RVER vs REER collectif : le combat décisif

Par Pierre-Luc Trudel | 7 mars 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Des milliers d’entreprises québécoises de plus de 20 employés devront se conformer à la Loi sur les RVER d’ici le 31 décembre. Pour bon nombre d’entre elles, la question se pose : RVER ou REER collectif?

« La Loi sur les RVER comporte deux gros avantages : celui de mettre l’enjeu de la retraite à l’agenda des employeurs et celui de ne pas les obliger à implanter le RVER en leur laissant d’autres options », pense Éric Brassard, associé et planificateur financier chez Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés.

Lui et deux autres conseillers de son cabinet ont d’ailleurs rédigé en septembre 2014 un document d’une trentaine de pages sur le RVER. L’une des sections de l’ouvrage, intitulée « Pourquoi ne pas choisir le RVER » laisse peu de place à l’interprétation. Tracas administratifs, manque de souplesse et options de placements limitées ne sont que quelques-uns des arguments évoqués pour éviter à tout prix ce régime censé, selon Retraite Québec, améliorer la planification de la retraite chez les travailleurs québécois.

Simon Pagé, actuaire et conseiller senior au maintien des affaires chez AGA Assurances collectives, partage le même avis. Dans un billet publié sur le site web de l’entreprise, il affirme qu’en raison des nombreux défauts du RVER, « le REER collectif connaîtra sans aucun doute un succès sans précédent en 2016 ».

LE REER COLLECTIF, CHOUCHOU DES ENTREPRENEURS 

Selon les observations d’Éric Brassard, la grande majorité des employeurs qui analysent attentivement leur situation se tournent vers le REER collectif. « On va peut-être assister à un petit rush pour le RVER à l’automne en raison de l’échéance du 31 décembre, mais je ne pense pas qu’il devienne très populaire », prédit-il.

Et pourquoi donc?

« L’administration d’un RVER est beaucoup plus lourde que celle d’un REER collectif pour les promoteurs », soutient Simon Pagé.

En effet, les employeurs qui choisissent d’offrir un RVER à leurs employés doivent obligatoirement les inscrire au régime, puis faire un suivi tous les deux ans avec ceux qui ont choisi de se désinscrire.

Dans le cas d’un REER collectif, l’employeur n’a qu’à aviser ses employés de la possibilité de cotiser au régime. Il n’a pas non plus à se soucier d’éventuelles pénalités que pourrait lui imposer Retraite Québec en cas de non-respect de la loi. En effet, le REER collectif est uniquement soumis aux lois fiscales et n’est pas sous l’égide de Retraite Québec comme le RVER.

Un autre élément qui risque de limiter la croissance du RVER : sa trop grande rigidité.

Gaétan Veillette

Gaétan Veillette

« Le RVER ne peut pas être personnalisé, contrairement au REER collectif qui est très flexible. Toutes les entreprises qui mettent en place un RVER du même assureur auront exactement le même régime », explique Gaétan Veillette, représentant en épargne collective chez Groupe Investors.

Selon lui, les conseillers considèrent généralement le RVER comme une solution de dernier recours.

Autre point à considérer : l’option CELI est inexistante dans un RVER, tout comme le « RVER de conjoint ».

LE RVER, UN BON POINT DE DÉPART 

Philippe Toupin, vice-président Solutions aux petites entreprises à la Financière Manuvie, est bien conscient que la majorité des conseillers ont tendance à favoriser le REER collectif au détriment du RVER. Il assure cependant que le RVER est une bonne solution d’épargne-retraite pour les employeurs qui ne souhaitent pas trop se casser la tête.

« Le RVER est principalement destiné aux employeurs qui recherchent quelque chose de simple et facile à comprendre. Il s’agit d’une bonne première solution pour les employeurs qui ne veulent pas trop s’engager dans la voie de la planification de la retraite de leurs employés pour le moment. Lorsque leur réflexion aura évolué, ils pourront toujours se tourner vers un régime plus versatile comme le REER collectif », soutient-il.

Les employeurs qui en sont à leur première expérience dans l’univers de l’épargne-retraite collective pourraient également opter pour le RVER de façon à se dégager de la responsabilité fiduciaire qu’implique l’offre d’un régime de retraite.

C’est l’institution financière qui administre le RVER, puisque c’est elle qui en détermine l’ensemble des modalités. C’est donc sur elle que retombe la responsabilité fiduciaire.

Dans le cas d’un REER collectif (ou de tout autre régime de retraite), l’employeur doit faire certains choix concernant les modalités du régime, notamment les choix de placements. Puisque la responsabilité fiduciaire lui incombe, il s’expose à d’éventuelles poursuites si des participants jugent qu’il n’a pas rempli correctement ses obligations.

