En affaires en famille

Par Alizée Calza | 1 octobre 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Andriy Popov / 123RF

« Oui, je suis le fils de… », une phrase commune dans le milieu, mais encore remplie d’implications et d’a priori. Prendre la relève d’un parent vient avec son lot d’avantages… et quelques inconvénients

Reprendre la suite d’un de ses parents est une décision qui ne va pas forcément de soi et se mûrit. Gino-Sébastian Savard a ainsi commencé à travailler avec son père par accident, même s’il avoue que finalement ç’a été « le rêve d’une vie ».

« Si je ne l’avais pas fait, je n’aurais jamais vraiment connu mon père. Grâce à ça, il est devenu mon meilleur ami », raconte le président de MICA Cabinets de services financiers.

Pour sa fille, Ann-Rebecca Savard, la prémisse est tout autre, mais le résultat reste identique. « J’avais 4-5 ans et je savais déjà que je voulais travailler chez MICA, car je voyais mon père rentrer du travail totalement passionné », se souvient-elle.

Convaincue à un jeune âge d’être à sa place, elle a obtenu ses permis très tôt et a commencé à rencontrer des clients dès le début de son cursus universitaire. En plus de lui offrir un métier qui concorde avec ses intérêts, intégrer MICA lui a permis de tisser une relation privilégiée avec son père ainsi qu’avec son parrain et oncle, Martin Savard.

TRACER SA PROPRE VOIE 

Malgré sa conviction que le métier lui plairait, car elle partage les valeurs et nombre de traits de caractère de son père, elle a choisi de tracer un chemin qui lui serait propre.

Dès son arrivée chez MICA à temps complet, Ann-Rebecca Savard a sauté sur une occasion de poste dans la division d’investissement.

« Elle ne chaussait pas mes chaussures, mais venait travailler avec moi. Elle a ses propres souliers et doit avoir du plaisir, souligne Gino-Sébastian Savard. Il faut que ça lui ressemble, que ça ait sa saveur, car c’est à elle. »

Cette individualité est aussi une valeur chère à Jean-Philippe Vézina, qui travaille également dans le cabinet de son père. Lui qui aurait aimé établir son propre bureau « pour se casser les dents » a tout de suite apprécié la liberté que lui offrait son père et la confiance qu’il lui témoignait pour amener l’entreprise « à un autre niveau ».

Fort d’une maîtrise en fiscalité, il a rapidement trouvé son créneau en s’impliquant dans des dossiers plus complexes et en aidant au développement du cabinet. « Je trace ma propre voie, mais en même temps, mon père est là pour me soutenir et me guider », résume-t-il.

Il admet que, finalement, la situation est idéale. « Je me sens choyé, témoigne-t-il. C’est le fun de travailler avec son père. J’apprends à le connaître d’une autre façon, je me sens plus proche de lui. »

Suivre sa propre voie ne veut pas dire pour autant que l’on désire tout changer une fois que l’on prend la relève. « J’ai eu un mode de reprise d’entreprise dans la parfaite continuité de mon père, indique Gino-Sébastian Savard. Je n’avais pas le goût de marcher à côté de ses traces, je voulais marcher dedans parce que j’adhérais à son modèle d’entreprise, sa vision. »

Cette volonté de ne pas remettre les compteurs à zéro est d’ailleurs un point qui plaît beaucoup aux clients. « Ça les réconforte, assure Jean-Philippe Vézina. Ils constatent qu’il y a une continuité et que l’équipe va demeurer intacte, même s’il arrivait quelque chose d’important à un conseiller. »

« C’est très sécurisant pour les clients de voir arriver la relève. De diriger leurs enfants vers les enfants du conseiller et de se dire: « J’espère qu’ils seront aussi bien servis ». Ils savent que la relève est élevée dans les mêmes valeurs et est donc capable de reproduire ce que le chevronné faisait de bien, tout en apportant sa propre couleur », renchérit Gino-Sébastian Savard.

UN STAGIAIRE QUI APPORTE BEAUCOUP

Certes, un vétéran peut grandement béneficier à un débutant, mais l’inverse est également vrai. Être l’enfant du patron permet d’avoir un certain poids auprès de son formateur.

« Si j’occupais un poste similaire dans un autre cabinet, jamais je n’aurais cette opportunité. Ça me donne énormément de place dans le développement et les projets de l’entreprise, ce qui est très motivant », commente Ann-Rebecca Savard.

«  Si j’occupais un poste similaire dans un autre cabinet, jamais je n’aurais cette opportunité. Ça me donne énormément de place dans le développement et les projets de l’entreprise, ce qui est très motivant.  »

Ann-Rebecca Savard

Son père avoue qu’il lui est difficile d’être « imperméable » aux idées mises de l’avant par sa fille. Il suit ainsi l’exemple de son propre père, qui n’hésitait pas non plus à écouter les suggestions des autres pour amener son cabinet plus loin. « L’opinion d’Ann-Rebecca compte. Elle amène de l’innovation et on vit dans l’innovation, on n’a pas le choix. C’est un des facteurs du succès de l’entreprise », soutient Gino-Sébastian Savard.

