Quand l’intérêt du client passe après

Par Fabien Major | 9 octobre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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L’intérêt du client est-il vraiment une priorité? J’ai récemment discuté du sujet chaud du devoir de fiduciaire avec une personne qui travaille au sein d’un organisme de réglementation… et je suis plus dubitatif qu’elle.

Mon interlocuteur a été ferme. Pour lui, il ne devrait pas y avoir de discussion : le devoir de fiduciaire existe déjà. Il est inscrit dans le code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et l’AMF dispose aussi des outils coercitifs pour faire comprendre aux cabinets, petits et gros, que subordonner l’intérêt du client n’est pas une bonne idée. Et si l’on observe des manquements, m’indique mon interlocuteur, il faut inviter les clients à porter plainte.

Bref, pourquoi se faire des cheveux blancs avec cette question? Pourtant, comme vous, je constate toutes les semaines que les grandes institutions financières vendent des produits « convenables » à leurs clients, mais pas nécessairement ceux qui répondent à leur meilleur intérêt.

« Le représentant doit subordonner son intérêt personnel à celui de son client et de tout client éventuel. » − Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, article 19

Le fonds du baril

J’ai deux exemples précis en tête. Vous êtes un conseiller indépendant du cabinet fictif Sansoucis. Vous rencontrez un prospect, Alain Dessy, et celui-ci a 20 000 $ de REER à vous confier. Après avoir analysé sa situation et établi son profil d’investisseur, il apparaît clairement qu’il a un profil prudent. Il tolère un peu la volatilité et exige un potentiel de rendement au-dessus de l’inflation. Il a un penchant pour les fonds communs, mais ne veut pas s’impliquer dans leur choix, ni réaliser les transactions.

Après avoir effectué vos recherches dans la base de données indépendante Morningstar puis dans celle de GlobeFund, vous retenez le portefeuille conservateur de Fonds Communs Matuvu. Tous les faits concordent. Les caractéristiques sont probantes. C’est la même équipe en place depuis 17 ans. Les rendements sont au-dessus des indices et des moyennes de groupes. Pour toutes les périodes, ce portefeuille se situe dans le premier quartile. Comble de bonheur, le ratio de frais de gestion est inférieur à la moyenne de l’industrie. Fier de votre trouvaille, vous retournez voir monsieur Dessy. À votre grande surprise, sa banque vous a pris de vitesse.

Un employé du Groupe financier Potager a observé la liquidité au compte bancaire et proposé un produit financier propre à son institution. Cet employé pouvait orienter le client vers le fonds Matuvu (les données sont publiques), mais son directeur de succursale lui impose un quota minimum de 70 % de fonds maison du groupe qui l’embauche. D’autant plus que lorsque les employés vendent des fonds externes, ils ne touchent pas de boni. Les 20 000 $ du client ont donc été investis dans le « Fonds DuBaril du Groupe Potager ».

En retournant dans la base de données Morningstar, vous vous rendez compte que le portefeuille en question est de 4e quartile. Ses rendements sont sous les moyennes et bien en-deçà des indices de marché. En dix ans, le fonds a changé cinq fois d’équipe de gestion et, pire, ses frais de gestion sont très supérieurs à la moyenne.

Qu’êtes-vous censé faire? Je crois qu’il est de notre devoir de retourner voir le client et de lui exposer les faits.

« Si un consommateur a des motifs raisonnables de croire qu’un individu ou qu’un cabinet n’a pas suivi les règles de l’art, il peut s’adresser à l’Autorité, qui fera une analyse diligente de sa plainte. Par la suite, le dossier cheminera selon ce que l’examen de cette plainte aura fourni », souligne Sylvain Théberge, directeur des relations médias et affaires publiques de l’AMF.

Si un cabinet ou une institution instaurent des règles et procédures qui placent leurs intérêts et ceux de leurs représentants au-dessus de ceux des clients, il y a manifestement un sérieux problème. Il ne faut pas hésiter à s’en plaindre.

« Le représentant doit, dans l’exercice de ses activités, sauvegarder en tout temps son indépendance et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts. » − Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, article 18

On ne manque pas d’assurance ni de culot

Voici ma deuxième mise en situation. Madame Gemma Grandmaison a besoin d’une assurance vie. C’est elle qui vous a contacté et vous avez effectué une analyse des besoins (ABF) des plus rigoureuses. Une Temporaire 20 ans est ce qui convient le mieux et c’est aussi ce que madame Grandmaison désire.

