Un million de dollars à 18 ans, une nuisance?

Par Ioav Bronchti | 17 juillet 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : melpomen / 123RF

Vos clients ont travaillé fort pour constituer un patrimoine précieux. Ils connaissent la valeur de chacun de ces dollars. Se sont-ils déjà demandé ce qui serait arrivé si le même montant leur avait été donné à leur 18e anniversaire?

Je me sens privilégié de passer du temps en toute confidentialité avec des clients qui se posent cette question. Avec une oreille attentive, on découvre que leurs systèmes de valeurs diffèrent énormément. Pour une même question, il y a des réponses multiples, qui paraissent pourtant évidentes à chacun.

Aimeraient-ils qu’advenant leur décès prématuré, leurs enfants aient accès à tout leur patrimoine à leurs 18 ans? Certains répondront « bien sûr que oui », d’autres, « absolument pas ». J’ai vu une cliente se demander « à quel âge, donc, suis-je devenue adulte? ». En appliquant cette question à chacun de ses enfants, son estimation variait beaucoup.

Un autre couple réfléchissait à quoi devrait servir cet argent. En effet, un million de dollars peuvent être utilisés pour générer un revenu qui permet de vivre aisément dans certains pays, sans jamais plus travailler. Ils peuvent également servir à mettre en place une entreprise florissante, ou investir dans un parc immobilier. Mais s’ils peuvent servir, ils peuvent aussi desservir… Certains plongeront dans l’oisiveté, d’autres les utiliseront pour visiter des paradis artificiels ou développer une dépendance au jeu.

Et comme si c’était trop simple, il y a aussi les autres… Qui profitera de ce million de dollars, à part mon enfant? Qui sera gâté? Quelles amitiés se développeront autour de cet argent?

Tout ça se résume avec une question que je dois à mon cher ami Richard Lupien, anciennement conseiller à la Financière Banque Nationale : « Si tu avais reçu 1 million de dollars à 18 ans, serais-tu aujourd’hui mieux ou moins bien placé dans la vie? »

Ce sont de belles questions. Heureusement, il y a aussi quelques belles réponses.

Mineurs

Évacuons tout de suite la question des mineurs. Il me semble évident que l’on doit éviter de mettre entre les mains de personnes de moins de 18 ans des montants de plus de 25 000 $. En effet, le Code civil prévoit toute une armée de mesures pour protéger les mineurs qui reçoivent des biens de cette valeur, ou davantage.

Celles-ci font de la vie des tuteurs un enfer administratif. Un excellent outil pour éviter cela est l’administration prolongée. En quelques paragraphes, votre notaire aura mis la gestion des actifs du mineur entre les mains d’un administrateur, évitant ainsi bien des complications.

Administration prolongée et majeurs

Au-delà de 18 ans, le Code civil prévoit que l’administration prolongée peut s’appliquer, mais à condition qu’il y ait une raison légitime et sérieuse pour cela. Véritable boîte de Pandore dans certains jugements récents, cette condition met à mal de nombreux testaments qui utilisaient l’administration prolongée comme outil pour différer la remise de l’argent à l’enfant majeur à des âges avancés. Parfois, un tiers à 18 ans, un tiers à 21 et un tiers à 25. D’autres fois, à 50, 55 et 60 ans…

Je ne souhaite pas ici entrer dans les abîmes du débat qui secoue certains juristes à ce sujet actuellement. Gardons toutefois à l’esprit que ces jugements, qui cassent l’administration prolongée des biens des majeurs lorsqu’il n’y a pas de raison légitime et sérieuse explicite, se feront en l’absence de votre client. Souvent sans opposition. Les mesures qu’il aura prévues tiendront-elles la route lorsqu’il ne sera plus là? Demandez l’aide de votre juriste préféré.

Rente

Une situation clés en main facile dans les cas où la succession n’est pas riche, mais aussi dans bien d’autres, est l’achat post-mortem d’une rente. Un excellent candidat est l’héritier qui n’a jamais travaillé et qui a besoin de revenus bien plus que de capital. On ne voudrait peut-être pas qu’il investisse le capital en mettant à risque ses seuls revenus de retraite.

Ainsi, on demande au liquidateur de lui remettre un montant sous forme de rente mensuelle qu’il recevra durant une période déterminée ou à vie.

Attention! La rente est éminemment complexe à mettre en place, parfois impossible, si l’héritier vit à l’étranger au moment du décès de votre client, ce que l’on ne peut pas deviner à l’avance. Il faut donc prévoir un scénario de remplacement.

