Les biais comportementaux et nos conseils  

Par Institut de planification financière (IQPF) | 18 avril 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture

Nous savons tous que les clients ont des biais comportementaux qui nuisent à leur santé financière. Cependant, est-ce possible que certains de nos conseils soient aussi influencés par des biais ? Dans cet article, nous explorons quelques exemples potentiels.

ACTIONS OU OBLIGATIONS DANS LE CELI ?

Certains prétendent qu’il vaut mieux détenir ses actions dans des placements non enregistrés que dans le CELI parce que le gain en capital et les dividendes sont moins imposés que les revenus d’intérêts. C’est vrai, mais ce n’est qu’une partie de l’analyse… Il ne faut pas oublier que les rendements espérés des actions sont plus élevés que ceux des obligations ou des dépôts à terme.

On paye autant d’impôt sur un gain en capital de 4 000 $ que sur un revenu d’intérêt de 2 000 $. Autrement dit, on est autant imposé pour un gain en capital équivalant au double du rendement en intérêts.

Prenons l’exemple d’un client qui :

  • possède un CELI de 100 000 $ et un portefeuille non enregistré de 100 000 $;
  • a un profil d’investisseur de 50 % en actions et 50 % en obligations;
  • obtient un rendement après frais de 2 % ou de 2 000 $ avec ses obligations;
  • obtient un rendement après frais de 5 % ou de 5 000 $ avec ses actions, réparti de la façon suivante :
    • 4 000 $ (4 %) en gains en capital;
    • 1 000 $ (1 %) en dividendes.

Si ce client décide de placer ses actions dans son portefeuille non enregistré et ses obligations dans un CELI, il payera plus d’impôts que s’il fait l’inverse. Dans notre exemple, puisque l’impôt à payer sur le gain en capital de 4 000 $ est le même que celui à payer sur 2 000 $ d’intérêts, il payera en surplus l’impôt sur le dividende.

Si vous pensez que le rendement des actions sera supérieur au double du rendement des obligations, alors les actions devraient être dans le CELI, et non dans le portefeuille non enregistré.

Autre avantage de détenir les actions dans le CELI : l’impact fiscal du rééquilibrage du portefeuille du client est moindre. On procède à ces rééquilibrages pour que le portefeuille corresponde au profil du client et le plus souvent, ils sont nécessaires parce que les actions ont mieux performé que les obligations plutôt qu’à cause d’une baisse du marché des actions. Lorsque le client vend des actions d’un portefeuille non enregistré, il doit payer des impôts, ce qui n’est pas le cas si elles sont dans le CELI.

CELI ET FONDS D’URGENCE

Plusieurs recommandent d’utiliser le CELI comme fonds d’urgence. Imaginons une personne qui détient 20 000 $ de placements non enregistrés et qui a un taux d’imposition de 50 %. Elle décide de se constituer un fonds d’urgence avec la moitié de cette somme, soit 10 000 $, en la cotisant dans un compte d’épargne à intérêt « élevé » de 0,5 % dans son CELI. Ce faisant, elle économisera 25 $ d’impôts sur ses intérêts de 50 $.  Pendant ce temps, son autre montant de 10 000 $ placé en actions aura procuré un gain en capital de 5 % (500 $). L’impôt sur ce gain en capital est de 125 $, même si seulement la moitié du gain est imposée.

En résumé :

  • la valeur totale, si les actions sont dans le non enregistré serait de 20 425 $ (10 050 $ en CELI et 10 375 $ en placements non enregistrés);
  • la valeur totale, si les actions sont dans le CELI serait de 20 525 $ (10 500 $ en CELI et 10 025 $ en placements non enregistrés).

Donc, l’utilisation du CELI pour le fonds d’urgence est peu utile, voire contre productif.