Jean-Philippe Vézina affirme que son père est également ouvert à ses propositions. Le fait d’appartenir à deux générations différentes apporte nécessairement de nouvelles façons de voir les choses. « Chaque fois que j’ai des idées, même des idées marketing, il dit toujours oui », confie-t-il.

M. Savard se souvient que dès son arrivée au sein du cabinet, sa fille est venue le voir avec diverses propositions. « Elle a viré nos portefeuilles de bord pour y amener les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ces derniers m’intéressaient, mais Ann-Rebecca a été une empêcheuse de tourner en rond sur le fait de les inclure », s’amuse-t-il.

« Pour moi, c’est gratifiant de savoir que j’ai introduit quelque chose de différent », se réjouit l’intéressée.

LE REVERS DE LA MÉDAILLE

Bien entendu, travailler avec son père s’accompagne d’un « pouvoir de persuasion », de contacts et d’une notoriété au sein de l’industrie, mais il n’y a pas que des avantages.

Cela peut parfois engendrer de la jalousie. « Ç’a été synonyme d’anxiété pour moi, parce que je me suis dit que les gens croiraient que j’avais obtenu mon poste en raison de mon nom. J’ai eu rapidement le couteau entre les dents, car je devais prouver que ce n’était pas le cas », se rappelle Ann-Rebecca Savard.

Pourtant, son père et son oncle ont fait bien attention de ne pas se mêler de son processus d’embauche.

« Il y a toujours une certaine médisance, confirme Gino-Sébastian Savard. Quand j’ai commencé, j’ai aussi entendu des commentaires très négatifs. »

Loin de les freiner, ces cancans les ont poussés à se surpasser pour satisfaire les attentes de leurs collègues.

« Si tu viens travailler avec papa, il faudra faire plus d’efforts, parce que tu vas devoir te faire un prénom, pas juste un nom de famille », résume M. Savard.

«  Si tu viens travailler avec papa, il faudra faire plus d’efforts, parce que tu vas devoir te faire un prénom, pas juste un nom de famille.  »

Gino-Sébastian Savard

Jean-Philippe Vézina avoue ne pas avoir été confronté à ce défi. Cela s’explique peut-être par le fait qu’il avait déjà travaillé au bureau de son père en tant qu’adjoint administratif et que, pour cette raison, toute l’équipe le connaissait, estime-t-il. Il a toutefois pris soin de discuter avec les autres associés pour s’assurer qu’en cas de départ de son père, la transition se ferait sans heurt.

« Ce n’est pas facile d’être le fils du boss et ça ne marche pas tout le temps. Ce n’est pas parce que c’est ma fille que c’est nécessairement la meilleure relève. Il faut qu’elle ait le goût et aussi les capacités », précise Gino-Sébastian Savard pour faire taire les jaloux.

Un autre point négatif est que le travail peut empiéter sur le temps en famille. Si c’est le cas pour Savard, ça ne l’est pas chez les Vézina. Ils ont mis un point d’honneur à laisser le bureau loin de leur vie familiale. Ann-Rebecca Savard note cependant que de parler du travail en dehors du bureau permet de pouvoir poser toutes les questions nécessaires à la formation, même hors des heures de travail.

Il est toutefois important de séparer bureau et famille, car l’on pourrait prendre certains problèmes trop à coeur ou risquer d’amener les difficultés familiales au bureau et les soucis d’affaires à la maison.

« C’est tellement entremêlé qu’on n’a pas le loisir de laisser traîner le moindre problème », affirme Gino-Sébastian Savard.

Toutefois, les trois jurent que les points négatifs sont loin derrière les positifs et se considèrent chanceux de vivre une telle situation. À un tel point qu’Ann-Rebecca Savard et Jean-Philippe Vézina ont senti le besoin de soutenir la relève.

AIDER LA RELÈVE

Jean-Philippe Vézina fait partie du conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière et enseigne à l’université, où il n’hésite pas à offrir du temps supplémentaire à ses étudiants. « Je suis chanceux, admet-il, c’est aussi pour ça que je veux m’impliquer, parce que je sais que tout le monde n’a pas cette chance. Et je veux aider les jeunes de la profession à se démarquer et à réussir. »

«  Je suis chanceux, c’est aussi pour ça que je veux m’impliquer, parce que je sais que tout le monde n’a pas cette chance. Et je veux aider les jeunes de la profession à se démarquer et à réussir.  »

Jean-Philippe Vézina

De son côté, Ann-Rebecca Savard est présidente de l’Association de la relève des services financiers (ARSF), anciennement la division de Montréal du Regroupement des Jeunes Courtiers du Québec (RJCQ). « Oui, j’ai eu de la facilité, car j’avais un mentor et beaucoup d’aide, mais je connais aussi les difficultés et les défis que rencontrent les jeunes conseillers. C’est motivant de savoir qu’on est là pour les aider et peut-être que ça va être plus facile pour eux que ça l’a été pour nous », conclut-elle.

Alizée Calza Alizee Calza

Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.