Commissions intégrées : et le client là-dedans?

30 janvier 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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kryzhov / 123RF

Vos clients se sont-ils déjà plaints de votre mode de rémunération? Les miens, jamais.

En 24 ans dans l’industrie des services financiers, jamais un client ne m’a fait part d’insatisfaction quant à la question des commissions intégrées.

Et j’explique chaque fois en détail le ratio de frais de gestion, incluant la commission que je reçois, pas « à peu près », mais bien en dollars exacts.

En fait, cela m’aide à gagner en crédibilité et en professionnalisme. En détaillant ma rémunération, j’ai toute l’attention des clients : ils apprécient comprendre. De toute façon, ils ne sont pas dupes : ils savent que le conseil a un coût.

Alors, qui a initié la discussion sur l’abolition des commissions intégrées? Jusqu’à présent, personne ne me l’a dit. Et surtout, d’où vient l’affirmation que les commissions intégrées amènent des conflits d’intérêts?

Et moi qui ai toujours pensé que le pire conflit d’intérêts qui puisse exister était d’obliger les conseillers à vendre des produits maison ou ceux moussés par des concours! Quand on sait que notre obligation est d’offrir ce qui est dans le meilleur intérêt du client et non les produits que l’employeur rend disponibles, il y a lieu de se questionner.

Des honoraires… pour qui?

Dernièrement, j’ai assisté à une journée de formation où l’un des conférenciers a fait la promotion des comptes à honoraires pour remplacer les comptes à commissions intégrées. Pourquoi mettre de l’avant cette solution? Les raisons me semblent, encore une fois, nébuleuses.

D’un point de vue marketing, j’avoue que parler d’honoraires, un peu comme le font les fiscalistes, notaires ou avocats, peut donner l’impression d’être plus professionnel que d’être rémunéré à commissions comme le sont les vendeurs, mais selon moi, ça ne change rien.

Au chapitre de la transparence, 1 % d’honoraires de gestion, comme le suggèrent les ACVM, ou 1 % de commissions intégrées en fonds de placements équivaut à la même chose.

Par contre, un calcul est souvent oublié.

Imaginez un client qui détient un portefeuille équilibré composé d’un fonds d’actions et d’un fonds d’obligations dans une proportion 50/50. Pour un montant de 100 000 $, avec des fonds en série F, les honoraires de 1 % correspondent à 1 000 $ par année.

Par contre, avec des commissions intégrées, le courtier du conseiller ne recevra que 750 $, puisque les fonds d’obligations ont généralement une commission de suivi inférieure.

Alors, remplacer les commissions intégrées par des honoraires profitera à qui? Pas au client en tout cas!

Pourquoi ne parle-t-on pas des autres produits?

Une autre énigme que je peine à résoudre : pourquoi les autorités réglementaires tiennent absolument à évaluer la possibilité d’abolir les commissions payées aux conseillers qui améliorent la situation financière de leurs clients alors qu’on laisse de côté tous les produits financiers vendus ici et là sans que le « conseiller » ou le « vendeur » ne détienne de permis approprié ou qu’il ait l’obligation de se former?

Voici des questions sans réponse :

  • Combien ça coûte, un fonds FTQ ou Fondaction (CSN)?
  • Combien ça coûte, un dépôt à terme émis par une banque?
  • Combien ça coûte, un billet à capital protégé?
  • Combien ça coûte, un fonds distinct assorti d’une garantie de 75 % à 100 ans?
  • Combien ça coûte, un REEE d’Universitas?
  • Combien ça coûte, une obligation?
  • Combien ça coûte, un compte à intérêt quotidien?

À ce que je sache, la distribution de certains de ces produits n’est pas accompagnée d’une planification de retraite en bonne et due forme, qui viendrait améliorer la condition financière générale du client.

C’est vraiment toute une énigme : pourquoi ne parler que des commissions d’un seul produit, les fonds communs de placement?

Que fait un conseiller pour mériter une commission dite intégrée?