Le sondage intercompagnies LifeGuide montre que la compagnie LaSurprenante a le produit qu’il faut pour 20 $ par mois. Le compte-rendu de LifeGuide détaille les produits adéquats et classe les résultats par tarif décroissant. Mme Grandmaison, qui ne comprend pas grand-chose aux assurances, trouve ça bien beau, mais vous affirme qu’elle va magasiner.

Elle va donc voir le cousin du beau-frère de sa coiffeuse. Ce représentant de la compagnie Profit-atout-Prix offre le même produit, mais pour 35 $ par mois. En le vendant à Mme Grandmaison, il respecte son contrat d’embauche qui l’oblige à ne vendre QUE les produits de Profit-atout-Prix. Ayant bien retenu les phrases creuses de mise en marché que son employeur lui a imprimées sur du papier glacé, il justifie la différence de la prime par le fait que sa compagnie a 150 ans et qu’elle est bien plus grosse que LaSurprenante. Aussi, la cliente participera au tirage d’un week-end au Casino de Charlevoix. Le conseiller omet cependant de préciser à Mme Grandmaison que chaque nouvelle vente des produits de Profit-atout-Prix lui octroie des crédits-voyages pour le congrès des Bermudes en 2014.

« Le représentant doit faire preuve d’objectivité lorsque son client ou tout client éventuel lui demande des renseignements. Il doit porter des jugements et formuler des recommandations de façon objective et indépendante, sans égard à son gain personnel. » Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, article 20

Invité à commenter ce genre de cas, Bruno Leblanc, coordonnateur-analyste aux relations publiques de la Chambre de la sécurité financière, nous rappelle qu’« à titre de professionnel, le représentant membre de la CSF doit respecter toutes les obligations déontologiques prévues au Code de déontologie de la Chambre ou au Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières. »

Parmi les obligations déontologiques des représentants, notamment celles des conseillers en sécurité financière, on retrouve le devoir de préserver son indépendance professionnelle et d’éviter les situations de conflit d’intérêts, ce qui implique évidemment l’obligation de formuler des recommandations objectives, sans égard à son gain personnel. Ces obligations se retrouvent notamment aux articles 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la CSF. De plus, des obligations équivalentes existent aux articles 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières. »

« 2. Le représentant doit faire preuve de loyauté; l’intérêt du client doit être au centre de ses préoccupations lorsqu’il effectue une opération pour le compte de celui-ci.

4. Les recommandations du représentant doivent s’appuyer sur une analyse approfondie des renseignements obtenus du client et de l’information relative à l’opération.

14. Les activités professionnelles du représentant doivent être menées de manière responsable avec respect, intégrité et compétence. »

− Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières

Si, comme je le pense, personne ni aucune institution n’est au-dessus des lois, les autorités réglementaires devraient mieux informer le public sur le devoir de fournir des recommandations financières objectives. Voilà une excellente idée pour une prochaine campagne de publicité de la Chambre ou de l’AMF :

Votre représentant travaille-t-il réellement dans votre intérêt? Exigez les preuves de son objectivité!

Si vous avez tous les éléments et analyses en mains pour justifier le bien-fondé de vos recommandations, faites-le savoir. Si votre travail est bien documenté, si vous conservez un maximum de notes, vous avez un dossier qui tient la route. Les investisseurs et consommateurs de produits et services financiers méritent un conseiller de votre calibre.

Au cours des dernières années, la Chambre et l’AMF ont fait un travail exemplaire. Elles ont sorti un nombre important de filous et de bandits des grands chemins. Pour rehausser la qualité et la réputation de la profession, il faut maintenant rappeler à l’ordre certaines grandes institutions financières. Offrir des produits et services financiers aux consommateurs n’est pas un devoir, c’est un privilège.

Si leurs produits ne sont pas à la hauteur, elles doivent cesser de jouer à l’autruche et nous prendre pour des valises. On comprend parfaitement qu’elles font passer LEURS intérêts avant tout. En obligeant des représentants aux conditions précaires à enfreindre leur code de déontologie, ces institutions jouent avec le feu et nuisent à la réputation de l’ensemble de la profession.


Fabien Major, MBA, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective, Major Gestion Privée.

Fabien Major

Fabien Major, MBA, Adm.A., est planificateur financier et conseiller en placement. Il possède aussi le cabinet Major Gestion Privée, lié à Assante, à Montréal.