Diversité : au-delà de la « porte de verre »

Par Carole Le Hirez | 28 septembre 2022 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
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Des personnes de différentes origines ethniques joignent leurs mains.
Photo : vgajic / iStock

L’industrie manque de relève et peine à retenir les talents. Au même moment, les firmes tentent de diversifier les profils d’employés et d’être plus inclusives. Pour concilier ces défis, elles revoient leurs structures de gouvernance et font évoluer certaines pratiques. État des lieux.

En 2016, lorsque Mérici Services Financiers a voulu modifier son formulaire d’ouverture de compte pour ajouter une case « autre » afin d’indiquer le genre des clients, son directeur général, Maxime Gauthier, a dû convaincre les sociétés de fonds d’adapter leurs outils, car cette troisième option n’existait pas dans leurs systèmes. Cet exemple peut paraître anodin, mais il illustre les irritants qui peuvent compromettre les efforts des firmes envers la diversité.

« Une proportion non négligeable de nos clients s’identifient comme LGTBQ2+. Pour nous, c’est une forme de respect envers eux de reconnaître leur différence », affirme le dirigeant. Pour donner un coup de pouce à cette différence, l’entreprise a créé il y a deux ans une bourse avec l’Université de Sherbrooke à l’intention d’étudiants provenant de minorités ou au parcours atypique.

Une « porte de verre ». C’est l’expression qu’utilise Isabelle Ménard, vice-présidente, Services privés, Gestion de patrimoine TD, pour évoquer les barrières dressées sur la route des personnes issues des minorités qui veulent entrer dans l’industrie. « À l’interne, il existe des biais inconscients, reconnaît-elle. On déploie beaucoup d’efforts pour les faire tomber, par exemple en organisant des formations obligatoires pour les employés sur les préjugés. »

TD fait pourtant figure de bon élève au chapitre de l’attention portée à la reconnaissance des différences. Sa politique de diversité, équité et inclusion (DEI), amorcée il y a une dizaine d’années, est à l’origine de nombreuses initiatives: porte-paroles appartenant à une minorité, conférences, groupes ressources d’employés, journées thématiques, etc. En début d’année, TD a créé le Centre de ressources sur l’équité, la diversité et l’inclusion, une plateforme qui cherche à favoriser l’inclusion de points de vue et d’expériences des différentes communautés dans le développement, la conception et la mise en place de services et produits financiers.

Toutes les organisations n’ont pas atteint ce point de maturité. « Dire qu’on se situe à l’endroit où on voudrait être [en matière de diversité] serait mentir », avoue Carl Thibeault, vice-président principal pour le Québec à IG Gestion de patrimoine. Il souhaiterait notamment voir une plus grande représentativité des minorités dans les différentes régions couvertes par la firme dans la province.

L’INDUSTRIE RESTE PEU VARIÉE

L’approche des services financiers en matière de diversité évolue, mais lentement. Lors de l’édition 2022 du Pointage des courtiers québécois de Finance et Investissement, nombre de conseillers ont souligné les efforts de leur entreprise pour intégrer davantage de femmes et de minorités, mais ils ont reconnu du même souffle que l’industrie restait peu variée.

Leurs commentaires faisaient état entre autres de la faible représentation des minorités visibles dans leurs rangs. « On a besoin de davantage de conseillères et de conseillers issus des minorités. L’industrie est très majoritairement masculine et blanche », témoignait un répondant.

Plusieurs personnes interrogées dans le cadre du sondage estimaient par ailleurs que la compétence doit primer sur la diversité lors du recrutement et étaient contre une sélection positive en fonction de ce critère.

RELÈVE: IL Y A URGENCE !

Dans le contexte économique actuel, l’industrie n’a pas le choix de s’ouvrir aux nouveaux visages. La pénurie de talents, conjuguée au besoin pressant de relève alors que de nombreux conseillers s’apprêtent à partir à la retraite, change la donne et amène certaines pratiques à évoluer.

