M’aimeras-tu toujours demain?

Par Funda Dilaver | 27 avril 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
9 minutes de lecture
Couple, dos à dos, tenant chacun un bout de coeur rouge brisé.
Vadim Guzhva / 123RF

J’aime les vieilles chansons. Celle-ci, Will You Still Love Me Tomorrow, tourne en boucle dans ma tête depuis le moment où j’ai été invitée comme conférencière pour une présentation en l’honneur de la Journée internationale des femmes. Cette chanson résonne beaucoup en moi, particulièrement en cette ère de relations à courte vie.

Soit les couples prennent fin parce qu’ils ne s’aiment plus, comme dans la chanson, soit le confinement à la maison a mené à la mort subite de la relation… Peu importe la raison de la rupture, j’aimerais partager avec vous quelques conseils en cas de divorce ou de séparation.

La décision de se rendre jusqu’au divorce ou la séparation a de grandes répercussions sur les finances.

La planification fiscale joue un rôle essentiel dans la gestion du patrimoine. Si l’on paie moins d’impôt, on a plus d’argent disponible pour un usage personnel. La Loi de l’impôt sur le revenu peut être difficile à comprendre pour la plupart des avocats, des comptables et des fiscalistes… sans parler du Canadien moyen. Et tout cela peut devenir encore plus compliqué lorsque les règles du droit de la famille sont en cause.

La décision de se marier, de divorcer ou de vivre en union de fait, par exemple, peut avoir un effet énorme sur la planification fiscale et la gestion du patrimoine. Dans la société actuelle, l’âge moyen des hommes et des femmes qui unissent leurs destinées a augmenté progressivement. Cela indique probablement que les individus sont plus établis dans leur carrière et ont eu la possibilité d’acquérir des actifs de valeur avant leur mariage.

Pour certains, la protection de ces acquis peut être très importante, et les règles du droit de la famille et de l’impôt sur le revenu peuvent nous montrer comment procéder en tel cas. Avec la structure familiale en constante évolution, il est important de considérer l’effet des règles du droit de la famille sur la fiscalité et les façons dont les individus peuvent protéger leurs intérêts à n’importe quelle étape du cycle de vie d’un couple.

L’UNION DE FAIT

En premier lieu, tournons-nous vers l’union de fait, cette relation permettant à des personnes non mariées de vivre ensemble dans une relation de « mariage ». Le fait qu’un couple soit considéré comme « en union de fait » ou pas dépend des lois qui s’appliquent à sa situation.

Par exemple, pour être considéré en union de fait en vertu du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, une personne doit vivre avec son partenaire pendant un an. Cependant, aux fins du Régime de rentes du Québec, une personne peut être reconnue comme conjointe ou conjoint survivant si elle a fait vie commune avec la personne décédée durant les trois années précédant le décès.

Si un enfant est né ou doit naître de cette union, si le couple a adopté un enfant ou si l’un des conjoints a adopté un enfant de l’autre, une seule année de vie commune suffit. Pour les décès survenus à partir du 4 avril 1985, les conjoints de fait de même sexe peuvent également faire une demande de rente de conjoint survivant.

Pour la Loi de l’impôt sur le revenu, un conjoint de fait est une personne avec laquelle on n’est pas légalement marié, avec qui on vit en relation conjugale et avec qui au moins une des situations suivantes s’applique :

  • Il ou elle vit avec l’autre dans une relation conjugale depuis au moins 12 mois consécutifs;
  • Il ou elle est le parent de l’enfant de l’autre à la naissance ou à l’adoption;
  • Il ou elle a la garde et le contrôle de l’enfant et l’enfant dépend entièrement de cette personne pour son soutien.

Il est aussi primordial de mentionner qu’au Québec, les conjoints de fait ne bénéficient pas de certaines protections réservées aux couples mariés, notamment en cas de séparation ou de décès. Ainsi, le conjoint de fait :

  • N’a pas droit à la résidence familiale si seul l’autre conjoint en est propriétaire ou locataire;
  • N’a pas droit au partage des biens en cas de séparation;
  • N’a pas droit à une « prestation compensatoire » pour le travail réalisé pendant l’union de fait au profit de son conjoint;
  • Ne peut pas demander une pension alimentaire pour lui-même en cas de séparation;
  • N’hérite pas en cas du décès de son conjoint si ce dernier n’a pas fait de testament ou ne l’a pas désigné comme héritier dans son testament.

Son seul recours est de mettre en place un contrat de vie commune avant que la relation tourne au vinaigre.

Les conjoints de fait qui se séparent peuvent demander le partage de leurs revenus de travail inscrits au Régime de rentes du Québec pendant la période de leur union. Ce processus n’est pas automatique; les conjoints doivent en faire chacun la demande. Rappelons qu’il faut vivre au moins trois ans ensemble pour être reconnu conjoints de fait si aucun enfant ne naît de l’union.

Veuillez noter que, à l’exception du Québec, presque toutes les juridictions canadiennes prévoient que les conjoints de fait peuvent demander une pension alimentaire si certaines conditions sont remplies.

LA BAGUE AU DOIGT

Le régime matrimonial par défaut au Québec est la société d’acquêts si l’on s’est marié après le 1er juillet 1970 et que l’on n’a pas de contrat de mariage. Attention : peu importe le régime matrimonial, la loi dicte que le patrimoine familial a préséance sur le partage de certains biens des époux, sans égard à celui des deux qui détient un droit de propriété sur ceux-ci. Donc, les règles qui régissent le patrimoine familial sont automatiques et applicables à tous les couples mariés ou unis civilement.

