Être ou ne pas être… un robot financier

Par Michel Mailloux, du Collège des professions financières | 18 juillet 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
Photo : illustratorovich / 123RF

Certains d’entre vous verront dans les robots financiers une façon plus contemporaine d’améliorer leurs services. D’autres y perçoivent plutôt une forme de risque professionnel. Tous estiment cependant qu’ils seront une nouvelle approche qui permette d’obtenir les services et produits existants autrement. Pour l’instant, rien ne nous semble moins vrai! Plusieurs aspects restent à préciser avant qu’on en arrive là.

Le robot financier pourrait se définir comme suit : progiciel pouvant interagir de manière intelligente avec des humains, doté de jugement et susceptible de remettre les éléments factuels et émotifs en perspective afin de livrer une solution financière optimale en fonction des normes consensuelles de pratique. Ce robot n’existe pas encore dans une forme complète.

Les robots financiers transforment tant l’offre de services et produits financiers que la demande de ceux-ci. Et ils les façonneront encore davantage dans l’avenir.

Du côté de l’offre, les robots permettent d’ores et déjà la création de marchés et de produits secondaires très sophistiqués. Un exemple patent est celui des produits structurés tels que les CDO, CDO2 et les CDS, qui relèvent presque de la science-fiction[1].

La gestion des placements sera elle-même bouleversée, comme l’affirmait, en août dernier, Megan Greene, économiste en chef à Gestion d’actifs Manuvie. Ces logiciels sophistiqués d’aide à la décision viendront appuyer les conseillers, notamment en assimilant pour eux la phénoménale quantité d’information financière produite tous les jours.

Il y a aussi ce que Denis Olivennes dénonce comme la dictature de la vertu. En dévoilant quantité de données sur eux-mêmes aux algorithmes, les clients risquent de perdre leur vie privée. Ce sont ces éléments, avec d’autres, qui provoquent une mutation profonde de l’offre de services financiers.

La demande ne sera pas en reste. Si elle reste modulée et teintée par les contraintes fiscales des différents États, on y retrouve aussi des lames de fond. Le niveau relativement faible de numératie des sociétés développées, sauf dans certains pays comme le Japon, est un état de fait marquant, surtout en raison de la complexification étourdissante des services et des produits.

Les algorithmes sous-jacents aux approches de plus en plus difficiles à comprendre stériliseront notre capacité à apprécier les propositions reçues. Pire, les mises à niveau seront aussi transparentes que les changements actuellement apportés aux progiciels par leurs producteurs. Par exemple, qui est au courant de toutes les modifications effectuées par Microsoft lors d’une mise à jour d’Outlook?

DÉCORTIQUER LA BÊTE

Pour appréhender l’ensemble de ces éléments, nous devrons répondre à une question préalable : comment le robot financier fonctionne-t-il? Voilà ce qui devrait être la préoccupation primordiale!

Du côté philosophique, les robots devraient intégrer les bases mêmes établies à travers les morales normatives, soit l’éthique des conséquences, l’éthique déontologique et l’éthique de la vertu. Chacune de ces approches renferme des morales sur lesquelles ils devraient s’appuyer pour prendre leurs décisions.

Par exemple, une cliente de 30 ans, célibataire, gagnant un salaire au-dessus de la moyenne, avec un bon régime de retraite et un profil prudent, dont l’objectif est d’épargner, pourrait se voir proposer des CPG par un logiciel programmé en éthique des conséquences, car les conséquences négatives pour la cliente (comme une perte en capital) seraient moindres.

S’ajoute un autre courant moral qui se détache des approches classiques à travers sa propre logique : le monde financier islamique. Les robots financiers sont indifférents à la religion en ce sens qu’ils agissent en fonction de règles programmées. Si votre client se conforme aux normes de la charia ou des conservateurs catholiques, le robot financier, correctement programmé, pourra lui offrir un gage de qualité en conformité avec ces préceptes[2].

Sur l’aspect technique, nous croyons que le robot doive se référer à une approche objective chaque fois que cela est possible : par exemple, la norme ISO-22222, qui établit des standards sur le conseil en gestion de patrimoine. Cette norme englobe tous les aspects de la gestion des avoirs des clients individuels. L’entièreté des informations financières n’est pas toujours intégrée dans certains dossiers clients, mais elles sont toutes incluses dans la norme.

En comprenant le fonctionnement des robots, vous êtes à même de saisir sur quoi sont basés leurs conseils. Il vous est ainsi plus facile de vous en servir pour appuyer votre pratique.

N’EST PAS ROBOT QUI VEUT

L’intervenant (conseiller, cabinet ou institution) que vous êtes ou avec qui vous faites affaire offre des services financiers qui sont parfois automatisés. On utilise à l’occasion certains progiciels de calcul ou d’aide à la décision. Ce ne sont pas des robots, mais plutôt des calculatrices ou des chiffriers! Un intervenant offre un service entièrement automatisé par téléphone ou Internet. Ce n’est pas un robot! Le client entre lui-même ses données; le système est automatisé, mais pas intelligent.

Une théorie intéressante a été développée par le statisticien Nassim Nicholas Taleb pour tenter d’expliquer les grands bouleversements soudains et imprévisibles : le cygne noir ou la tempête parfaite.

La situation des robots financiers tels que nous venons de les décrire présente des aspects similaires à la tempête parfaite : ils se développent au-delà des expectatives habituelles des marchés, à une telle vitesse que le conseiller ne s’en aperçoit pas nécessairement. Au rythme de l’évolution des algorithmes et à leur performance grandissante, s’il ne fait pas attention, le professionnel pourrait bien se faire tirer le tapis sous les pieds.

Il est impossible de prévoir quand les robots auront acquis suffisamment en efficacité pour nous remplacer dans plusieurs analyses. Le gouvernement vient tout juste de permettre les services « robotisés » sur le Net! Et, surtout, les intervenants individuels, c’est-à-dire les conseillers détenteurs de permis, ont souvent des biais psychologiques qui peuvent rendre aveugle, à la fois individuellement et collectivement, face à l’incertitude et à l’importance d’un évènement rarement survenu dans l’histoire. Si on croit que cela est impossible, on ne le verra pas venir!

Bonne réflexion!


[1] Les CDO, pour collateralized debt obligations, sont des obligations adossées à des titres de dette. Les CDO2 sont des obligations adossées à des titres de dette de rangs inférieurs et les CDS, pour credit default swaps, sont définies comme des couvertures de défaillance de crédit.

[2] Sous réserve d’approbation par les autorités de réglementation, bien entendu.

Famille sous un parapluie rouge

Michel Mailloux, du Collège des professions financières

Michel Mailloux, MBA, est planificateur financier et éthicien. Il dirige le Collège des professions financières. Le Collège est un fournisseur autorisé par l’Autorité des marchés financiers pour les formations nécessaires à l’entrée en carrière en assurance de personnes (Programme de qualification en assurance de personnes, ou PQAP). Michel travaille aussi comme intervenant en conformité à travers sa firme Mailloux & associés.