« La politique de diversité nous permet d’attirer une main-d’œuvre supplémentaire et de se distinguer comme employeur, résume Isabelle Ménard. Cela vient aussi répondre au besoin de refléter notre clientèle. Ce serait une erreur de ne pas avoir une population d’employés qui exprime cette diversité. »

«   La politique de diversité nous permet d’attirer une main-d’œuvre supplémentaire et de se distinguer comme employeur.»   »

Isabelle Ménard

Face à l’urgence, la TD s’engage à doubler la représentation des personnes issues des minorités à des postes de direction d’ici 2025, afin d’avoir des modèles susceptibles d’attirer des candidats qui leur ressemblent. Ces efforts visent notamment les communautés noires et autochtones. À la même échéance, l’institution entend aussi atteindre la parité dans ses équipes de conseillers, qui comptent pour le moment environ 75 % d’hommes.

« S’assurer que la relève reflète les communautés dans lesquelles on vit est un élément important. Cependant, cela ne suffit pas. Le défi est de faire vivre ces valeurs au quotidien dans l’organisation », soutient Karine Eid, chef des Services bancaires aux entreprises pour l’Est du Canada à BMO.

Dans le cadre de sa stratégie « L’inclusion sans obstacle 2025 », BMO vise entre autres à faire grimper de 30 % la représentation des personnes de couleur dans les postes de haute direction, à porter la proportion d’employés issus de la communauté LGBTQ2+ à 3% de l’effectif total et à accueillir de 5% à 7% d’employés atteints d’un handicap.

Pour respecter ces cibles, elle compte notamment sur ses 14 groupes de ressources d’employés (GRE), qui totalisent près de 6 000 membres représentant la diversité sous toutes ses formes (culture, genre, LGBTQ2+, etc.). Ces groupes renseignent l’organisation sur les besoins des employés et contribuent à orienter les programmes et initiatives en matière de diversité. Ils défendent également les intérêts des employés et créent des milieux sûrs où ils peuvent se sentir à l’aise de dire ce qu’ils pensent et d’être eux-mêmes, souligne la gestionnaire.

Afin de promouvoir la place des femmes dans le secteur financier, CFA Montréal a signé ce printemps le Code DEI, ou Code sur la diversité, l’équité et l’inclusion, une initiative lancée par l’Institut CFA pour reconnaître « qu’une diversité de perspectives mènera à de meilleurs résultats pour les investisseurs ».

À Montréal, seulement 17 % des détenteurs d’un titre de Chartered Financial Analyst (CFA) sont des femmes. En 2022, elles représentaient 27 % des candidats à l’examen du CFA Montréal, un chiffre en croissance, selon l’association.

LE POULS DES ÉQUIPES

De son côté, iA Groupe financier a amorcé le virage vers la diversité au début de 2020. Il y a un peu plus de quatre mois, l’institution a nommé une première leader, diversité et inclusion en la personne d’Inderpal Palmier, une jeune femme née au Royaume-Uni de parents d’origine indienne.

« Nous sommes au début du chemin. Pour réussir, nous savons que nous devons aligner la stratégie DEI sur celle de l’entreprise. Nous devons aussi veiller à ce que cette stratégie soit claire et approuvée par toute l’équipe », affirme la spécialiste.

Le groupe iA a commencé par sonder ses quelque 8 000 employés au Canada et aux États-Unis sur leurs attentes et leurs priorités en matière de diversité et d’inclusion. L’équité entre les hommes et les femmes aux postes supérieurs est ressortie comme un objectif prioritaire. À la suite de l’exercice, la firme s’est fixé une cible à atteindre, soit avoir de 40 % à 60 % de femmes à des postes de direction d’ici 2025. Au 31 décembre 2021, elle comptait 18 % de femmes à des postes de cadre (vice-présidente principale et vice-présidente) et 34 % dans des fonctions de direction générale.

Le questionnaire a également permis de mettre en relief le besoin de soutien et de possibilités de progresser à l’interne chez les employés issus de la communauté noire. Pour appuyer cette démarche, la firme organise entre autres des séances de sensibilisation qui portent tant sur la communauté noire que sur les minorités autochtones et LGBTQ2+.

UNE QUESTION DE GOUVERNANCE

Avec l’importance des critères ESG, la question de la diversité dépasse le cadre des ressources humaines pour s’installer au sommet des préoccupations des entreprises et occuper une place de choix au sein de la chaîne de gouvernance. « La diversité est une composante majeure de notre stratégie de développement durable, qui repose sur les critères ESG », insiste Inderpal Palmier. Cette importance est validée par le président et chef de la direction d’iA, Denis Ricard, qui considère la diversité comme « un élément crucial pour l’avenir de l’organisation ».

