Réforme fiscale fédérale : quelles conséquences au Québec?

Par Funda Dilaver | 10 juin 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123RF

La réforme fiscale du gouvernement fédéral a fait couler beaucoup d’encre, notamment pour les changements apportés aux règles d’imposition du revenu passif dans les sociétés privées. Mais ni nos clients ni leurs comptables ont encore ressenti les répercussions de ces nouvelles mesures.

En revanche, nous n’avons pas assez discuté des conséquences du budget provincial du 27 mars 2018, qui se traduit par une augmentation importante du taux d’impôt intégré sur tous les revenus affectant notamment les revenus de placement passif dans une société.

REVENU DES PLACEMENTS ET DÉDUCTION POUR PETITE ENTREPRISE (DPE)

La DPE permet aux premiers 500 000 $ de revenus d’entreprise exploitée activement d’être imposés à un taux réduit. Cette limite de 500 000 $ est appelée « plafond des affaires ». Le fédéral est venu réduire l’accès à la DPE lorsque les revenus passifs d’une société privée sous contrôle canadien dépassent 50 000 $. À partir de ce seuil, chaque dollar de revenu passif va réduire de 5 $ le plafond des affaires, jusqu’à concurrence de 150 000 $ en revenus passifs, auquel cas le plafond des affaires atteint zéro.

Lorsque le plafond des affaires est nul, le revenu actif de l’entreprise ne sera pas imposé au taux réduit (14 % pour 2020), mais au taux général (26,50 % pour 2020)!

Les nouvelles règles relatives à la déduction accordée aux petites entreprises et au remboursement au titre de dividendes sont applicables aux années d’imposition débutant après 2018.

L’IMPÔT EN MAIN REMBOURSABLE AU TITRE DE DIVIDENDES (IMRTD)

Avant la réforme fiscale, il n’y avait qu’un seul compte d’IMRTD composé de la fraction remboursable de l’impôt de la partie I versé sur le revenu de placement (qui correspond à 30,66 % de son revenu de placement total) et du total de l’impôt de la partie IV (que la société verse sur des dividendes reçus de sociétés privées). Une fois qu’une société déclare un dividende, elle peut récupérer l’IMRTD. Depuis 2019, il y a deux comptes d’IMRTD.

Dans l’ensemble, le fédéral vient limiter le remboursement au titre de dividendes dans les cas où une société privée verserait des dividendes non déterminés. Une exception est prévue en ce qui concerne l’IMRTD qui provient de dividendes de portefeuilles déterminés reçus par la société, en vertu desquels la société pourra obtenir un remboursement au titre de dividendes lors du versement de dividendes déterminés. Pour ce faire, il faut désormais calculer le remboursement au titre de dividendes de la société privée en se rapportant à deux nouveaux montants : l’impôt en main remboursable au titre de dividendes déterminés (IMRTD déterminé) et l’impôt en main remboursable au titre de dividendes non déterminés (IMRTD non déterminé), qui remplaceront l’IMRTD auparavant utilisé.

L’IMRTD déterminé comprend l’impôt de la partie IV et l’IMRTD ordinaire (non déterminé) inclut la fraction remboursable de la partie I.

Il existe une règle transitoire : si la société a un solde de compte de revenu à taux général (CRTG) au début de l’année fiscale 2019, elle peut transformer l’IMRTD existant en IMRTD déterminé.

LES EFFETS DE LA BAISSE DU TAUX RÉDUIT AU QUÉBEC

Au Québec, on perd déjà la DPE depuis 2017 si le nombre d’heures rémunérées des employés dans une société est inférieur à 5 500 heures. Cependant, le nouveau régime fédéral s’applique également aux sociétés privées québécoises.

Voici un aperçu des taux au Québec depuis l’adoption du budget provincial de mars 2018. Les changements suivants sont constatés : baisse du taux réduit des sociétés, augmentation du taux d’imposition des dividendes et baisse du crédit d’impôt pour dividendes.