CELI ET RETENUE D’IMPÔTS ÉTRANGERS

Plusieurs pays retiennent à la source un impôt sur les dividendes. Le taux américain est de 15 %. Il est possible d’éviter la retenue sur les dividendes américains avec un REER ou un FERR, qui achètent directement des actions ou des fonds aux États-Unis (comptes dits É.-U.), mais pas avec un CELI, un REEE ou un REEI. Cependant, au décès, ces comptes dits É.-U. pourraient être assujettis aux droits successoraux américains ou le liquidateur de la succession devra remplir un formulaire pour bénéficier de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis.

Certains prétendent qu’il faut mettre ses actions dans un portefeuille non enregistré pour éviter cette retenue. Ils parlent même de « récupération ».

Pourtant, avec des placements non enregistrés, les dividendes étrangers sont imposés à 100 % (pas de majoration ni de crédit pour dividendes). Pour éviter une double imposition, les impôts étrangers font diminuer les impôts à payer au Canada. Le total d’impôts à payer sera similaire à une situation où il n’y aurait pas de retenue par un pays étranger. Il a moins d’impôts à payer au Canada grâce au crédit pour impôt étranger, mais aucun gouvernement étranger n’envoie à vos clients un remboursement d’impôts. Il est donc préférable que le client paye un impôt de « seulement » 15 % dans son CELI plutôt que d’être imposé à son taux marginal d’imposition.

LE BIAIS POUR LES DIVIDENDES

Plusieurs conseillers recommandent des actions ou des fonds en fonction du dividende qu’ils versent. Pourtant, comme l’a dit Merton Miller, lauréat du prix Nobel d’économie, transférer son argent de la poche gauche à la poche droite n’enrichit personne (moving money from your left pocket to the right won’t make you rich).

Autrement dit, lorsqu’un actionnaire d’une société privée se verse un dividende, il sait qu’il ne s’enrichit pas. Il déplace simplement de l’argent de son compte de société à son compte personnel. Pourquoi en serait-il autrement avec une société cotée en bourse ?

Le prix d’une action n’est pas le même avant et après (ex-dividende) le versement d’un dividende. Autrement dit, les dividendes diminuent les gains en capital. Dans leur texte, En finir avec une idée reçue : le dividende n’enrichit pas les actionnaires, les professeurs Chikh et Grandin illustrent ce phénomène par le tableau suivant :

Ils énumèrent aussi trois raisons psychologiques pour lesquelles les actionnaires sont attachés aux dividendes :

  • la théorie des perspectives : « le versement de dividende est mieux valorisé, car l’actionnaire a psychologiquement la sensation de faire deux gains qu’il valorise séparément »;
  • la comptabilité mentale : « il est en effet assez fréquent de dédier nos revenus courants au paiement de nos dépenses usuelles et d’affecter nos revenus « bonus » à des dépenses de loisirs ou de produits de luxe »;
  • l’aversion au regret : « recevoir un dividende est pour l’actionnaire une façon de percevoir de l’argent sans avoir à prendre la décision de vendre ses titres. Si, pour satisfaire ses besoins de liquidité, il avait dû vendre ses titres, son sentiment de regret aurait été d’autant plus intense en cas d’augmentation ultérieure de la valeur du titre. »

Ce biais est parfois appelé Dividend Agnosticism ou The Dividend Disconnect.

De plus, dans les portefeuilles de placements non enregistrés, les impôts payés sur des dividendes entraînent une diminution du montant réinvesti, ce qui réduit leur rendement.

SUGGESTION DE LECTURE

Nous sommes tous sujets aux biais, nous devons donc apprendre à les gérer. La lecture du livre du spécialiste en économie comportementale Olivier Sibony, Vous allez commettre une terrible erreur! : combattre les biais cognitifs pour prendre de meilleures décisions peut nous aider.  Par exemple, dans le premier chapitre, nous apprenons pourquoi nous recherchons des informations qui confirment nos idées et avons tendance à rejeter les informations qui contredisent nos croyances.

Pour d’autres exemples, vous pouvez consulter Mitigating the Impact of Advisors’ Behavioral Biases.