Assurances : besoins inchangés, intérêt multiplié

Par Didier Bert | 1 juin 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Famille sous un parapluie rouge
Photo : Jirsak / iStock

Si les besoins n’ont guère évolué, l’intérêt des consommateurs a été stimulé par la prise de conscience du risque. Les conseillers ont un rôle à jouer pour accompagner la clientèle dans cette nouvelle réalité.

Le nombre de polices d’assurance vie a augmenté de 2 % sur le marché canadien en 2020. Pourtant, celui-ci sortait de deux années moins positives, avec une croissance nulle en 2019 et même une baisse de 5 % du volume en 2018, indique Philippe Cleary, directeur principal, Produits d’assurance, d’épargne et retraite individuelles à iA Groupe financier. Et l’augmentation constatée l’an passé est survenue malgré un brutal ralentissement dû à l’arrêt de l’activité économique au printemps 2020. Il y a donc bien eu un rebond après la première vague de COVID-19, motivé par un regain d’intérêt des consommateurs.

En assurance maladies graves, les chiffres sont comparables avec une progression de 2 % en 2020, après deux années de baisse (-2 % en 2019,-6 % en 2018).

UNE PRISE DE CONSCIENCE DU RISQUE 

Certains besoins ont été accrus par la pandémie. La situation du marché immobilier le montre:la valeur des maisons a fortement augmenté depuis qu’elle a commencé. La crise n’a pas changé le besoin de couverture en assurances, mais le montant couvert doit être mis à jour. L’assurance vie peut venir combler un manque de liquidités auquel les héritiers pourraient faire face au moment de la transmission d’une résidence secondaire, illustre Michael Aziz, coprésident de Plan de protection du Canada.

Mais la croissance du volume des polices d’assurance n’est pas liée à l’apparition de nouveaux besoins, ni à la modification fondamentale des besoins existants. «La pandémie n’a pas changé les besoins, mais elle a sensibilisé les consommateurs à leur égard», observe Jonathan Pelletier-Cantin, conseiller en sécurité financière chez Desjardins.

La perception du risque a évolué, plus que le risque lui-même. «Les gens ont vu le risque de mortalité se concrétiser, ils sont inquiets, observe Michael Aziz. Ils se demandent ce qui se passera quand ils ne seront plus là.»

«  Les gens ont vu le risque de mortalité se concrétiser, ils sont inquiets.  »

Michael Aziz

La pandémie a aussi donné davantage de temps aux gens pour faire une analyse de leurs besoins et rencontrer leur conseiller en sécurité financière, constate M. Pelletier-Cantin, qui a remarqué une augmentation notable du nombre de ses rendez-vous, phénomène qu’il attribue directement à la vague pandémique. «Les gens prennent plus le temps de nous écouter, car ils sont plus conscients des conséquences de la maladie et des accidents», souligne-t-il.

Le contexte a poussé les gens à prendre plus d’assurance, compte tenu de l’incertitude, indique Michel Mailloux, le président du Collège des professions financières. Beaucoup se demandent si leur famille aura les moyens de faire face en cas de malheur. La COVID-19 aura fait apparaître plus clairement les besoins, croit-il.

UNE CLIENTÈLE RAJEUNIE 

Une partie de la population a vu son intérêt évoluer de façon sensible. Plan de protection du Canada a constaté une hausse de 20% du nombre de polices d’assurance vie émises pour les clients âgés de moins de 30 ans entre la mi-mars et juin 2020, comparativement à la même période l’année précédente. La pandémie a été un facteur déclencheur de l’intérêt de cette clientèle, comme le sont habituellement un mariage, une naissance et l’achat d’un logement. L’intérêt de ces jeunes consommateurs s’explique par un manque plus flagrant d’assurance dans cette catégorie de la population, relativement à ses besoins, croit Philippe Cleary.

Pour ces jeunes comme pour la population en général, la pandémie n’a pas seulement mis en relief le besoin d’assurance, mais également le besoin d’épargne. Alors qu’elle a fait augmenter le taux de chômage et fermer des entreprises, on aurait pu s’attendre à ce que les ménages puisent dans leur épargne. C’est tout le contraire qui s’est produit, relève Philippe Cleary. En 2020, les dépôts sur les fonds distincts ont été supérieurs d’un milliard de dollars à l’année 2019, fait-il remarquer.

Et ce souci de précaution a même incité les assurés à peu recourir aux facilités de paiements de prime prévues par les assureurs. Moins de 1 % des assurés d’iA Groupe Financier ont demandé un allègement, rapporte M. Cleary. «Le paiement de la prime a fait partie des priorités des clients, précise-t-il. Plus largement, le taux de conservation des contrats d’assurance, tous produits confondus, est plus élevé qu’en année régulière:les taux d’abandon et de résiliation ont diminué.»

UNE RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

Devant ce regain d’intérêt, les conseillers ont dû s’adapter. «Durant la dernière année, cela n’a pas été facile de rencontrer les clients, rappelle Michael Aziz. Auparavant, beaucoup prospectaient en allant voir les gens, en vendant l’assurance les yeux dans les yeux avec le client, pour l’éduquer et combler ses besoins.»