Il existe aussi de nombreux types de rentes, avec ou sans garantie de retrouver une partie du capital en cas de décès prématuré. Il faut donc décrire ce que l’on souhaite avec précision et permettre au liquidateur de prendre une décision éclairée parmi les possibilités. Votre client devrait se faire accompagner dans ces choix.

Fiducie

L’outil de prédilection pour quiconque veut créer des exceptions dans son testament est la fiducie. Des coûts et des complications administratives y sont liés, bien sûr, mais si on parle d’un million de dollars, les frais ne devraient pas être prohibitifs. Demandez-vous si l’importance de l’étalement du montant justifie la dépense. Un héritier aux prises avec des dépendances, par exemple, motivera probablement la mise en place d’une fiducie, même avec un capital bien moindre que 1 M$.

La fiducie est un vêtement sur mesure. Elle fonctionne très bien tant que l’on demeure dans des intentions morales et légales (ou plus précisément « conformes à l’ordre public », selon l’interprétation des tribunaux). Elle permet de faire beaucoup de choses. Par exemple :

  • Remise étalée sur plusieurs années;
  • Rente mensuelle ou hebdomadaire, même avec un bénéficiaire à l’étranger;
  • Surtout, flexibilité pour toucher au capital selon certaines circonstances fixées par votre client : investissement immobilier ou affaires, paiement de frais d’études, aide en cas de maladie grave, vacances, tatouages à l’effigie du parent décédé… Tout est possible!
  • Aide aux proches du bénéficiaire, comme ses enfants (cela procure un avantage fiscal, en passant);
  • Et naturellement, votre client décide où ira l’argent s’il en reste au décès du bénéficiaire (ses propres enfants, un organisme de charité, une autre fiducie au bénéfice de son chat…).

Une fiducie peut aller loin, et prévoir, par exemple, que l’enfant, tant qu’il est aux prises avec un problème de drogue, recevra moins d’argent ou pas du tout. Mais s’il présente un test prouvant qu’il n’a pas rechuté depuis un certain nombre de semaines, les prestations recommenceront. Tout cela est possible.

L’imagination du planificateur successoral et du client créeront la meilleure fiducie pour son héritier.

Considération purement personnelle, cependant : je mets en garde les parents qui voudront contrôler leur patrimoine sans raison après leur décès. Leur héritier pourrait en être négativement affecté. Ils devraient se demander si la rédaction du testament lui permettra de comprendre leur intention réelle.

Autant que possible, ils devraient lui parler de leurs volontés de leur vivant. J’ai vu des héritiers être très offusqués de la mise en place d’une fiducie censée les aider. Parfois, ce mal est nécessaire, d’autres fois, il donne faussement l’impression d’être enchaîné et contrôlé. Il faut donc prendre quelques instants pour y penser du point de vue de celui qui reçoit.

Bénéficiaire d’assurance vie

Si l’on prend soin de faire appel aux mécanismes évoqués plus haut, il faut évaluer qui sera le bénéficiaire des assurances vie.

Un contre-exemple parle de lui-même : monsieur a nommé sa conjointe bénéficiaire d’une assurance vie de 1 M$. La conjointe décède avant lui, son bénéficiaire remplaçant est son fils. Dans le testament, il a décidé de ne pas donner d’argent à son enfant avant son 30e anniversaire. Le bénéficiaire de l’assurance vie aurait donc dû être la succession (et non le fils) afin que les règles du testament s’appliquent au million de dollars reçu de l’assurance. Comme il ne l’a pas prévu, le fils recevra la prestation intégrale de l’assurance vie peu après le décès.

Flexibilité

Je reviens, enfin, sur le fait que chaque personne a une réalité qui lui est propre. Le meilleur des conseillers ne pourra se substituer au client, car c’est lui seul qui a une vision claire de la situation.

Votre client devrait prendre le temps de mesurer l’effet de l’outil qu’il aura choisi. Il devrait imaginer l’histoire de ses bénéficiaires après son décès et se demander si cela leur convient.

Et devant la multitude de scénarios qui se dessineront, il devrait essayer, autant que possible, de donner de la flexibilité à son testament. Il peut demander à son juriste de permettre au liquidateur et au fiduciaire d’agir selon la situation réelle au moment de son décès.

Ioav Bronchti, notaire, est conseiller principal, planification successorale, à la Financière Banque Nationale.


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2020 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Ioav Bronchti