Votre client détient un bien immobilier aux États-Unis?

Par Mathieu Guilbault | 28 janvier 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Petite maison tenue dans les mains d'une jeune femme, avec drapeau américain en arrière-plan.
Photo : dolgachov / 123RF

Faites ce que vous pouvez, avec ce que vous avez, là où vous êtes. – Theodore Roosevelt

Plusieurs Canadiens détiennent des biens aux États-Unis sans connaître les conséquences qu’un décès précoce ou une invalidité pourrait entraîner. Dans ma pratique, je rencontre souvent des personnes qui sont mal informées à ce sujet. Un survol des différentes règles s’impose donc.

Il y a plusieurs aspects à considérer lorsqu’on envisage de faire l’acquisition d’un bien à l’étranger. Plusieurs oublient qu’un achat immobilier effectué au Canada ou aux États-Unis n’est pas régi par les mêmes juridictions.

LE CAS DE ROLLANDE

Malheureusement, Rollande, 73 ans, l’a appris à la dure. Elle ne croyait pas que la maison acquise quelques années plus tôt par son conjoint Gaétan lui occasionnerait tant de soucis. Celui-ci a souffert plusieurs années de la maladie d’Alzheimer avant de décéder l’an dernier. Devant s’occuper de Gaétan, Rollande ne se rendait plus aux États-Unis et la propriété s’est grandement détériorée au cours des années.

Elle a voulu la vendre, mais le mandat de protection canadien, qui l’autorisait à gérer les biens de son conjoint en cas d’inaptitude, ne lui permettait pas de s’en départir. Elle aurait pu se soumettre à un processus américain afin de faire reconnaître la maladie de Gaétan et vendre la propriété, mais les longues procédures et les coûts l’ont découragée.

Étant la seule héritière de la succession de Gaétan, Rollande croyait que sa mésaventure tirait à sa fin. Hélas, elle a dû franchir plusieurs étapes avant de pouvoir hériter de la maison et en devenir officiellement propriétaire. Faute de planification en amont, elle a ainsi dû se soumettre au processus de règlement de succession américain, qui peut s’avérer long et coûteux.

Rappelons brièvement ce qui arrive lorsqu’un individu décède au Canada :

  • Selon la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), un contribuable est réputé avoir disposé, immédiatement avant son décès, de chacune de ses immobilisations à leur juste valeur marchande.[1]
  • Par la suite, les biens de la personne décédée passeront par sa succession avant d’être distribués à ses héritiers.[2]
  • Si c’est un bien américain, il devra passer à travers le processus de règlement de succession américain (probate).

« Selon sa valeur, les délais pour régler une succession aux États-Unis peuvent varier de 8 à 16 mois et les frais d’avocats américains représentent en moyenne 3 % de la valeur des biens » m’a précisé Me Caroline Vanier, avocate à Racicot & Associés. Selon le mode de détention de l’immeuble, ce processus pourrait être évité.

Un testament canadien est-il valide aux États-Unis?

Oui, mais il ne permet pas d’éviter les formalités juridiques américaines. De plus, s’il est rédigé en français, il devra être traduit en anglais. Il faudra également faire reconnaître le testament notarié par la Chambre des notaires du Québec et le consulat américain, ou obtenir une homologation de la Cour supérieure du Québec.

L’alternative est souvent de faire rédiger par un notaire un testament américain, en anglais, selon les formalités juridiques et les lois où le bien se situe. Ceci éviterait à votre client certaines procédures, mais pas le processus de règlement de la succession (probate). Certains modes de détention de biens ou d’actif pourraient permettre de se soustraire à ces démarches, par exemple le Living Trust of Florida, dans le cas où un bien serait localisé en Floride.

Si mon client devient inapte, son mandat de protection le couvre-t-il?

Le mandat de protection québécois n’est pas reconnu aux États-Unis, même s’il est traduit en anglais. Pour éviter les mauvaises surprises, vous pourriez rédiger certains documents d’avance avec l’aide d’un spécialiste, car les formalités à remplir diffèrent selon les situations.

Qu’en est-il des droits successoraux américains?

Un autre problème est celui des droits successoraux américains, un concept méconnu au Québec. Aux États-Unis, votre client pourrait devoir payer un impôt successoral américain sur la valeur marchande de ses biens américains à son décès, basé sur la valeur de ses actifs.