Nombre d’entre eux ont su prendre le virage numérique. «Des conseillers qui n’utilisaient jamais les propositions numériques ont montré un intérêt nouveau parce qu’ils en ont vu les avantages», explique Michael Aziz.

«  Des conseillers qui n’utilisaient jamais les propositions numériques ont montré un intérêt nouveau parce qu’ils en ont vu les avantages.  »

Michael Aziz

Pour d’autres, le passage à la rencontre virtuelle a été plus laborieux. Ceux qui n’avaient pas de présence sur Internet ont dû réagir. Quand le client ne rencontre plus physiquement le conseiller, il recherche sa présence sur Internet pour voir ce qui est publié à son sujet, mentionne Michael Aziz. Désormais, les références se transmettent en ligne : il est plus facile de recommander un conseiller disposant d’un site plutôt qu’un conseiller absent de la Toile.

Du côté des clients, les rencontres à distance ont été appréciées. «Ils n’ont pas besoin de se déplacer, ou de faire garder les enfants», dit Jonathan Pelletier-Cantin, qui constate aussi que les rencontres se font davantage en journée plutôt qu’en soirée ou durant l’heure du lunch.

Les rendez-vous à distance, sur supports numériques, ont également permis aux clients de bénéficier plus rapidement des couvertures d’assurance, et de partager facilement la police avec les bénéficiaires.

La distance a en outre imposé un changement dans le processus de validation des polices. Davantage d’assureurs proposent désormais des solutions sans examen médical, selon Michael Aziz. Le manque d’infirmières, mobilisées dans les établissements de santé, la réticence des clients à se déplacer et l’impossibilité d’organiser matériellement les rendez-vous médicaux ont facilité ce virage.

Pour les conseillers, les rencontres virtuelles ont pu simplifier la transmission des explications aux clients. «C’est plus adapté pour expliquer des choses compliquées car on peut partager les informations sur l’écran», spécifie M. Pelletier-Cantin, qui relativise toutefois. La visioconférence empêche une prise en compte optimale des expressions faciales, ce qui est très handicapant lors d’une première rencontre, note-t-il. Michel Mailloux met en garde contre le risque que le client ne soit pas suffisamment attentif durant une rencontre à distance. «Pendant qu’on illustre un élément, le client ne nous regarde pas forcément.»

«  Pendant qu’on illustre un élément, le client ne nous regarde pas forcément. »

Michel Mailloux

Les rencontres à distance ont par ailleurs rendu les conseillers plus disponibles. «La proportion de temps du conseiller passé en conseil au client a beaucoup augmenté:on a éliminé le temps de déplacement», remarque Philippe Cleary. Cette disponibilité plus importante a eu un effet positif pour les clients les plus éloignés géographiquement, qui ont pu bénéficier de rencontres dans les mêmes conditions que des clients plus proches, croit-il.

D’ailleurs, l’intérêt des jeunes pour l’assurance vie pourrait aussi s’expliquer par la facilité nouvelle de souscrire, permise par la technologie, dont cette clientèle est particulièrement friande, suggère Michel Mailloux.

LA COMPASSION D’ABORD 

Hormis ce passage à la rencontre virtuelle, l’approche des conseillers n’a pas grandement changé au cours de la dernière année, juge Michael Aziz, pour qui le discours des représentants avait déjà évolué depuis 15 ans, mettant davantage l’accent sur les aspects positifs de l’assurance plutôt que cherchant à faire peur.

Ce travail réalisé depuis les années 2000 a été en phase avec le souhait des consommateurs durant la situation pandémique. En effet, s’il est bien une qualité rendue indispensable par la crise sanitaire, c’est la compassion que doit manifester le conseiller. «Le client doit voir que le conseiller est là pour l’aider, pour prendre soin de lui», insiste Michael Aziz. C’est encore plus important aujourd’hui dans une période difficile, où les gens sont restés isolés, alors que leur santé mentale a été mise à rude épreuve.

Directives médicales anticipées : les conseillers ont un rôle à jouer

Au moment de dresser la situation financière et la planification successorale, le conseiller doit rappeler à ses clients l’importance de rédiger ses directives médicales anticipées (DMA), au même titre que son testament et son mandat de protection.

Les DMA se font devant notaire ou par l’entremise d’un formulaire de la RAMQ, sur lequel on indique l’acceptation ou le refus de recevoir certains soins médicaux qui pourraient être nécessaires dans des circonstances cliniques précises, explique Marie-Josée Houde, notaire à Banque Nationale Gestion privée 1859. Par exemple, on peut indiquer si on refuse d’être réanimé en cas d’arrêt cardio-respiratoire.

Ce document a une valeur contraignante:les professionnels de la santé ont l’obligation de les respecter. Mais il ne permet pas de demander l’aide à mourir, que la loi n’autorise pas à réclamer à l’avance.

Les DMA ne sont pas un testament biologique. Ce dernier, qui peut être inclus dans le mandat de protection, donne au mandataire la responsabilité de donner son consentement à un éventuel arrêt des soins. Avec les DMA, la personne donne elle-même son consentement, sans laisser peser cette décision sur les épaules d’un proche.

«Quand on parle d’assurance vie et de planification successorale, c’est un bon moment pour discuter des documents à détenir, comme les directives médicales anticipées», conseille Me Houde.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.