Relève : l’industrie a-t-elle besoin d’un changement d’image?

Par Jean-François Venne | 9 février 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Yevhenii Dorofieiev / 123RF

L’industrie des services financiers peine depuis plusieurs années à dénicher assez de travailleurs pour assurer son avenir. Le plein emploi que vit le ­Québec ne facilite pas la tâche de ceux qui embauchent, déjà boudés par des jeunes attirés par les firmes technologiques. Les institutions financières doivent apprendre à séduire la relève autrement. Mais comment ?

« ­Les employeurs affrontent un marché favorisant les candidats, surtout dans des régions où règne le plein emploi, comme à ­Québec, lance ­Martin ­Lauzon, directeur de recrutement, secteur entreprises chez ­St-Amour et associés. Les jeunes sont attirés par les entreprises de technologie ou pharmaceutiques. » ­On peut penser à ­Ubisoft et ­CGI, ou encore ­Bristol-Myers ­Squibb et ­Sanofi ­Canada, régulièrement nommés parmi les meilleurs employeurs québécois en raison de leurs conditions de travail originales et flexibles et de la possibilité d’y faire un bon revenu plus rapidement.

En novembre 2017, le taux de chômage atteignait un plancher record de 5,4 % au ­Québec. Il glissait même sous les 5 % dans ­Chaudière-Appalaches (2,5 %), en ­Montérégie (4,4 %), dans ­Lanaudière (4,8 %), en ­Estrie (4,8 %), dans la ­Capitale-Nationale (4,8 %) et au ­Bas-Saint-Laurent (4,9 %).

« Les jeunes ont beaucoup de préjugés envers les secteurs bancaire et de l’assurance.»

Martin ­Lauzon

Casser l’image

Cependant, le faible taux de chômage n’explique qu’en partie les difficultés de recrutement en services financiers. « ­Les jeunes ont beaucoup de préjugés envers les secteurs bancaire et de l’assurance, explique ­Martin ­Lauzon. Ils voient les représentants comme des vendeurs, une impression renforcée par certaines manchettes soutenant que les ­Québécois sont trop et mal assurés. Les scandales à la ­Norbourg ont fait mal au conseil financier. Ces entreprises sont aussi perçues comme étant rigides et conservatrices. »

Or, les jeunes sont très attentifs à la « marque de l’employeur », ­croit-il. Ils ne cherchent pas uniquement un bon salaire (même si cela reste un critère déterminant), mais aussi une firme dont les valeurs correspondent aux leurs.

Au 2e trimestre 2017, le ­Québec comptait 145889 employés en finance et assurance, en légère baisse (-0,4%) par rapport à la même période en2016.

À ­Québec et dans ­Chaudière-Appalaches, 11 cabinets d’assurance ont pris le taureau par les cornes pour combattre ce problème d’image. Ils ont créé le ­Centre de développement en assurances et services financiers, qu’ils appellent ­Puissance ­Onze. Il vise à promouvoir les perspectives de carrière dans l’industrie, à en faire découvrir les diverses facettes et à offrir aux jeunes des occasions d’apprendre l’anglais, le bilinguisme se faisant parfois plus rare dans ces régions.

On retrouve sur son site web une foule de renseignements sur les formations menant à une carrière en assurance et plusieurs témoignages de personnes qui y travaillent, en plus d’une foire aux questions visant justement à briser l’image trop traditionnelle ou trop mercantile souvent associée à la profession.

« ­Les jeunes connaissent nos sièges sociaux, mais ne savent pas toutes les carrières qu’ils peuvent y mener, affirme ­Jean-François ­Boulet, ­vice-président principal expérience client et expérience employé d’Industrielle ­Alliance ­Groupe financier (iA). On peut y faire de la promotion, de la gestion d’immeubles, de l’investissement, de l’analyse de données, du travail dans les technologies de l’information (TI), etc. Ils pensent à la vente quand ils voient nos bureaux, mais il n’y a aucun vendeur dans les sièges sociaux ! ­Quand ils découvrent cette diversité de carrières, les jeunes sont surpris. Nous souhaitons aussi leur faire comprendre que l’industrie de l’assurance travaille de plus en plus avec les outils technologiques de pointe, ce qui est important pour les jeunes. »

« Les jeunes connaissent nos sièges sociaux, mais ne savent pas toutes les carrières qu’ils peuvent y mener.»

Jean-François ­Boulet

Les experts

  • Jean-François Boulet

    Jean-François Boulet Vice-président principal expérience client et expérience employé d’Industrielle ­Alliance ­Groupe financier

  • Martin Lauzon

    Martin Lauzon Directeur de recrutement, secteur entreprises chez ­ St-Amour et associés

  • Mario Rigante

    Mario Rigante Premier ­vice-président, direction du ­Québec, ­BMO

Pour les attirer dans la distribution de produits et services financiers, iA tente de répondre à leurs trois principales attentes : le salaire et la rémunération, les horaires flexibles ainsi que l’emplacement de l’emploi, selon les études réalisées par la firme.

