faire voler son client, dans le cas où le professionnel recommandé travaillerait dans un gros cabinet proposant une multitude de services. Afin d’éviter cette situation, mieux vaut s’entendre dès le départ entre professionnels et définir les limites de l’intervention. Mais personne n’est jamais à l’abri d’un bris de confiance.

« ­Le mieux, c’est encore d’être présent lors des rencontres, estime ­Dominic ­Paquette, planificateur financier et président fondateur de ­Partenaire-Conseils ­Groupe financier. Je me vois alors comme un chef d’orchestre. Je demeure au cœur du dossier. Je peux tout de suite recadrer les choses lorsque je ne suis pas à l’aise avec la qualité de service consentie à mon client. »

« On veut pouvoir présenter la bonne personne hors de toute autre considération. »

– Dominic ­Paquette

Transparence

M. Paquette explique toujours au préalable à son client que, bien que ce soit lui qui lui recommande un autre professionnel et qu’il ait eu ­jusque-là de bonnes relations avec ­celui-ci, il ne peut garantir à 100 % qu’il en sera satisfait. Il lui conseille de bien se renseigner sur ses honoraires avant de commencer à travailler avec lui, car c’est souvent à ce sujet que les mécontentements surgissent. De son côté, il s’assure d’expliquer adéquatement le besoin de son client à son confrère, ainsi que ses objectifs.

« ­Le processus doit être complètement transparent afin qu’il n’y ait pas de frustrations de part et d’autre », ­souligne-t-il.

Une transparence qui, selon les trois conseillers, passe forcément par l’absence d’échange pécuniaire entre les deux professionnels. Tous trois affirment en effet que cette pratique serait de nature à biaiser la relation.

« ­On veut pouvoir présenter la bonne personne hors de toute autre considération », indique M. Paquette.

« ­Le client pourrait avoir des doutes quant à la sincérité de notre recommandation, ce qui n’est jamais souhaitable dans une relation d’affaires, ajoute ­Philippe ­Bouchard. Ce n’est donc pas notre modèle. »

Commission ­de ­référencement

Rien ne leur interdit pourtant d’être rémunérés. Un représentant qui recommande un client à un autre professionnel peut tout à fait recevoir une commission de référencement. Cette somme doit être fixe et ne pas dépendre de la conclusion d’une vente ou d’une prestation de service. Elle peut toutefois être liée au nombre de clients à qui l’on a fait cette recommandation.

Le représentant a alors l’obligation de divulguer aux clients concernés l’existence de l’entente. Il doit notamment s’assurer qu’ils comprennent qu’il a reçu une rémunération pour les diriger vers ce professionnel et leur préciser que d’autres spécialistes pourraient leur fournir des services comparables.

L’Autorité des marchés financiers précise par ailleurs que la ­Loi sur la distribution de produits et services financiers et le code de déontologie de la ­Chambre de la sécurité financière prévoient que les représentants ne puissent utiliser les renseignements personnels de leurs clients qu’aux seules fins pour lesquelles ils ont été recueillis. Ils ne peuvent pas les divulguer à des tiers sans leur accord.

Elle rappelle également que les personnes inscrites doivent éviter de se placer en situation de conflit d’intérêts et qu’elles ont l’obligation d’agir avec transparence, honnêteté et loyauté dans leurs relations avec les épargnants.

« ­Ma motivation première, c’est la satisfaction de mon client, conclut ­Laurie ­Therrien. C’est pourquoi je ne cherche pas à être rémunérée lorsque je recommande un autre professionnel. En revanche, si une confiance mutuelle s’installe entre nous, il y a forcément des renvois d’ascenseur. Je n’ai pas d’attentes particulières en ce sens, mais cela se fait naturellement. »

Quand recommander un client?

La Chambre de la sécurité financière indique que, pour qu’un représentant discerne s’il est capable de servir son client tout en respectant ses obligations ou s’il devrait plutôt le diriger vers le professionnel compétent, celui-ci doit se poser les questions suivantes :

  • Ai-je la certification requise pour poser l’acte demandé par le client?
  • Ai-je les connaissances et la compétence requises pour conseiller le client ou poser l’acte demandé par le client?
  • Les questions du client me rendent-elles mal à l’aise?
  • Puis-je conseiller ce client en restant dans ma zone d’expertise?
  • Le client serait-il mieux servi par un autre professionnel?
  • Aurais-je avantage à faire appel à un expert en la matière pour optimiser la valeur de mon conseil?

• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Hélène Roulot-Ganzmann