À la croisée des chemins

Par Gérard Bérubé | 23 septembre 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le film La Matrice, vous connaissez? Et l’expression « Mon père est plus fort que le tien »?

Que nous le sachions ou non, que nous le voulions ou non, chaque membre de notre profession est intimement lié par une relation d’interdépendance à l’ensemble des acteurs de notre industrie. Ajoutez nos adjointes, la Chambre de la Sécurité Financière, l’Autorité des Marchés Financiers ainsi que le public dans l’équation et vous obtenez la « Matrice ».

Il y a aujourd’hui deux groupes de conseillers en sécurité financière : ceux qui, comme moi, ont commencé à pratiquer AVANT la création des organismes de réglementation et ceux qui ont commencé à pratiquer APRÈS. Pendant des années, le premier groupe devait utiliser un code d’éthique et de déontologie propre à chacun, basé sur ses valeurs personnelles. Les conseillers du deuxième groupe, quant à eux, n’ont pas eu à l’inventer, car il existait déjà et son application était obligatoire avant même qu’ils ne commencent à exercer.

Vous est-il déjà arrivé d’inventer quelque chose et de vous faire dire par quelqu’un d’autre que votre invention n’était pas valable? Les « vieux de la vieille », comme on les appelle affectueusement ou irrespectueusement, selon le cas, ont eu à gérer cette émotion et pour certains d’entre eux, elle est toujours présente et les fait souffrir.

Ils ne croient pas nécessairement que les codes d’éthique et de déontologie imposés par les organismes de réglementation ne sont pas bons. Ils les trouvent simplement différents de ceux qu’ils se sont imposés eux-mêmes pendant des années. Voilà leur principale source de frustration.

À la lumière de ces précisions, nous pouvons facilement concevoir qu’une intolérance pourrait s’être installée entre les deux groupes. Pourquoi pas de la discrimination, tant qu’à y être? S’il vous reste un doute quant à la capacité d’un groupe d’êtres humains d’exclure des membres d’un autre groupe, allez visionner la leçon de discrimination qu’une enseignante de Saint-Valérien-de-Milton a donnée à sa classe du primaire et gardez votre boîte de mouchoirs à portée de main.

Le changement n’existe que pour celui qui le constate. Pour les autres, rien n’a changé. J’ai longtemps cru que m’imposer moi-même mes limites éthiques et déontologiques était une forme de liberté. Considérant que mes valeurs étaient humaines, je ne ressentais pas le besoin de m’en faire imposer par d’autres.

J’ai envie aujourd’hui de passer aux aveux et de vous faire une confidence… Il y a plusieurs années, j’ai voulu résister au changement et je n’arrêtais pas de râler contre les règles farfelues et contradictoires qui se succédaient à un rythme qui semblait incontrôlé.

Avec le temps et grâce à l’acquisition d’un peu de sagesse, j’ai réussi à me convaincre que ce que je percevais comme du changement n’en était pas vraiment.

L’imposition de limites par un régulateur ne m’a pas ajouté de barrières, j’en avais déjà installé moi-même. Je n’étais pas plus libre avant, une barrière est une barrière, après tout, peu importe qui l’a mise en place.

Comme un veau qui sort de l’étable au printemps avec la soif de liberté, j’ai couru dans tous les sens pour connaître les limites de mon territoire. Maintenant que je les connais, je le trouve suffisamment grand pour m’épanouir.

De plus, j’ai désormais l’avantage de ne plus avoir à juger si mon code d’éthique est meilleur ou moins bon que celui de mon collègue, puisque nous devons tous utiliser le même. Une source de conflit de moins qu’auparavant…

Aux jeunes qui embrassent aujourd’hui cette merveilleuse profession, je vous souhaite bon succès et vous suggère une approche tolérante face aux « vieux de la vieille », qui ont de la difficulté à s’adapter à tout ce qui leur apparaît comme du changement.

Quant à vous, les vieux de la vieille, pourquoi ne pas vous inspirer de cette jeunesse qui n’est peut-être, dans les faits, rien d’autre que votre reflet dans le miroir ou une photo de votre passé…

En tant que conseillers, nous avons la responsabilité d’une toute petite pièce de la Matrice. Bien qu’elle ne soit pas totalement dépendante de chacun d’entre nous individuellement, nous sommes tout de même collectivement responsables des limites de sa résistance.

Au cours de mes trente années de carrière, il n’y a pas eu de plus belle opportunité que maintenant pour faire prendre de la valeur à ma profession. Plus que jamais, l’heure est à la mobilisation, à la conciliation et au dialogue. Pas à la chicane et au déchirement.

Est-ce que ton père est plus fort que le mien? Honnêtement, on s’en fout éperdument…

Gérard Bérubé