Cette dernière s’est donc adaptée en augmentant la rémunération de base des nouveaux conseillers. Elle a aussi modifié celle de leur directeur des ventes afin que son succès soit directement lié à celui du nouveau conseiller. Le directeur des ventes agit comme un coach auprès de la recrue, s’assurant qu’elle soit accompagnée tout au long de son développement.

De plus, « le conseiller décide maintenant de son horaire, explique ­Jean-François ­Boulet. Un conseiller [efficace] peut travailler quatre jours par semaine. Cette approche convient mieux à un profil entrepreneurial, donc nous ciblons ce type de personnes. Par ailleurs, nous avons plus de 50 bureaux partout au ­Québec, donc les conseillers peuvent travailler près d’où ils habitent. »

En 2017, à ­Québec seulement, iA a comblé 500 postes et devrait en pourvoir le même nombre en 2018, dont une centaine en ­TI et le reste en placement, gestion des comptes, souscription et conformité, autre secteur en forte croissance depuis quelques années en raison de l’augmentation de la réglementation.

Selon ­Fannie ­Pelletier, présidente d’Addendum, les emplois en services financiers sont encore vus comme étant intéressants, mais ne sortent plus du lot comme avant. D’autres offres, notamment dans les technologies de l’information, présentent des conditions de travail plus flexibles et des salaires plus intéressants. Il faut dire qu’un grand nombre de firmes dans ce secteur bénéficient d’un crédit d’impôt de 37,5 % sur les salaires admissibles. Ça aide à être généreux !

Cet avantage a été vertement critiqué par plusieurs dirigeants d’entreprises, dont ­Yvon ­Charest, le ­PDG d’iA. ­Celui-ci rappelait que les banques et compagnies d’assurance recrutent énormément de gens en ­TI, mais n’ont pas droit à ce crédit d’impôt. Près d’un employé sur cinq d’iA y travaille, un pourcentage appelé à augmenter. En décembre 2017, on apprenait que la ­Banque ­Nationale peinait à combler près de 400 postes dans le même secteur, ce qui menaçait de retarder la progression de certains de ses projets technologiques.

« Les employeurs doivent complètement revoir leur proposition à l’égard des jeunes afin de les attirer.»

Fannie ­Pelletier

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En plus d’un bon salaire, les jeunes recherchent de la flexibilité et de l’autonomie dans leur travail, l’assurance de pouvoir se développer et évoluer dans l’entreprise et, encore une fois, des outils de travail à la fine pointe de la technologie. Dans une telle dynamique, « les employeurs doivent complètement revoir leur proposition à l’égard des jeunes afin de les attirer », soutient ­Fannie ­Pelletier.

L’utilisation encore massive des documents papier peut en surprendre ­quelques-uns, tout comme le peu d’intérêt, dans certaines entreprises, pour les médias sociaux et les appareils mobiles. Les services financiers travaillent aussi à casser une image rigide en relâchant un peu les exigences du code vestimentaire.

BMO s’y essaie en misant sur sa réputation comme employeur. Mario ­Rigante, premier ­vice-président, direction du ­Québec, ­BMO ­Banque de ­Montréal, énumère quelques prix remportés récemment par son institution : présence sur la liste de ­Waterstone ­Human ­Capital des cultures d’entreprises les plus admirées au ­Canada, quatre prix ­Platine ­CPA, dont un sur le développement durable et un sur la gouvernance d’entreprise, et distinction comme l’un des « meilleurs employeurs canadiens pour la diversité » (Canada’s ­Best ­Diversity ­Employers).

En 2016, la rémunération hebdomadaire moyenne en finance et assurance était de 1183,41$ au ­Québec, en hausse de 170,64$ (+16,85%) depuis 2011. La moyenne provinciale est de 878,34$ parsemaine.

« ­Ce ne sont que trois exemples, mais ces prix et récompenses obtenues d’organisations et associations externes facilitent notre travail de recrutement, note

M. Rigante. Nous devons trouver des façons de nous démarquer afin d’attirer les talents, car la compétition est présente parmi les institutions financières dans chacun des marchés. »

De son côté, le ­Mouvement ­Desjardins embauche environ 3 000 personnes par année, confirme ­Salwa ­Salek, directrice principale, développement organisationnel et expérience employé. L’institution poursuit présentement un grand virage d’harmonisation de toutes ses fonctions de ressources humaines, avec le développement d’une solution technologique en infonuagique permettant au gestionnaire et au candidat d’interagir en continu, de même que les employés avec les dirigeants.

« ­Nous abordons le recrutement avec le candidat comme si c’était un processus avec un membre client, dans une optique omnicanal, explique ­Salwa ­Salek.

Qu’­est-ce qu’il peut faire par les différents canaux, comme l’ordinateur, le téléphone ou la tablette ? ­Que ­peut-il nous envoyer par vidéo ou autre ? ­Nous voulons nous assurer que le candidat puisse maintenir le contact avec nous au moment de son choix, avec le canal de son choix, tout comme les clients. »

Comme ­BMO ou iA, ­Desjardins se déplace dans les universités, les cégeps et les foires d’emploi et organise des journées carrière et autres activités pour se faire connaître auprès des candidats et repérer ceux qui l’intéressent. Mais une grande partie des embauches provient des recommandations de ses plus de 47 000 employés actuels, notamment pour les emplois de première ligne. iA adopte une approche semblable, offrant même des primes au recrutement à ses employés.

