Éthique, intelligence artificielle et conseil financier (partie 3)

Par Bernard Viau | 16 janvier 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture

Cet article est le dernier d’une série sur l’éthique et l’avenir de la profession de conseiller. Comment se préparer au défi que nous apporte l’intelligence artificielle (IA) ? Comment conseiller nos clients en fonction de ce nous savons maintenant de cette dernière.

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET NOTRE PROFESSION

Dans le domaine financier, l’IA est d’abord pour les institutions financières et pour la Bourse. L’IA n’est pas pour le grand public sauf pour les petits robots maison et pour les jeux en ligne. J’ai d’ailleurs récemment abandonné un jeu en ligne que j’aimais, car il était devenu impossible d’y jouer à cause des bots : des avatars automatisés qui inondaient le jeu et le rendaient injouable pour des humains. L’IA est très difficile à contrôler, c’est un fait.

Et nous ? Quelles sont les applications intelligentes disponibles pour nous, les conseillers  ?

L’objectif premier pour les institutions financières est de faire en sorte que leurs conseillers puissent servir plus de clients, plus rapidement et plus efficacement. L’IA pour les institutions financières a, pour seul objectif, le profit à court terme. À mon avis, c’est un problème d’éthique pour leurs actionnaires, mais aussi pour nous, leurs conseillers.

Je suis actionnaire de quelques compagnies en bourse, dont une banque que je ne nommerai évidemment pas. Ce que je veux avec mon investissement c’est de la croissance à long terme. Je veux m’investir dans une compagnie qui cultive un achalandage très important et ça, c’est le travail des conseillers de la banque, pas celui de leur conseil d’administration comme je l’ai souligné dans un article récent.

L’autre application intelligente, pour nous les conseillers, c’est le CRM. Mon système de gestion personnel pour clients devra pouvoir me trouver les événements clés de la vie dans ma liste de clients.  J’imagine très bien un monde dans lequel, lorsque je parle au téléphone avec un client, mon appel soit enregistré, analysé et commenté par l’IA en temps réel pour me soutenir dans ma conversation. Cela est programmable et certaines compagnies travaillent d’ailleurs sur ce point précis.

En sécurité financière, l’IA doit agir comme un accélérateur de la relation client-conseiller, mais elle ne peut rien faire en ce qui a trait à la confiance d’un client. Gagner la confiance d’un usager est une opération très difficile à programmer en informatique, car cela touche ce qu’on appelle le point de singularité : la ressemblance à l’être humain. C’est d’ailleurs cette habileté à répondre à l’inconnu qui rend un être humain supérieur à l’IA.

Une application de l’IA n’aurait jamais tenté de poser un avion en détresse sur la rivière Hudson aux États-Unis ou fait planer un avion de Transat en panne de carburant vers les Açores, deux cas très médiatisés aux actualités des dernières années.  De telles décisions n’auraient pas été logiques et programmables.   

RELEVER LE DÉFI QUE POSE L’IA POUR UN CONSEILLER

J’ai eu beaucoup de clients dans ma carrière, en valeurs mobilières et en sécurité financière. J’ai gardé quelques rares clients et voici ce que je leur conseille aujourd’hui.

Pour ce qui touche à l’assurance, je n’en offre plus bien sûr, mais je leur en parle, car c’est une nécessité qu’il faut parfois expliquer à certains clients réticents ou insouciants comme : les clients fortunés, ceux de la génération Y et Z, les clients méfiants, les clients peu fortunés, etc.

Pour ce qui est des placements, je leur dis qu’il faudra oublier le court terme. À cause de l’IA, il est devenu très difficile d’investir à court terme avec profit, il faudrait plutôt viser le moyen et le long terme.  En valeurs mobilières, l’analyse fondamentale prendra maintenant beaucoup plus d’importance qu’il y a quelques années et il faudra garder un horizon de placement d’au moins un an. Pour le trader algorithmique, seul importe l’analyse technique et le profit à court terme, par tous les moyens. Le support émotif de vos clients est plus important que jamais depuis l’arrivée de l’IA sur les parquets de Bourse. L’IA est excellente pour aider avec nos placements, mais elle ne vise et ne contrôle que le court terme. Parlez de cela avec vos clients et insistez sur le long terme : cinq ou dix ans.

  • Revenons dans le temps. Si j’étais un conseiller junior, voici où je mettrais mes efforts pour le futur :j’orienterais mes lectures sur la psychologie des relations humaines, de la vente et aussi sur la prospection avec l’IA comme allié ;je prendrais en main ma propre formation continue, j’organiserais mon horaire pour devenir un planificateur financier reconnu par l’Institut québécois de planification financière (IQPF) et je me tiendrais au courant de la fiscalité, pour moi et pour mes clients ;je m’efforcerais d’améliorer mes bases en informatique, surtout concernant le logiciel par excellence d’un conseiller, le chiffrier (Excel est le plus courant) et sur tout ce qui touche à la  sécurité informatique ;j’investirais dans des placements verts, ceux qu’on dit responsables ;
  • je ferais mes propres placements en utilisant des logiciels de trading[1] (en passant, louez-les, ne les achetez pas, car ils sont en constante évolution, tout comme l’IA).

Mettez-y du tigre, ayez un but noble. Si la dernière expression vous paraît philosophique, voire déplacée ou hors contexte pour la profession, vous faites erreur. Des études ont démontré que les conseillers qui avaient un « but noble » avec leurs clients ont réalisé des ventes de loin supérieures à ceux qui ne cherchaient qu’à remplir ou dépasser les quotas de vente de la compagnie. L’éthique en finance est beaucoup plus payante que vous pourriez penser[2]. C’est aussi un fait que l’IA ne peut pas avoir un but noble pour la bonne raison que celui-ci n’est pas programmable. Cela demande plus que de l’intelligence, il faut plus que comprendre le langage naturel, il faut l’interpréter.

Vous rappelez-vous de votre première entrevue en carrière ? La question qu’on nous pose à tous est toujours la même avec tous les employeurs : « combien d’argent voulez-vous gagner avec votre travail de conseiller ?  Visez-vous à gagner 60, 100, 300 ou 900 000 dollars par année ? »

La profession de conseiller permet de bien gagner sa vie, c’est un fait, mais si vous viser des millions, il serait peut-être préférable de changer de carrière. Devenez entrepreneur, financier ou spéculateur.

Revenons à l’éthique. Une fois que vous aurez réfléchi à votre objectif financier personnel, aidez vos clients à en faire autant. Ce serait mon but noble si je revenais en tant que conseiller junior dans un cabinet financier.

Cet article sera ma dernière contribution régulière avec la revue web Conseiller. Dans les derniers sept ans, j’ai écrit sur les sujets que je considérais être les plus importants pour la profession. Merci des commentaires que vous m’avez envoyés au cours de ces années.

LIRE AUSSI

Éthique, intelligence artificielle et conseil financier (partie 1)

Éthique, intelligence artificielle et conseil financier (partie 2)

[1] Voici une liste de logiciels de trading

[2] Explorez ce site pour un but noble

Bernard Viau