L’éthique et la fraude en assurance

Par Bernard Viau | 22 août 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture

En assurance, un conseiller rencontre moins d’opportunités de fraudes qu’en placement.  La différence s’explique par la clientèle, car si tout le monde a besoin d’assurance, tous n’ont pas assez d’argent pour investir.  De plus, il faut distinguer la fraude qui est punissable par la loi de la simple faute déontologique, souvent le fruit d’une incompétence.

La majorité des conseillers que j’ai côtoyés en assurance étaient des gens honnêtes. Avec les assurances les fraudes ne sont pas aussi évidentes qu’en placement. Il n’y a souvent aucun argent volé au client. Voici quelques cas vécus avec mes clients.

Lire : Éthique et fraude en conseil financier 1/2

Ma cliente était une femme d’une quarantaine d’années, professionnelle, sans enfants et vivant seule.  Une anxieuse de nature. Elle voulait une assurance invalidité, mais elle avait déjà une assurance maladie et une assurance collective. Pas question de remplacement d’assurance, elle voulait un nouveau contrat. Son assurance existante ne couvrait pas toutes les maladies et ne lui donnerait pas de prestations très longtemps en cas de besoin. Elle avait de très bons arguments à me présenter, mais je sentais bien que c’était surtout son anxiété naturelle qui l’inspirait.

J’aurais facilement pu lui faire signer une nouvelle proposition d’assurance, mais j’ai plutôt décidé de lui expliquer en détail ce qui se passerait avec ses contrats et pourquoi, à mon avis, elle n’en avait pas besoin d’un nouveau. Plusieurs lecteurs ou d’anciens confrères diront carrément que j’ai été un imbécile. Tu n’aurais pas profité d’elle, tu aurais simplement répondu à sa demande. Mais c’était pour moi une question de déontologie.

Vous savez comme moi que l’assurance invalidité est le produit le plus complexe à vendre en assurance. Il faut tenir compte de plusieurs facteurs : la définition d’emploi propre, celle d’une invalidité totale et partielle ainsi que des prestations venant d’autres sources et contrats. Je connaissais bien cette cliente et ses protections étaient largement suffisantes. Je lui ai laissé le choix, mais je l’ai convaincue. Qu’auriez-vous fait à ma place ?[1]

Clarifions les termes. La conformité s’appuie sur des lois et des règlements qu’on doit respecter sous peine d’amendes. La déontologie va plus loin dans la réflexion philosophique, car elle touche à des règles morales[2]. L’éthique va plus loin, car elle s’intéresse aux valeurs morales comme la justice. Je resterai ici dans le strictly business, comme disent les Anglais. En sécurité financière, la frontière de l’éthique n’est parfois pas très nette. Lisez les avis disciplinaires de la Chambre de la sécurité financière (CSF)[3] pour votre réflexion sur les fautes déontologiques.

Je me rappelle une autre cliente, sur l’aide sociale cette fois, et à qui un conseiller avait déjà vendu une assurance invalidité il y avait quelques mois. Cette cliente avait également souscrit à une assurance contre le cancer, gracieuseté d’un vendeur d’assurance itinérant. Je l’avais rencontrée pour parler d’assurance pour sa fille, mais j’ai ensuite profité de l’occasion pour lui expliquer que d’éventuelles prestations de ces contrats d’assurance invalidité seraient considérées, pour l’aide sociale, comme étant des revenus[4], un détail que j’avais appris d’un fonctionnaire du ministère. En clair, elle gaspillait de l’argent, car ces assurances étaient complètement inutiles tant qu’elle demeurait sur l’aide sociale. Lui vendre une assurance maladie était-il une faute sur le plan déontologique?

LA SOURCE DES FAUTES ET DES FRAUDES

Une fraude n’apparaît pas sans raison. Comme conseiller en sécurité financière, on reçoit des commissions sur les primes payées par nos clients. La source du problème se trouve dans les seuils de calcul pour les commissions.

