Éthique et fraude en conseil financier  2/2

Par Bernard Viau | 4 juillet 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture

Deux clients, des ingénieurs travaillant aux Émirats arabes unis, se sont fait volés par des courtiers en valeurs mobilières basés en Europe.  Ils sont tombés dans une stratégie de pump & dump en achetant des actions en Bourse. Ils n’ont pas été les seuls. Une nébuleuse de sociétés-écrans a protégé les fraudeurs de toutes les autorités policières. Tout s’est fait légalement dans chacun des neuf pays impliqués.

LES DERNIERS MOIS DE L’ENQUÊTE

Alors que je me trouvais en vacances, je rencontre un Européen sur une plage de Sosua en République dominicaine.  Il travaillait comme conseiller dans une banque en Suisse. Nous avons rapidement sympathisé en échangeant nos vues sur les marchés boursiers.

Lire : Éthique et fraude en conseil financier 1/2

Je lui parle de mon enquête sur Champion d’Or. Lorsque je mentionne le nom de la banque suisse, je le sens mal à l’aise. Il s’agissait de son ancien employeur !

En confiance avec moi, il me raconte sa version. Depuis quelques mois, il notait certains détails qui avaient éveillé sa curiosité sur un compte en particulier :  jamais de dépôt en argent, des transferts du Moyen-Orient et régulièrement des transferts vers le Bélize, le Liechtenstein, l’Île de Man et vers d’autres pays complaisants. Il en avait parlé à son supérieur, mais celui-ci n’avait pas jugé bon ou nécessaire de donner suite[1]. Deux semaines plus tard, une enveloppe de la poste arrivait chez lui. Elle contenait des photos de sa famille prises au téléobjectif.  Un message clair qu’il comprit très bien.

Un mois après cette rencontre de vacances, je reçus un appel d’Amsterdam. Mon interlocuteur était le directeur des ventes du nouveau cabinet financier de International Investment Advisors. Je lui avais laissé plusieurs messages dans les semaines précédentes. Ce dernier voulait connaître les raisons de mon intérêt pour son cabinet. Je lui donnai une réponse satisfaisante : j’étais conseiller et j’avais des clients intéressés par des investissements étrangers.

C’était vrai, mais je savais que cela ne le satisferait pas, car j’étais basé au Canada, un pays très surveillé par les autorités. J’ai donc étoffé mon histoire en mentionnant des clients rencontrés au Panama et au Costa Rica. C’était plus ou moins vrai, mais mon intérêt lui parut alors justifié et nous parlâmes pendant une quinzaine de minutes.  Ce retour d’appel inespéré me mit cependant assez mal à l’aise.

Au cours de la même période, mon employeur, le courtier pour lequel je travaillais se trouvait en difficulté financière. La compagnie avait émis des débentures convertibles quelques années auparavant, mais celles-ci se transigeaient autour de 45 sous par dollar, un feu rouge connu sur les marchés boursiers.

La rumeur de la rue était qu’il y avait un acheteur, mais rien n’était sûr et aucun initié ne parlait. Par précaution, deux de mes plus gros clients décidèrent de fermer leur compte pour quelques mois pour laisser passer la tempête. Mes revenus prirent une tendance inquiétante, je décidai donc de fermer définitivement mon dossier sur la fraude.

RÉFLEXIONS POST MORTEM

Les têtes dirigeantes de ce genre de fraude gagnent énormément d’argent et ces fraudeurs ont les moyens de se protéger autant légalement que physiquement. Monter un tel stratagème coûte très cher. Une estimation rapide des nombreux frais administratifs pour les divers bureaux arrive rapidement à quelques centaines de milliers de dollars. Mes clients ont perdu chacun entre 30,000 $ et 50,000 $.

Avec une centaine de clients, on arrive rapidement à des profits de plusieurs millions de dollars par année. Lorsque le capital sous gestion approche de l’objectif visé, on tire la chasse d’eau et on déclenche une faillite. Quelques mois plus tard, on ouvre de nouveaux bureaux dans un autre pays avec une nouvelle équipe. De l’Espagne, on passe au Portugal, aux Pays-Bas ou ailleurs.

