Une accréditation pour « reprendre le contrôle de la profession »

Par Christine Bouthillier | 13 avril 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Daniel Guillemette (à l’avant-plan) et Tristan Laliberté lors du lancement d’Asteris.

Le nombre de conseillers indépendants s’amenuise, et avec le projet de loi 141 qui entend permettre la vente d’assurance de personnes en ligne sans représentant, la tendance ne semble pas près de s’inverser. En quête de solutions, des professionnels autonomes ont décidé de s’unir et de fonder Asteris.

« Nous voulons reprendre le contrôle de notre profession avant que quelqu’un d’autre le fasse à notre place », a lancé d’entrée de jeu Tristan Laliberté, vice-président Développement des affaires à Diversico et membre de l’équipe d’Asteris, lors du lancement de la désignation jeudi.

Asteris, c’est quoi? Ce n’est pas une association professionnelle, mais plutôt une accréditation. Tous ceux qui y adhèrent, moyennant un coût qui reste à définir, devront adopter une approche client respectant trois critères : transparence, objectivité et indépendance.

Si le nom Asteris rappelle celui d’Astérix, le Gaulois qui « résiste encore et toujours à l’envahisseur », il réfère plutôt à astérisme, c’est-à-dire une « figure remarquable dessinée par des étoiles particulièrement brillantes et indépendantes » qui sert à guider les populations, telle que la casserole dans la Grande Ourse.

« L’ADN D’ASTERIS »

Transparence, objectivité et indépendance, « c’est ça, l’ADN d’Asteris », indique Daniel Guillemette, président de Diversico et membre de l’équipe d’Asteris. Un organisme indépendant, dont la constitution n’est pas encore établie, viendra auditer les membres du regroupement et leur demander de défendre leurs recommandations pour s’assurer du respect de ces trois critères.

Pour Asteris, la transparence, c’est dévoiler toutes les commissions reçues pour tous les produits financiers proposés, tant la rémunération du conseiller que de celle de l’agent général ou de la firme de courtage. C’est aussi entamer avec ses membres une réflexion sur un possible passage des commissions aux honoraires ou aux commissions nivelées.

Une réflexion d’autant plus pertinente que l’abolition des commissions est dans la mire des autorités de réglementation depuis un certain temps. Mieux vaut être prêt lorsque ce sera chose faite, estime Tristan Laliberté.

« Tant que ma rémunération dépend de la vente d’un produit, je ne suis pas 100 % objectif », explique-t-il en entrevue avec Conseiller.

Doit-on niveler la commission d’entrée pour la répartir sur une plus longue période? Facturer des honoraires pour la réalisation de l’analyse des besoins financiers (ABF) afin d’éviter que l’on cherche à vendre un produit à tout prix pour empocher une rémunération? Une voie à laquelle les épargnants seraient ouverts, selon un sondage réalisé par Diversico auprès de ses clients.

Et les clients moins nantis? Si Tristan Laliberté admet qu’ils pourraient pâtir de l’adoption des honoraires, il estime que ceux qui ont leur santé financière à cœur n’hésiteront pas à y investir. La formation de cabinets multidisciplinaires pourraient aussi s’avérer une solution pour pouvoir servir ces épargnants.

Chose certaine, toutes les options sont sur la table et Asteris invite les conseillers indépendants à en discuter. La question est particulièrement délicate pour les professionnels en début de carrière qui comptent sur les commissions, d’où cette volonté d’en débattre au lieu d’imposer un modèle.

PAS DE RÉSEAU CAPTIF

Le deuxième critère, l’objectivité, est « le pouvoir de vendre le produit que l’on veut bien vendre », sans employeur qui insiste pour augmenter les ventes de certains produits, explique Daniel Guillemette.

Quant à l’obligation d’indépendance, les membres d’Asteris devront refuser toute tentative d’influence externe qui pourrait les placer en conflit d’intérêts.

« Quand je reçois un courriel d’un assureur qui m’incite à participer à un concours de vente, ma réponse, c’est : « Je n’en veux pas, de ton concours. Et tant que tu le tiendras, je vais refuser de vendre ton produit, à moins qu’il soit la seule option possible pour mon client » », illustre Daniel Guillemette.

Asteris ne veut toutefois pas juger négativement les conseillers du système bancaire.

« Ils veulent vraiment aider les clients. On n’est pas nécessairement plus compétents, mais on est plus transparents, objectifs et indépendants. Entre deux conseillers excellents, c’est une carte très valable à jouer pour se démarquer », mentionne Tristan Laliberté.

RÉPONDRE AUX CHANGEMENTS

Selon ses membres fondateurs, Asteris constitue ainsi une solution aux différents changements qui mettent la survie du conseil indépendant en péril. Les mouvements de consolidation, où les grandes institutions financières achètent les agents généraux et firmes de courtage, et le projet de loi 141 (PL 141) inquiètent particulièrement. Le modèle de distribution des produits financiers, actuellement basé sur l’équation manufacturier, agent général/firme de courtage et conseiller, risque de se réduire à un seul joueur : le manufacturier, craint-on.

« On se doit d’offrir une expérience client extraordinaire, car nous deviendrons vite dépassés », affirme Daniel Guillemette.

Le PL 141 propose en effet de permettre au manufacturier de vendre de l’assurance de personnes directement au client, en ligne. Et ce dernier risque d’en ressortir perdant, juge l’équipe d’Asteris.

Une petite recherche lui a en effet permis de trouver de l’offre de produits d’assurance sur le web bien que le PL 141 n’ait pas encore été adopté. Et ses découvertes étonnent.

« L’ABF se résume à cocher la case « Je confirme que je connais le montant de protection dont j’ai besoin »! » s’insurge M. Guillemette.

POUR LES CONSEILLERS… ET LES ÉPARGNANTS

Qui se préoccupe de défendre les intérêts des conseillers indépendants? Depuis que l’Association des intermédiaires en assurances de personnes du Québec a cédé ses droits à la Chambre de la sécurité financière en 1999… personne, estime Daniel Guillemette.

« La CSF n’a qu’une seule mission : protéger le public. […] Malgré tout, avec son comité de discipline où siègent des pairs qui comprennent la profession, il y a place à la nuance. Mais aujourd’hui, son existence est menacée par le PL 141. Si elle est absorbée par l’Autorité des marchés financiers, on tombe dans un environnement juridique. Avec un avocat, tu ne discutes pas. C’est écrit, on interprète et le juge décidera », expose-t-il.

Il estime qu’en se regroupant entre conseillers ayant adopté des standards uniformes de rigueur, il est plus facile de parler d’une seule voix et ainsi d’influencer les autorités de réglementation, tant que leur offre convient aux besoins des consommateurs.

C’est donc pour défendre leur place que ces conseillers indépendants ont lancé Asteris. Mais aussi pour se faire connaître du public.

« Sur la carte d’affaires du conseiller d’une banque, il y a exactement les mêmes titres que sur la mienne, énonce Tristan Laliberté. Il est peut-être très bon, mais le client ne sait pas qui il représente, qui lui dit de donner ses conseils. L’accréditation Asteris le montrera. »

Les scandales financiers des dernières années ont aussi échaudé les épargnants, qui se sentent plus en sécurité de faire affaire avec une banque reconnue plutôt qu’un indépendant, ajoute-t-il, précisant que la désignation Asteris sera ainsi un gage de qualité.

La prochaine étape? Atteindre une masse critique de membres pour réfléchir à la direction précise que prendra le mouvement. Une décision qui devrait se faire d’ici l’été, affirment en chœur MM. Guillemette et Laliberté.

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Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.