Taux / Année Avant le budget 2018 Après mars 2018 2019 2020 2021
Société  
Taux réduit 18,00 % 17,00 % 15,00 % 14,00 % 13,00 %
Sans 5 500 heures 21,70 % 21,70 % 20,60 % 20,50 % 20,50 %
Général 26,70 % 26,70 % 26,60 % 26,50 % 26,50 %
Revenu de placement (net de l’IMRTD) 19,70 % 19,70 % 19,60 % 19,50 % 19,50 %
Dividendes  
Déterminés (taux maximum) 39,83 % 39,89 % 40,00 % 40,11 % 40,11 %
Ordinaires (taux maximum) 43,94 % 44,83 % 46,25 % 47,14 % 48,02 %
Crédit d’impôt pour dividendes ordinaires 17,08 % 16,31 % 14,58 % 13,80 % 13,04 %
Crédit d’impôt pour dividendes déterminés 26,92 % 26,88 % 26,80 % 26,72 % 26,72 %

Analysons les changements du taux au Québec. Le taux d’imposition sur la première tranche de 500 000 $ de revenu actif va diminuer, et la majoration sur les dividendes ainsi que sur le crédit d’impôt pour les dividendes seront ajustés en conséquence. Toutefois, le taux appliqué aux autres types de revenus dans la société reste stable. À partir de 2019, un actionnaire va donc payer plus d’impôts sur un revenu qui n’est pas assujetti au taux réduit.

Examinons le même scénario pour deux années différentes. Disons qu’en 2018, avant le budget de mars 2018, une société a un revenu de 300 000 $ sur lequel elle a payé de l’impôt au taux de 21,70 %, car elle n’est pas admissible au taux réduit au Québec. Elle verse un dividende ordinaire à son actionnaire. En 2019, le revenu est stable, mais l’impôt de société diminue à 20,60 % et l’impôt du particulier sur le dividende ordinaire est de 46,25 % (supposons que l’actionnaire est au taux maximum).

2018, avant le budget provincial      

Impôt de société : 300 000 $ x 21,70 % = 65 100 $

Dividende versé : 234 900 $

Impôt personnel (43,94 %) : 103 215 $

Impôt total (société et particulier) : 168 315 $

2019

Impôt de société : 300 000 $ x 20,60 % = 61 800 $

Dividende versé : 238 200 $

Impôt personnel (46,25 %) : 110 168 $

Impôt total (société et particulier) : 171 968 $

Si on compare les deux scénarios, il est évident que l’impôt total augmente en 2019. Et l’augmentation de l’impôt en 2021 sera encore plus marquée. En 2021, l’actionnaire d’une société payera 4,85 % plus d’impôt (au taux maximum) sur un dividende ordinaire reçu du revenu de placement passif et 5,37 % plus d’impôt sur le dividende ordinaire reçu du revenu actif imposé au taux réduit au fédéral, mais assujetti au taux régulier au Québec; ce qui se constitue une augmentation substantielle!

STRATÉGIES À UTILISER

Il faut analyser chaque cas indépendamment mais, à la lumière de l’augmentation du taux d’impôt intégré sur le revenu de placement, choisir entre se verser un salaire ou des dividendes gagne une grande importance pour les propriétaires de sociétés privées. L’option « salaire » devient plus avantageuse.

Voici quelques stratégies pour éviter la surimposition et le risque de perte de la DPE :

  • Souscrire une assurance vie
  • Cotiser à un régime de retraite individuel
  • Faire l’acquisition d’actions accréditives
  • Optimiser la gestion de ses placements
  • Procéder à une optimisation fiscale
  • Profiter de la règle transitoire pour l’IMRTD

Il ne faut pas oublier que chaque stratégie doit être adaptée à la situation du client et doit être réévaluée chaque année.

Funda Dilaver

Titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires, Funda Dilaver a également complété des études supérieures en commerce international et en comptabilité à l’Université McGill ainsi qu’en fiscalité à l’Université de Sherbrooke. Elle a obtenu le certificat de réussite du cours fondamental d’impôt de CPA Canada. Spécialisée en planification fiscale, successorale et de la relève, en gestion du patrimoine des particuliers à valeur nette élevée et de propriétaires de petites entreprises, Funda Dilaver possède aussi une connaissance approfondie des questions fiscales internationales.