« ­Les employés sont souvent les meilleurs ambassadeurs d’une entreprise, cette dernière a donc tout intérêt à les mettre de l’avant », croit le recruteur de St-Amour et associés ­Martin ­Lauzon.

« Les jeunes veulent qu’on leur fasse confiance, qu’on les fasse grandir à l’intérieur de l’entreprise et qu’on leur donne de plus en plus de responsabilités.»

Mario Rigante

GARDER SES EMPLOYÉS 

La croissance des firmes de services financiers, l’augmentation des départs à la retraite et l’apparition de multiples postes liés aux nouvelles technologies augmentent les besoins de ­main-d’œuvre de l’industrie, mais aussi le souci de garder les employés déjà embauchés.

Pour ­Mario ­Rigante, la rétention repose beaucoup sur un bon processus de recrutement. « ­Si, à l’embauche, nous nous assurons que les valeurs véhiculées par l’entreprise correspondent à celles recherchées par l’employé, nous avons de bonnes capacités de rétention, ­estime-t-il. Nous arrivons à garder nos talents lorsque nous comblons leurs besoins : les jeunes veulent qu’on leur fasse confiance, qu’on les fasse grandir à l’intérieur de l’entreprise et qu’on leur donne de plus en plus de responsabilités. En répondant à ces attentes, la rétention n’est pas un enjeu. »

C’est ce que ­Salwa ­Salek appelle « le fit culturel et comportemental », c’­est-à-dire s’assurer que le candidat cadre avec la culture d’entreprise.

« C’est évalué et mesuré chez nous et c’est devenu un filtre dans nos entrevues, ­dit-elle. Nous avons défini les comportements idéals d’un employé ­Desjardins et nos gens à l’interne sont évalués en fonction d’eux. Par exemple, « être passionné des membres clients ». Il y a des gestes observables qui y sont rattachés, que nous mesurons lors de l’embauche et, ensuite, dans les évaluations de performance. »

Le candidat sera notamment invité à donner des exemples concrets, à décrire des occasions où il serait allé ­au-delà des besoins et des attentes d’un client, etc. Cela permet de recruter des gens dont les valeurs correspondent à celles de ­Desjardins et qui voudront y rester.

Tous les intervenants s’accordent pour dire que les perspectives de développement et de progression enthousiasmantes, ainsi que la création d’une communauté de travail engageante, sont des incontournables pour retenir les talents.

« ­Nous sommes pour que les employés changent d’emploi, à condition qu’ils restent dans notre entreprise ! lance ­Jean-François ­Boulet. Nous les accompagnons dans l’élaboration de leur plan de carrière. Ils peuvent participer à notre comité écologie. Nous avons adopté la philosophie de gestion ­Lean, qui mise sur la responsabilisation des équipes et leur engagement dans les processus d’amélioration continue. Nous soutenons aussi des causes sociales. C’est important de créer de l’engagement en lien avec les valeurs de l’entreprise. »

Ainsi, pour attirer les meilleurs talents que convoitent de nombreux autres secteurs dans un contexte de rareté de la ­main-d’œuvre, les services financiers sont appelés à modifier en profondeur non seulement leur image, mais aussi les modèles de recrutement, leur formule de rémunération et le développement des jeunes employés.

Avocats recherchés

Les exigences en conformité et l’essor des nouvelles technologies augmentent la demande d’avocats dans les services financiers. D’autant plus que les grandes entreprises préfèrent désormais avoir des équipes juridiques à l’interne et confier moins de tâches à des cabinets externes.

« ­Je fais autant de placement d’avocats en entreprise que dans les cabinets, notamment dans les banques et les compagnies d’assurance, qui sont plusieurs à avoir leur siège social au ­Québec », confirme ­Me ­Dominique ­Tardif, ­vice-présidente de ­ZSA ­Recrutement juridique.

Travailler en entreprise plaît aux jeunes avocats à la recherche d’une vie plus équilibrée, ­indique-t-elle. Ces postes permettent souvent d’avoir un horaire de travail plus stable qu’en cabinet. Les avocats y occupent aussi un rôle plus stratégique, se rapprochant du conseil d’affaires.

Dans les entreprises où il y avait quelques avocats il y a dix ou quinze ans, on en compte désormais des dizaines. Les employeurs recherchent donc plutôt des avocats spécialisés, par exemple en marchés des capitaux, produits dérivés, valeurs mobilières, secrétariat d’entreprise, conformité ou technologies de l’information. Or, « les avocats spécialisés en finance, notamment dans les valeurs mobilières, les produits dérivés ou la gestion d’actif, sont difficiles à trouver », conclut ­Me ­Dominique ­Tardif.


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2018 de Conseiller.

Jean-François Venne