Les hauts dirigeants se doivent de porter haut ces valeurs pour les propager dans toute l’entreprise. À BMO, le champion de la diversité est Cam Fowler, chef de la stratégie et des opérations, qui copréside le Comité des leaders sur l’inclusion et la diversité avec Ann Marie Wright, auditrice en chef pour les États-Unis. Les deux rendent compte des progrès accomplis directement au président et chef de la direction, Darryl White.

« Chaque leader a un engagement envers la diversité avec des objectifs clairs », mentionne Karine Eid. Car pour rester vivante, la stratégie de diversité doit absolument faire partie intégrante de la gouvernance, rappelle-t-elle. « La gouvernance permet de tenir les différentes divisions responsables de l’atteinte des objectifs. Elle impose un niveau de responsabilité et de reddition de comptes. Ces éléments permettent à la diversité de rester une priorité dans la tornade du quotidien. »

La diversité constitue un indice important de la performance, croit Isabelle Ménard. « Avez-vous une stratégie de diversité et inclusion? Avez-vous des produits ESG et des gestionnaires de fonds qui s’en occupent ? C’est une question que l’on nous pose constamment. Une organisation qui n’a pas de politique de diversité est désavantagée », estime-t-elle. Elle ajoute que le fait de posséder une stratégie ESG axée sur la diversité « apporte de nouvelles façons de penser, favorise le développement d’une culture inclusive et engendre des décisions plus éclairées et plus variées ».

Faudrait-il pratiquer une discrimination positive pour permettre aux représentants des minorités d’être plus nombreux à franchir la porte de verre? « On ne se positionne pas dans ce sens, mais plutôt comme un employeur égalitaire. On priorise la compétence avant tout. Cependant, en s’ouvrant à la diversité, l’organisation élargit le bassin de candidats, donc augmente ses chances d’attirer les meilleurs talents », répond la dirigeante.

UNE APPROCHE PROPRE À CHAQUE FIRME

Si les politiques de DEI permettent de bâtir un cadre d’intervention, chaque firme doit trouver son approche, en fonction de sa réalité et de son ADN. « La plus grande erreur serait de faire des programmes mur à mur », mentionne Carl Thibeault. En marge de sa stratégie nationale, IG, qui possède un réseau de plus de 3 000 professionnels au pays, a adopté une approche régionale en créant des comités locaux chargés d’identifier les besoins en relève dans chacun des bureaux.

« Par exemple, si on a un marché en croissance où le mandarin est parlé et qu’on a une relève en place qui ne connaît pas cette langue, on risque de repérer cette lacune un peu trop tard. Avec des employés qui participent à cette diversité, on peut plus facilement voir les besoins et gagner deux ou trois ans pour préparer la relève », illustre-t-il.

«   Avec des employés qui participent à cette diversité, on peut plus facilement voir les besoins et gagner deux ou trois ans pour préparer la relève.»   »

Carl Thibeault

À Mérici, la diversité se mesure plutôt en termes de choc des générations. Avec une proportion importante de conseillers plus jeunes que la moyenne de l’industrie, le cabinet cherche des conseillers expérimentés prêts à passer le flambeau à la relève. « Cette diversité de générations crée un certain déséquilibre, indique Maxime Gauthier. Les plus jeunes font face à certains préjugés de la part des conseillers plus âgés, mais ils peuvent aussi les aider à mieux répondre aux attentes de leurs clients de la nouvelle génération. »

Alors que la diversité s’exprime de nombreuses façons au sein des firmes, un des défis consiste à faire durer les stratégies pour qu’elles restent vivantes et pertinentes, constate Carl Thibeault. « On se donne des objectifs chiffrés pour mesurer si les stratégies fonctionnent, mais l’atteinte d’un pourcentage ne doit pas primer sur tout le reste. On peut y perdre la fierté, un élément indispensable pour réussir à inspirer les gens. »

Car s’assurer que les équipes adhèrent aux politiques de diversité et qu’ils fassent partie de la solution demeure un facteur clé de réussite.

Carole LeHirez

Carole Le Hirez

Carole Le Hirez est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.