Depuis la réforme fiscale américaine du 22 décembre 2017, les individus dont le patrimoine est inférieur à 11,18 M$ US sont exonérés de cet impôt (seuil indexé annuellement). Votre client pourrait être assujetti à ces règles si ses biens américains ont une valeur supérieure à 60 000 $ US et que son patrimoine est plus élevé que l’exemption.

Si leur valeur dépasse 100 000 $ US, il doit également remplir le formulaire fédéral T1135 afin de divulguer ses avoirs à l’Agence du revenu du Canada. Si la personne a des enfants mineurs et qu’ils héritent de plus de 25 000 $ CA, elle devra aussi se soumettre à un conseil de famille et/ou à des procédures impliquant le Curateur public.

N’oubliez pas que les titres boursiers américains sont inclus dans le calcul du patrimoine, ainsi que les parts de sociétés privées et certaines polices d’assurance.

Il existe certains modes de détention d’une résidence aux États-Unis qui permettent d’éviter le processus de règlement de succession, notamment husband & wife, joint tenancy with right of survivorship, tenancy in common, enhanced life estate deed ou par une fiducie, une compagnie à responsabilité limitée, une société canadienne ou une société de personnes.

Majoritairement, ce sont des concepts que nous ne connaissons pas au Canada. Chaque mode de détention comporte des avantages et des inconvénients dont on devrait discuter avec un spécialiste.

« Il y a des structures de détention très simples et peu coûteuses qui permettent d’éviter un [processus de] règlement de succession. Le problème est que les clients ne sont pas au courant de leur existence. C’est la raison pour laquelle une consultation avec un expert est toujours de mise pour les informer des différentes possibilités », indique Me Caroline Vanier.

Rappelons également que la vente d’un bien américain pourrait être admissible à l’exemption fiscale pour résidence principale au Canada.

Votre client devrait rencontrer un spécialiste afin d’être guidé dans le choix du mode de détention qui lui convient le mieux, et bien préparer les documents juridiques qui le protégeront en cas de décès ou d’inaptitude.

Ne pas planifier les acquisitions transfrontalières de vos clients comporte des risques. Tenez pour acquis que les règles peuvent changer selon l’État américain où se situe leur bien. De plus, chaque pays possède ses propres exigences. Si votre client vous parle de son coup de cœur immobilier au Mexique ou au Costa Rica, vous devriez le diriger vers un spécialiste.

Rappelez-vous les questions essentielles :

Votre client détient-il des actifs américains? Leur valeur marchande est-elle supérieure à 60 000 $ US? Supérieure à 100 000 $ US? Son patrimoine mondial est-il plus élevé que 11,18 M$? A-t-il des enfants et/ou des héritiers mineurs?

Si votre client répond oui à l’une de ces questions, vous devriez lui recommander de consulter un spécialiste afin de discuter des risques financiers que représente sa situation.

LexiqueLe Last Will and Testament est un testament américain.

La Designation of Health Care Surrogate nomme les personnes qui seraient autorisées à donner des instructions médicales au nom de votre client. Au Québec, ces volontés se retrouvent généralement dans un mandat de protection.

Le Living Will indique qui peut aussi donner des instructions médicales au nom de votre client, mais aussi permettre l’arrêt des soins pour éviter l’acharnement thérapeutique.

[1] En vertu du paragraphe 70(5) de la LIR.

[2] À moins de nommer un bénéficiaire pour certains produits ou certains modes de détention spécifiques.


Ce texte est publié à des fins de vulgarisation et contient de l’information financière d’ordre général. Il ne devrait pas remplacer une consultation auprès d’un conseiller en services financiers qui tiendra compte des particularités de la situation de vos clients. Malgré tout le soin apporté à la rédaction des textes, l’auteur n’est pas responsable des erreurs qui pourraient s’y glisser.

Petite maison tenue dans les mains d'une jeune femme, avec drapeau américain en arrière-plan.

Mathieu Guilbault

Mathieu Guilbault, Pl. Fin., est planificateur financier et travaille dans des institutions financières depuis 2001. Il est l’auteur du livre 80 stratégies en planification financière et blogueur sur MonPF.ca. Diplômé de l’Université Laval en planification financière et de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), il détient également un diplôme de deuxième cycle en fiscalité de l’Université McGill, ainsi qu’un baccalauréat en commerce avec mention d’honneur en finance de la John Molson School of Business de l’Université Concordia. Il est membre de l’Association de planification fiscale et financière (APFF) et affilié de l’IQPF.