Cette histoire résonnera en vous spécialement si vous travaillez en valeurs mobilières, car vos clients sont très différents de ceux en assurance ou en fonds de placements. Ils ont régulièrement de bons montants à investir et surtout, ils rêvent d’en gagner davantage. L’avidité pour le gain en argent fait souvent perdre la tête, surtout en valeurs mobilières.

Au cours de cette enquête, mon client (Michel) et ses confrères m’ont fait parvenir plus de 150 pages de documents et j’ai pris le temps de les analyser avec soin. Presque tous les documents clés, prospectus et lettres d’investissement, démontraient une connaissance approfondie des techniques de la neurolinguistique.

Jusqu’ici, il n’y a rien d’illégal, car la programmation neurolinguistique est employée par les gouvernements ainsi que par les entreprises pour gagner la confiance des gens, qu’ils soient des électeurs ou des consommateurs. Il est très facile de se faire avoir par ce genre de discours manipulateur frisant la propagande. Les mots utilisés sont sciemment choisis pour déclencher en vous les émotions qui vous pousseront à l’action. Ne surestimez pas vos capacités d’analyse. Je l’ai fait à quelques reprises et cela m’a coûté cher.

Si vous recevez des lettres d’investissement pour vos placements boursiers, analysez vos courriels en notant les points suivants :

  • une forte utilisation du visuel avec des graphiques du genre Facebook à ses débuts en Bourse,
  • des répétitions de phrases clés pour déclencher une décision rapide ou pour inspirer la crainte d’avoir perdu une opportunité de profits.

Une série précédente regroupait des articles sur le thème de, Gagner la confiance des clients. Cela est tout aussi important pour les fraudeurs que pour vous, mais ces chasseurs consacrent plus d’efforts sur deux points importants dans leur prospection.

1) Cibler avec soin leurs prospects. Ceux qu’ils recherchent ont entre 30 et 45 ans. Ce sont des professionnels bien payés qui disposent de ressources financières importantes avec un horaire et des obligations professionnelles qui leur laissent peu de temps pour s’occuper de leurs investissements.  Leurs victimes potentielles sont prêtes à prendre des risques calculés, mais surtout elles caressent et nourrissent un rêve, un objectif financier puissant : elles veulent gagner encore plus d’argent qu’elles n’en ont déjà. Mes clients remplissaient parfaitement toutes ces conditions.

2) Écrire le script parfait. Vous vous rappelez des deux émotions qui influencent la majorité de nos décisions ? «Fear and Greed », l’envie et la peur.

Le script utilisé par certaines lettres d’investissement est écrit avec beaucoup de psychologie et est fait pour hypnotiser et pour leurrer les clients. Le message doit cependant être rédigé selon des règles précises. J’ai déjà donné quelques pistes pour reconnaître ce style littéraire. Le visuel est essentiel, surtout les graphiques, car un lecteur saisit en quelques secondes l’essentiel du message alors qu’une vidéo oblige le lecteur à prendre 15 minutes de son temps pour arriver au même résultat.

QUE RETENIR DE TOUT CELA ?

Comme conseiller vous êtes un interlocuteur très important pour vos clients. Regardez autour de vous. De quoi parlent les gens ?  De santé et d’argent. Un conseiller est donc aussi important qu’un professionnel de la santé.

Lorsque vous parlez à des clients concernant leurs placements, vous savez comme moi qu’il est très facile de les orienter vers un produit financier plutôt qu’un autre. Pour alimenter vos réflexions sur l’honnêteté et la fraude, je vous conseillerais, si ce n’est déjà fait, d’étudier les techniques de la programmation neurolinguistique avec ces deux sites[2] . Pour tout ce qui concerne votre argent, ou l’argent de vos clients, la connaissance de la programmation neurolinguistique est votre meilleur canari, car il permet souvent de flairer une éventuelle fraude.

[1] À cette époque, un conseiller n’avait pas le devoir d’informer les autorités s’il pensait avoir connaissance d’une transaction louche.  On consultait son supérieur et cela suffisait généralement.

[2] En anglais ou un site français