Choisir entre le salaire et les dividendes

Par Funda Dilaver | 24 mars 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Nous sommes souvent approchés par les actionnaires des petites entreprises concernant ce sujet brûlant : la décision entre salaire ou dividendes. Comme vous le savez, notre système d’imposition est basé sur l’intégration. Dans un monde idéal, un actionnaire est supposé gagner le même revenu après impôt, soit en gagnant un revenu de dividendes, soit un salaire. J’utilise expressément le terme « dans un monde idéal » parce que l’intégration ne fonctionne plus depuis 2017.

Avant 2017, on privilégiait peut-être les dividendes, mais on se dirige depuis de plus en plus vers le salaire.

QU’EST-CE QUI A CHANGÉ?

Premièrement, les critères d’admissibilité à la déduction pour petite entreprise (DPE) ont été modifiés au Québec après le 31 décembre 2016. Ainsi, si une société présente un nombre d’heures rémunérées des employés égal ou supérieur à 5 500, elle aura droit à la DPE. Celle-ci permet aux premiers 500 000 $ de revenus d’entreprise exploitée activement d’être imposés à un taux réduit.

La DPE est diminuée de façon linéaire lorsque le nombre d’heures rémunérées est inférieur à 5 500, mais supérieur à 5 000. Selon Revenu Québec, cette mesure vise à éviter qu’une société perde la totalité de sa DPE en raison d’un écart minime avec le nombre d’heures requis. Si le nombre d’heures est inférieur à 5 000, elle sera perdue.

En 2016, le taux d’imposition combiné (fédéral et provincial) d’une petite entreprise activement exploitée était de 18,5 %, peu importe les heures rémunérées. Le taux d’imposition maximum du dividende ordinaire était de 43,84 %. En 2017, après les modifications à l’accès à la DPE, le taux d’imposition combiné d’une petite entreprise était encore de 18,5 %, mais on avait maintenant un nouveau taux de 22,3 % pour la société qui avait accès à la DPE au fédéral, mais pas au Québec.

De plus, le gouvernement provincial a baissé le taux d’imposition des petites entreprises depuis 2018. Bien évidemment, pour en arriver à une quasi intégration lorsque la facture fiscale de la société diminue, il faut augmenter celle des dividendes. C’est pourquoi le Québec a diminué l’accès au crédit d’impôt pour dividendes. Rappelons-nous les taux :

Taux/Année 2017 2018 2019 2020 2021
Avec DPE 18,50 % 17,00 % 15,00 % 14,00 % 13,00 %
Sans 5 500 heures 22,30 % 21,70 % 20,60 % 20,50 % 20,50 %
Dividende ordinaire 43,84 % 44,83 % 46,25 % 47,14 % 48,02 %
Crédit d’impôt pour dividendes 17,08 % 16,31 % 14,58 % 13,80 % 13,04 %

En troisième lieu, le gouvernement fédéral a annoncé en 2017 des changements législatifs concernant le revenu passif réalisé dans les sociétés privées activement exploitées et a modifié la loi en juin 2018. À partir de l’année d’imposition 2019, si le revenu passif gagné dans une année fiscale dépasse le seuil de 50 000 $, il réduira la limite de DPE pour l’année fiscale subséquente.

Ainsi, un dollar de revenu passif qui dépasse le seuil de 50 000 $ va réduire de cinq dollars la DPE. Par conséquent, une société ayant un revenu actif net de 500 000 $ perdra son accès au taux réduit si son revenu de placement passif est de 150 000 $. En 2020, son revenu actif sera imposé au taux général de 26,50 %, soit 12,50 % de plus! Dans ce cas, il sera plus avantageux de déclarer un salaire pour réduire le revenu net de la société.

Enfin, il faut considérer la limitation du fractionnement de revenu entre les membres de la famille. Verser un dividende à son conjoint ou à son enfant est permis sous certaines conditions depuis 2018. Autrement, le dividende sera imposé au taux marginal maximum.

QUELQUES EXEMPLES

Supposons qu’une société gagne 500 000 $ de revenu en 2019, 2020 et 2021. Examinons pour chaque année l’impôt total à payer dans le cas d’un dividende ou d’un salaire. Nous assumons que le contribuable est assujetti au taux d’imposition marginal maximum.

Année 2019 2018 2019
Dividende Salaire Dividende Salaire Dividende Salaire
Revenu net de société 500 000 $ 0 500 000 $ 0 500 000 $ 0
Impôt de société 75 000 $ 0 70 000 $ 0 65 000 $ 0
Dividende / salaire versé 425 000 $ 500 000 $ 430 000 $ 500 000 $ 435 000 $ 500 000 $
Impôt personnel 196 562,50 $ 266 550 $ 202 702 $ 266 550 $ 208 887 $ 266 550 $
Revenu net 228 437,50 $ 233 450 $ 227 298 $ 233 450 $ 226 113 $ 233 450 $
Impôt total 271 562,50 $ 266 550 $ 272 702 $ 266 550 $ 273 887 $ 266 550 $

Il s’agit d’un exemple de calcul mathématique pur. Si la société gagne un revenu qui est imposé à un taux plus haut que celui de la petite entreprise, la réponse à la question salaire/dividendes devient encore plus évidente.

D’AUTRES CONSIDÉRATIONS

Il faut aussi prendre en considération les cotisations à faire si l’on choisit le salaire, telles que celles au Fonds des services de santé (1,65 % minimum pour une PME dans un milieu autre que les secteurs primaire et manufacturier), au Régime de rentes du Québec (11,8 %, maximum 6 292,80 $), et au Régime québécois d’assurance parentale (689,23 $)1.

La décision devrait notamment se baser sur les avantages d’avoir une rente à la retraite, la cotisation au REER, la possibilité de créer un régime de retraite individuel (RRI) et d’avoir un compte de dividende en capital et la présence d’impôt en main remboursable au titre de dividendes en société. L’objectif est de couvrir le coût de vie avec une optimisation fiscale.

Il est certain que le choix des dividendes est plus facile à gérer, car il n’y a pas de retenue à la source. De plus, les placements dans la société ne font pas partie du patrimoine familial; lors d’un divorce, votre client devra toutefois partager son REER, son RRI ainsi que la rente du RRQ.

À la lumière de tous ces changements aux taux d’imposition des sociétés et des particuliers, ainsi qu’aux règles sur le revenu passif, il apparaît évident que le choix du salaire gagne de plus en plus de terrain depuis 2018.

1 Pour l’année 2020.

Funda Dilaver

Titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires, Funda Dilaver a également complété des études supérieures en commerce international et en comptabilité à l’Université McGill ainsi qu’en fiscalité à l’Université de Sherbrooke. Elle a obtenu le certificat de réussite du cours fondamental d’impôt de CPA Canada. Spécialisée en planification fiscale, successorale et de la relève, en gestion du patrimoine des particuliers à valeur nette élevée et de propriétaires de petites entreprises, Funda Dilaver possède aussi une connaissance approfondie des questions fiscales internationales.