Changer sa Tesla pour une Cadillac

Par Fabien Major | 30 mars 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Il y a quelques semaines, un très bon client m’a contacté pour m’exprimer sa déception. Il souhaitait que je le rencontre en personne, car il était plutôt embarrassé. J’avais de la misère à m’imaginer quel était le problème puisque c’est un client avec lequel je suis toujours aux petits soins.

Aussi, les rendements de ses placements sont excellents. On parle d’environ 9 % annuellement NET depuis 10 ans. Comme il est dans ma segmentation platine, il a des conditions exceptionnelles.

Un programme « Cadillac »? Vraiment?

Le mois dernier, son prêteur hypothécaire lui propose une « analyse gratuite » de son portefeuille. Bien sûr! Mais comme tous les éléments qui le composent sont de premier quartile, 5 étoiles, A+, gagnants de multiples prix Lipper… et de surcroît en catégorie fiscalement efficace, le prêteur n’a rien trouvé d’autre à dénigrer que les FRAIS. Ah, ces maudits frais! Ouache!

D’abord, ils lui ont fait croire qu’il avait un ratio de frais général de 2 %, alors qu’en vérité, c’est 35 % de moins. Ensuite, ils lui ont fait miroiter une économie annuelle de 4000 $ sans jamais parler de ce qu’il obtiendrait en retour.

Que des arguments vagues du genre : « Ah vous savez, tous les programmes de gestion privée se ressemblent. C’est principalement la répartition d’actifs qui fait la job et c’est assez vilain dans votre cas! Notre programme est l’équivalent d’une Cadillac. »

Et voilà, mon client est ébranlé, mais il veut tout de même qu’on se voie pour valider cette « analyse » qui ressemble plutôt à un gros pitch de vente bien gras à mes yeux.

Lors du dîner, il me remet la brique et je me mets à rire. Très fort. Non, mais ce n’est pas sérieux, ça! On lui propose un portefeuille en FIDUCIE alors qu’il est en « Catégorie de société » depuis 10 ans. Une vente totale engendrerait un gain imposable de 300 000 $.

Pire, on veut échanger son portefeuille efficace fiscalement qui a cumulé un gain annuel moyen de 9 % pour un placement qui a rapporté 4,5 % NET pour la même période ET qui implique le même niveau de risque. Échanger un 1er quartile pour un 4e quartile? Ça ne va pas la tête?

Comparer des pommes avec des oranges

Si on compare dollar pour dollar, après vérifications, il pourrait en effet épargner 1 900 $ en frais de gestion annuels mais il se retrouverait avec un plan qui a rapporté 28 000 $ de moins par année que celui qu’il a déjà et qui comporte en plus des distributions imposables annuelles de 51 %. Ça dépasse l’entendement.

Si on compare le monde du placement au monde de l’automobile, on peut dire que dans mon exemple, l’impôt joue le rôle – permettez-moi l’expression – des « émissions polluantes ».

Ainsi, mon client a une Tesla de 135 000 $ qui a une empreinte écologique impeccable. Son portefeuille a une efficacité fiscale également redoutable. On ne peut rejeter ces solutions du revers de la main sans analyse fiscale comparative sérieuse.

Et voici qu’un vendeur à pression digne de « Réjean, de La Petite Vie » essaye de lui vendre une grosse Caddy rose de 120 000 $ brûlant 17 litres au cent kilomètres. Et je ne parle pas de la valeur de revente dans l’avenir.

À quand l’avis comparatif de remplacement des placements?

Avez-vous lu dernièrement que la fuite d’une note interne de la Maison-Blanche indique que le coût annuel du conflit d’intérêts dans l’industrie financière américaine serait estimé à 17 milliards de dollars?

Et bien, je ne serais pas surpris que, toutes proportions gardées, ce soit pire chez nous. Mon exemple précédent illustre parfaitement le phénomène. À combien se chiffre ce détournement de capitaux des investisseurs canadiens? Trois milliards? Cinq milliards?

Vous le savez, par rapport aux États-Unis, chez nous, la finance est concentrée dans les coffres d’une poignée d’institutions. Moins de 10 joueurs dominent l’industrie sans égard à la qualité de leurs produits. Des organisations qui fonctionnent encore par paliers multiples (comme Herbalife ou Tupperware), par quotas de vente et par des puissants réseaux de distribution.

Leurs structures archaïques font souvent l’objet de moqueries ou se font qualifier de fast-food de la finance, mais elles n’en demeurent pas moins d’une efficacité incroyable!

La raison en est simple. Le devoir de fiduciaire n’existe pas au Canada et n’est tout simplement pas appliqué au Québec. Dès qu’un client se plaint un peu trop, on lui fait fermer la trappe avec un petit chèque ou des billets de hockey.

Devrait-on obliger la production d’un avis de remplacement comparatif pour les placements? J’ai lu quelque part que si la Chambre ou l’AMF ne se mêlent pas de l’application du devoir de servir son client dans son « meilleur intérêt », c’est qu’il n’y a pas de plaintes.

Je connais des avocats en recours collectifs qui se frottent les mains tellement ce type de dossier semble alléchant!

Fabien Major

Fabien Major, MBA, Adm.A., est planificateur financier et conseiller en placement. Il possède aussi le cabinet Major Gestion Privée, lié à Assante, à Montréal.