La dette… cette affreuse dette!

Par Mathieu Guilbault | 11 Décembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Nombreuses sont les personnes qui fuient les dettes comme la peste. Pourtant, il y a de bonnes dettes, et de mauvaises! Il est impératif de bien les distinguer.

« Il n’y a aucun mal à changer d’avis. Pourvu que ce soit dans le bon sens. » – Winston Churchill

Commençons par le mauvais crédit. Par exemple, si votre client a un solde à payer sur une carte de crédit à un taux d’intérêt de 20 % et qu’il vient vous voir afin de cotiser à ses REER, vous pouvez en effet lui conseiller, gentiment, de rembourser ses dettes en premier. En effet, aucun placement sans risque ne pourrait compenser le taux élevé de ce prêt par un rendement de 20 %.

Par contre, s’il n’a plus de dette de consommation et qu’il ne lui reste à rembourser qu’un prêt résidentiel, un prêt étudiant ou encore tout autre type de dette dont les intérêts sont faibles et/ou déductibles, il n’y a généralement pas d’urgence.

Il faut avoir une vision claire des objectifs financiers de nos clients et se demander où leur argent (après impôt) leur offre le meilleur rendement. On parle ici d’une simple optimisation fiscale.

EXEMPLE CONCRET

Prenons le cas de Pauline, une mère monoparentale de 35 ans avec deux enfants à charge. Elle a souscrit un prêt hypothécaire à un taux de 3 % annuellement. À l’exception de ses cotisations à un REER collectif, elle n’a aucune autre habitude d’épargne. Au cours des dernières années, elle ne s’est concentrée que sur le remboursement de son hypothèque.

Malgré l’ensemble de ses obligations financières, Pauline parvient tout de même à générer une centaine de dollars d’excédent chaque semaine. Elle se demande si accélérer ses paiements hypothécaires serait pour elle la meilleure stratégie.

Il est fort probable que vous conseilliez à Pauline de miser sur l’épargne plutôt que de rembourser sa dette en accéléré. Pourquoi? La réponse : la maximisation de sa valeur nette, c’est-à-dire ce qu’il reste après que les dettes eurent été payées.

Pour comparer des pommes avec des pommes, le premier outil de placement qui devrait vous venir en tête est nécessairement le CELI. Comme il permet de faire fructifier les sommes à l’abri de l’impôt, il est possible d’exclure la notion d’imposition du calcul comparatif et donc de comparer deux sorties d’argent équivalentes des poches de Pauline.

Pour le même effort financier, soit 100 $ d’épargne par semaine, elle obtiendrait un gain de supplémentaire de 66,6 % dans son CELI comparativement à un remboursement anticipé de son hypothèque, soit 2 % d’écart de rendement annuel, en supposant un rendement de 5 % dans le CELI.

Si Pauline investit plutôt dans des dépôts à terme à 1 % de rendement, il serait probablement plus avantageux pour elle de rembourser de son hypothèque.

En tant que conseiller, vous devez vérifier le rendement de chacun des dollars de vos clients et vous assurer qu’ils le placent à l’endroit qui rapporte le plus. Essentiellement, votre client aura cinq possibilités : le CELI, le REER, le REEE, les placements non enregistrés ou le remboursement de ses dettes.

Nous avons pris l’exemple du CELI afin de simplifier l’analyse, mais il faut toujours considérer les taux effectifs marginaux d’imposition (TEMI). Chaque situation doit être analysée par un planificateur financier compétent afin de prendre une bonne décision.

Par exemple, si Pauline correspond à la courbe TEMI #152, son TEMI pourrait atteindre près de 75 % lors de sa cotisation et probablement un maximum de 50 % lors de la sortie (courbe #100). Le REER pourrait donc être intéressant selon sa situation et son actif.

HYPOTHÈQUE C. REEE

Dans mon dernier billet, je discutais du REEE et de ses avantages. Le lien avec ma présente chronique est frappant. Je rencontre à l’occasion des jeunes professionnels ayant peu ou pas d’épargne, peu de dettes, des enfants, mais qui n’ont toujours pas ouvert de REEE. Par contre, ils sont très fiers de me mentionner qu’à 35 ans, ils ont pratiquement fini de rembourser leur hypothèque.