Le patrimoine familial est constitué des biens suivants : les résidences possédées, les meubles qui les garnissent, les véhicules utilisés pour le déplacement de la famille et les droits accumulés durant le mariage destinés à un régime de retraite.

Les héritages et donations reçus avant ou pendant le mariage sont exclus du patrimoine familial. Il faut donc bien faire attention de ne pas mêler ces sommes avec le patrimoine familial, par exemple éviter d’utiliser l’argent hérité pour acheter la maison!

DIVISION DES BIENS

Maintenant, regardons certaines règles fiscales qui concernent le partage des avoirs des couples séparés ou divorcés.

1- Roulement entre les conjoints : la Loi de l’impôt sur le revenu permet de faire un roulement entre les conjoints sans incidence fiscale immédiate sous réserve de certaines conditions. Attention! Lorsque le transfert de biens a lieu à un moment où les parties ne sont plus des époux ou des conjoints de fait, il doit être effectué conformément à l’ordonnance ou l’accord de divorce.

2- L’exemption pour résidence principale : les conjoints ont deux choix pour faire le transfert du titre de la maison à la personne qui la conservera : soit le roulement entre conjoints au coût de la propriété, soit un transfert imposable à sa juste valeur marchande en utilisant l’exemption pour résidence principale.

Dans l’arrêt Balanko c. La Reine, la succession de la défunte Mme Balanko interjette appel à l’encontre d’une cotisation d’impôt sur le revenu établie pour l’année 2003, en date du 8 avril 2013, afin d’être autorisée à désigner à titre de résidence principale l’ancien bien de Mme Balanko à Whistler, en Colombie-Britannique.

Mme Balanko et son époux se sont séparés en 1983. Celle-ci a transféré la propriété de Whistler au Dr Balanko en 1991, moyennant la somme d’un dollar. En 2003, le Dr Balanko vend la propriété.

L’Agence du revenu du Canada a calculé un gain en capital de 243 009 $, attribué à Mme Balanko.

La succession de Mme Balanko n’était pas en mesure de fournir un accord écrit de séparation de biens. En rendant sa décision, le juge Rip a déclaré que « l’absence d’un accord écrit de séparation requis par la loi est une omission plus grave que le manque de reçus pour prouver une dépense ».

La décision Balanko rappelle ainsi les exigences strictes de l’article 54 de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’absence de pouvoir discrétionnaire de la Cour. Celle-ci ne peut ignorer les situations dans lesquelles un contribuable n’a pas satisfait à une ou plusieurs des exigences législatives claires de la disposition.

3- Transferts des régimes de retraite enregistrés (REER, FERR, RPAC, RPD) : dans tous les cas, le rentier a droit à ces montants s’il existe une ordonnance, un jugement d’un tribunal ou un accord écrit de séparation visant à partager des biens entre le rentier et son époux, ex-époux, conjoint de fait ou ancien conjoint de fait en règlement des droits découlant de la rupture de leur union.

Ils doivent vivre séparément au moment du transfert. Il est important de noter que lorsqu’on conclut une entente de séparation, il est nécessaire de prévoir le coût d’impôt futur pour le cessionnaire.

4- Transferts d’une police d’assurance vie ou une rente : la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit des dispositions d’allègement lorsqu’une police d’assurance vie est transférée dans le cadre du règlement des droits à la suite de la rupture d’un mariage ou d’une union de fait. Pour que le transfert de la police d’assurance vie soit réalisable au coût d’achat, les conditions suivantes doivent être remplies :

  • le cessionnaire doit être un époux, conjoint de fait ou ancien époux ou conjoint de fait. Lorsqu’il s’agit d’un ancien époux ou conjoint de fait, le transfert doit être effectué en règlement de droits à la suite de la rupture du mariage ou de l’union de fait;
  • le cessionnaire et le cédant doivent être résidents du Canada aux fins de l’impôt sur le revenu au moment du transfert.

5- Règles d’attribution : même si les dispositions de roulement s’appliquent à un transfert entre conjoints, l’auteur du transfert peut encore être assujetti aux articles de loi concernant l’attribution du revenu et des gains en capital sur les biens en immobilisation transférés. Notez que les règles d’attribution cessent de s’appliquer après le divorce ou la séparation de corps.

Dans le cas où les conjoints sont les actionnaires d’une société privée, la division des biens de la société devient très compliquée. Sachez que si seul l’un des époux est actionnaire, une telle division n’est pas nécessaire au Québec. Le voile de la personne morale n’a pas besoin d’être levé.

Les règles et les choix relatifs à la division des biens dans une société privée par actions sont complexes et nécessitent un travail minutieux et ardu. Si on doit diviser les actions ou les biens dans une société privée, voici les différentes possibilités :

  • Transfert des actions (attention aux règles anti-évitement)
  • Rachat des actions
  • Restructuration par scission

Les divisions de biens matrimoniaux, qu’elles soient de routine ou complexes, peuvent être effectuées de différentes façons. Un fiscaliste devrait examiner attentivement les conséquences des diverses méthodes avec le client et son avocat en droit de la famille. Pour maximiser l’efficacité fiscale globale, une approche collaborative par toutes les parties intéressées sera souvent nécessaire.

Funda Dilaver

Titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires, Funda Dilaver a également complété des études supérieures en commerce international et en comptabilité à l’Université McGill ainsi qu’en fiscalité à l’Université de Sherbrooke. Elle a obtenu le certificat de réussite du cours fondamental d’impôt de CPA Canada. Spécialisée en planification fiscale, successorale et de la relève, en gestion du patrimoine des particuliers à valeur nette élevée et de propriétaires de petites entreprises, Funda Dilaver possède aussi une connaissance approfondie des questions fiscales internationales.