Le travail du conseiller ne se limite pas à la gestion des placements. Il arrive très souvent qu’il doive :

  • Clarifier la situation matrimoniale de son client (pour éviter l’histoire d’horreur du conjoint de fait qui décède sans avoir revu ses bénéficiaires… et qui a déjà eu d’autres conjointes auparavant);
  • Revoir (oui, ça arrive) les assurances à la baisse. On en vend sur à peu près tous les biens de consommation, on doit fréquemment réévaluer les besoins;
  • Inculquer à son client le réflexe de déposer 5 à 10 % de son salaire à chaque paie;
  • Lui expliquer comment élaborer et suivre un budget;
  • Protéger les investisseurs contre eux-mêmes en vantant les mérites de la diversification et de la gestion des risques plutôt que de viser un rendement extravagant.

Tous ces conseils ne sont pas rémunérés. Si l’on isole les commissions perçues sur les placements REER, le montant de la rémunération peut effectivement surprendre. Par contre, la majorité des conseillers (en tout cas, ceux de mon bureau, qui en compte une soixantaine) prennent le temps d’étudier l’ensemble de la situation financière du client et lui apportent une valeur ajoutée importante.

Pourquoi y a-t-il des frais de souscription différés (FSD)?

Dernièrement, Investors a pris la décision d’abolir les séries avec frais de rachat sur six ans.

Les FSD, qui font partie des commissions intégrées, sont également contestés.

Qui se souvient de la raison pour laquelle ils ont été inventés? Il fut une époque lointaine où les fonds de placements étaient vendus avec des frais d’acquisition pouvant atteindre 9 %. On peut difficilement dire que c’était avantageux pour le client.

Prenons un épargnant qui a 100 000 $ à investir. Après avoir prélevé la commission de 9 %, il ne lui restait que 91 000 $ à faire fructifier.

La différence sur 25 ans entre un investissement de 100 000 $ et de 91 000 $ à un taux de rendement de 5 % est de 30 000 $, somme qui n’allait donc pas dans les poches du client. Les FSD ont permis d’éliminer cette pratique et, par le fait même, aux clients de s’enrichir.

C’est vrai, je reçois des commissions intégrées. Et non, je n’ai jamais été gêné d’en parler.

Ces commissions m’obligent à offrir un service de qualité. Ne recevant pas de salaire de mes clients, je n’ai pas le choix de donner des bons conseils, de faire preuve d’indépendance, à défaut de quoi, je perdrais mes clients et donc, mes revenus.

Que faire?

Le 10 janvier dernier, les autorités réglementaires ont finalement publié le Document de consultation 81-408 sur l’option d’abandonner les commissions intégrées. Il fait 182 pages et… mérite qu’on s’y attarde.

Les ACVM soulèvent trois enjeux, qui ressemblent plutôt à des affirmations, prétextant qu’elles servent d’abord la protection des investisseurs et ensuite, l’efficience des marchés :

  • Les commissions intégrées donnent lieu à des conflits d’intérêts;
  • La compréhension des coûts réels par les investisseurs est déficiente;
  • Les commissions intégrées ne concordent pas toujours avec les services fournis par le représentant.

Même si on explique qu’aucune décision n’est prise, la lecture des 182 pages laisse penser qu’au contraire, la décision d’abolir les commissions intégrées est l’unique piste envisagée pour assurer « la protection des investisseurs et l’efficience des marchés ».

Je n’arrive pas à comprendre les raisons qui motivent les ACVM à orienter les discussions sur cette voie. Bien sûr, la situation n’est pas parfaite, mais ne devrait-on pas évaluer toutes les options possibles pour améliorer le sort des investisseurs?

Il semble être à la mode de remettre en cause la façon de rémunérer les conseillers indépendants ou, plutôt, un mode de rémunération, qui ne semble pas avoir été contesté par les principaux intéressés : les clients.

L’AMF invite tout le monde à soumettre un mémoire avant qu’une décision soit prise. Certains diront que les dés sont déjà jetés, mais pas moi. Nous pouvons aider les autorités à prendre de bonnes décisions pour le bien du client.

J’ai l’impression qu’un mémoire rédigé par des conseillers qui sont près des clients peut avoir plus de valeur aux yeux des décideurs qu’un mémoire issu des avocats ou lobbyistes de grandes entreprises.

Alors, je lance un appel à mes collègues conseillers de tous les réseaux : soumettez vos commentaires à l’AMF!