LA QUESTION DES FRAIS 

Le RVER est souvent vanté pour ses frais de gestion très bas. Ceux-ci sont imposés par la loi et ne peuvent dépasser 1,25 % pour l’option de placement par défaut (un fonds cycle de vie) et 1,5 % pour les options supplémentaires (généralement entre trois et cinq).

Mais ces frais au plancher ont un coût : un service à la clientèle plutôt rudimentaire.

Daniel Beaulieu.

Daniel Beaulieu

« Les frais extrêmement bas et les commissions plus faibles du RVER ne permettent pas aux intermédiaires d’offrir les mêmes services que pour un REER collectif », souligne Daniel Beaulieu, conseiller en assurance et rentes collectives et président de R.E.G.A.R. Régimes collectifs.

Les participants à un RVER devront la plupart du temps se contenter d’un soutien téléphonique et en ligne, puisque les assureurs ne dépêcheront généralement pas un conseiller sur place pour rencontrer les employés, contrairement à ce qui se fait pour un REER collectif. Et c’est sans parler des choix de placements extrêmement limités du RVER, qui sont souvent insuffisants pour construire un portefeuille intéressant, juge Simon Pagé.

« Les frais ne sont qu’un élément de l’équation, ajoute Éric Brassard. De toutes façons, il est possible de renégocier les frais de gestion à la baisse dans un REER collectif au fur et à mesure que l’actif sous gestion augmente. »

« On a des clients REER qui ont maintenant des frais plus bas que ceux du RVER », confirme Simon Pagé.

LES LIMITES DE L’INSCRIPTION AUTOMATIQUE 

Lorsqu’elle a conçu le RVER, la Régie des rentes du Québec (maintenant Retraite Québec) a fait le pari que l’inscription automatique des employés favoriserait l’épargne, puisqu’ils mettraient de l’argent de côté pour leur retraite un peu contre leur gré. Plusieurs des experts interrogés émettent cependant de sérieux doutes sur la réelle efficacité de cette stratégie.

« J’ai hâte d’avoir plus de données là-dessus. Les gens qui ont peu d’intérêt pour l’épargne vont-ils réellement « oublier » de se désinscrire lorsqu’ils vont voir que le montant de leur paie est moins élevé? Je ne suis pas sûr du tout », avance Daniel Beaulieu.

Philippe Toupin est moins catégorique. Il mentionne que certaines expériences semblables au RVER réalisées dans d’autres pays, au Royaume-Uni notamment, se sont révélées concluantes.

« Très souvent, le problème n’est pas que les gens ne veulent pas épargner. Le vrai problème, c’est plutôt l’inertie, qui fait en sorte que les gens ne passent jamais à l’action. »

Selon lui, le modèle d’inscription automatique pourrait même faire des petits et s’étendre à d’autres types de régimes au cours des prochaines années.

Éric Brassard, comptable agréé, planificateur financier et associé chez Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés. Photo : Frédérique David

Éric Brassard. (Photo : Frédérique David)

Éric Brassard juge pour sa part que ce n’est pas en obligeant les travailleurs à mettre de l’argent de côté qu’on va les aider. « Ce n’est pas en épargnant 1000 $ par année que les gens vont régler leurs problèmes de planification de la retraite. Le plus gros enjeu, c’est le manque de conseil et d’éducation des épargnants. L’inscription automatique dans le RVER ne règlera rien. »

Devant la multitude de régimes d’épargne-retraite qui existent déjà au Canada, l’arrivée du RVER ne fait qu’intensifier la confusion, déplore Gaétan Veillette.

« Il y a déjà trop de types de régimes au Canada. Pourquoi avoir créé un nouveau régime quand ceux déjà en place auraient pu parfaitement faire le travail? Si l’État voulait vraiment obliger les gens à épargner, il n’avait qu’à imposer une cotisation minimale dans un REER collectif, par exemple », croit ce dernier.

Pour qui, le RVER?

Si le RVER est à ce point limité et contraignant, qui pourrait bien en vouloir? « Les très petits employeurs qui n’ont aucun intérêt pour l’épargne-retraite et qui se sentent forcés de mettre en place un régime », répond Simon Pagé.

Il faut d’ailleurs mentionner que la plupart des assureurs se montrent réticents à l’idée de maintenir en place un REER collectif qui contient peu ou pas d’actifs. Les très petites entreprises devraient donc prendre le temps de vérifier l’intérêt de leurs employés en matière d’épargne-retraite avant de prendre une décision, conseille l’actuaire.

« Les entreprises qui choisissent le RVER sans se poser de questions pourraient finir par regretter leur décision, ajoute-t-il. Je peux cependant dire que le REER collectif obtient les faveurs des plus gros employeurs. Je n’ai été témoin d’aucune cohue pour le RVER jusqu’à maintenant. »

Pierre-Luc Trudel