Afin de bien comprendre l’erreur qu’ils commettent, reprenons l’exemple de Pauline. Elle a un solde hypothécaire de 100 000 $ avec un amortissement restant de 10 ans, des paiements de 963 $ par mois et un coût d’emprunt de 3 %.

Ainsi, avec une sortie d’argent totale de 963 $ par mois, nous obtenons :

Situation en 2017

Valeur de la maison : 200 000 $

Solde hypothécaire : (100 000) $

Placements : 0 $

Valeur nette : 100 000 $

Situation projetée en 2027

Valeur de la maison : 250 000 $*

Solde hypothécaire : 0 $

Placements : 0 $

Valeur nette : 250 000 $

Après une rencontre avec son planificateur financier (Pl. Fin.) et une bonne discussion au sujet de l’endettement, tous deux mettent sur pied un plan d’action.

La première étape consiste à réduire les remboursements hypothécaires. Pour ce faire, un refinancement avec un nouvel amortissement de 25 ans est proposé. Les paiements passent maintenant à 473 $ par mois. Pauline dispose désormais d’un surplus mensuel de 460 $ par mois.

Plutôt que de procéder à un remboursement anticipé de son emprunt, elle choisit d’investir en prévision des études de ses deux enfants. Elle ouvre ainsi un REEE familial, pour lequel un rendement à long terme de 5 % est parfaitement envisageable. Pauline n’a pas droit aux avantages que confère le REEE pour les ménages à faible revenu (nous présumons une subvention provinciale à 10 % et une subvention fédérale à 20 %).

Ainsi, avec une sortie d’argent totale de 963 $, soit un remboursement hypothécaire de 473 $ et un investissement REEE de 460 $, nous obtenons :

Situation en 2017

Valeur de la maison : 200 000 $

Solde hypothécaire : (100 000) $

Placements : 0 $

Valeur nette : 100 000 $

Situation projetée en 2027

Valeur de la maison : 250 000 $*

Solde hypothécaire : (68 483) $

Placements (REEE)** : 92 685 $

Valeur nette : 274 202 $

Écart entre les scénarios (valeur nette de la maison à 250 000 $ -274 202 $) = 24 202 $

Ce plan d’action met en lumière la valeur des bonnes décisions financières. En allouant plus efficacement le même effort financier, soit un montant de 963 $ par mois, la valeur nette de Pauline s’est appréciée de 24 202 $ ou 24,2 %.

Vous trouvez que ce n’est pas assez?

Amusons-nous encore un peu; prenons ce montant de 24 202 $ et faisons des projections suivant l’espérance de vie probable de Pauline, qui aura 45 ans en 2027 (50 % de chance d’atteindre 92 ans).

Sa succession obtiendrait un montant additionnel de 239 744 $***, pour une simple planification financière réalisée à l’âge de 35 ans et sans effort financier additionnel. J’espère que ses héritiers prendront le temps de rencontrer un planificateur financier avant de rembourser une dette trop rapidement!

* En supposant que la valeur de la maison gagnera 50 000 $ en 10 ans.

** Aux fins de cet exemple, nous tenons pour acquis un taux d’imposition de 0 % sur les PAE pour les enfants.

*** Investissement de 24 202 $ pendant 47 ans à un rendement de 5 %. Le placement est réalisé lorsque Pauline a 45 ans, et son espérance de vie est de 92 ans.


Ce texte est publié à des fins de vulgarisation et contient de l’information financière d’ordre général. Il ne devrait pas remplacer une consultation auprès d’un conseiller en services financiers qui tiendra compte des particularités de la situation de vos clients. Malgré tout le soin apporté à la rédaction des textes, l’auteur n’est responsable des erreurs qui pourraient s’y glisser.

Petite maison tenue dans les mains d'une jeune femme, avec drapeau américain en arrière-plan.

Mathieu Guilbault

Mathieu Guilbault, Pl. Fin., est planificateur financier et travaille dans des institutions financières depuis 2001. Il est l’auteur du livre 80 stratégies en planification financière et blogueur sur MonPF.ca. Diplômé de l’Université Laval en planification financière et de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), il détient également un diplôme de deuxième cycle en fiscalité de l’Université McGill, ainsi qu’un baccalauréat en commerce avec mention d’honneur en finance de la John Molson School of Business de l’Université Concordia. Il est membre de l’Association de planification fiscale et financière (APFF) et affilié de l’IQPF.