Combien de ventes doit-on faire par trimestre ? Quel est le montant minimum qu’une prime doit avoir pour être comptabilisée par l’assureur pour nos bonus trimestriels et annuels ?

« 20 ventes par trimestre et ton pourcentage de commission passe à 5 %. Une prime de moins de 25 $ ne compte pas dans le total des ventes du trimestre. 75 ventes par année et le bonus monte de 1 %. »

Les chiffres varient selon les assureurs et vous connaissez ceux qui s’appliquent à vous.

De tels incitatifs à la vente ont fait leurs preuves dans toutes les entreprises, mais dans notre réflexion sur l’éthique la stratégie doit être questionnée, car elle fournit la raison d’être d’une fraude. Pour atteindre le chiffre de ventes magique, chaque conseiller cherchera des trucs. Lesquels ? On pourrait présenter des propositions fantômes, des poteaux en jargon du métier.[5] On peut frauder un client, mais on peut aussi frauder l’institution financière. Si vous travaillez dans le courtage, vous savez que certains assureurs offrent une rémunération plus avantageuse que d’autres. Que faut-il alors regarder ? Le produit d’assurance, le service de réclamation ou nos commissions ? La limite est floue, car la déontologie l’est également.

Sous pression, un conseiller pourra proposer le remplacement d’un vieux contrat d’assurance par un contrat, disons, plus avantageux pour son client. Il pourrait suggérer de petits avenants aux propositions d’assurance. Faire gonfler une prime mensuelle de 2 ou 3 $ suffit généralement pour que la vente soit comptabilisée dans les ventes du trimestre et pour les bonus de fin d’année.  Ces cas sont discutables, j’en conviens. Par contre, si on invente des clients fictifs ou si on modifie les informations du client pour le rendre plus acceptable en tarification, alors oui, c’est clairement une fraude.

C’est la structure dans l’échelle des commissions payées qui met de la pression sur les conseillers, surtout à la fin d’un trimestre.  Cette structure fonctionne comme un quota de production et elle s’apparente alors à des contrats d’option. Vous avez, comme moi, déjà ressenti ce besoin impérieux de faire des ventes en fin de trimestre. Avec les options en Bourse, les expirations sont à chaque troisième vendredi du mois.

Ne vous sentez pas coupables, de tels trucs existent dans toutes les professions. Voici un exemple qui vous surprendra probablement. Certains étudiants apprennent par cœur le montant versé par la RAMQ pour chacun des examens et analyses en laboratoire. C’est un fait connu dans toutes les facultés de médecine.  Les écarts déontologiques existent partout et aucun professionnel n’y échappe.  Pour les fraudes, le règlement de la CSF est clair, mais pour les fautes déontologiques, c’est à chaque conseiller de s’interroger.

CONSÉQUENCE PRATIQUE

Il est primordial pour les assureurs de repenser la rémunération des conseillers. L’article suivant donne une piste de solution.

En tant que conseiller en sécurité financière il nous arrive également de toucher aux placements.  Nous y sommes d’ailleurs fortement encouragés par nos supérieurs. Lorsqu’on aborde les sujets du REER ou du CELI avec nos clients, nous agissons cette fois comme conseiller en investissements.  Ce domaine est très différent et les entorses à la déontologie sont plus courantes. Ce sera le sujet d’un prochain article.

[1]   Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un appel d’une amie de ma cliente qui voulait me parler de ses assurances.

[2]   En France, le site https://deontofi.com/c/deonto/regulation/ offre plusieurs articles sur la déontologie en finance.

[3]   Voir https://www.chambresf.com/fr/protection-public/deontologie-discipline/decisions-disciplinaires

[4]   L’aide sociale base ses calculs de prestations non sur les revenus financiers, mais sur les ressources financières. Un billet de loterie est une ressource financière, tout comme un héritage ou une prestation d’assurance maladie privée.

[5]   Un poteau est une proposition d’assurance que le client, réel ou fictif, annulera après 30 jours. L’annulation affectera le nombre de ventes annuelles du conseiller, mais les commissions pour les ventes du trimestre auront déjà été versées.